Situation politique en écosse après le réferendum

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Même si le “Non” a gagné, le référendum sur l’indépendance a complètement bouleversé la vie politique au Royaume-Uni. La campagne pour le “Oui” s’est changée en une mobilisation de masse dans les quartiers ouvriers : contre l’austérité et contre la politique bourgeoise corrompue, et pour un avenir positif. Il s’agit d’un point tournant, ce qui soulève d’importantes questions pour les socialiste.

Le référendum pour l’indépendance en Écosse a été remarquable à de nombreux égards : l’énorme politisation et l’intense polarisation de classe, plus le fait que les masses commencent à intervenir de manière active dans la vie politique, surtout du côté des couches les plus opprimées de la classe des travailleurs, qui cherchent maintenant à reprendre son avenir en main, là où la politique était jusqu’ici au Royaume-Uni considérée comme la chasse gardée de l’élite auto-proclamée qui domine ce qu’elle appelle le “débat politique”.

Vu le déclenchement des passions qu’il a suscité, ce référendum a complètement chamboulé le paysage politique du Royaume-Uni : « Plus rien ne sera comme avant », ont même concédé plusieurs analystes bourgeois. Plus remarquable encore, ce référendum aura également d’importantes conséquences sur la vie politique dans d’autres pays. L’Écosse, ce petit pays (5 millions d’habitants, 80 000 km²) doté d’une importante histoire de résistance ouvrière, fait à présent vaciller l’Europe et le monde dans leurs fondements.

Les dirigeants mondiaux, de Barack Obama à Xi Jinping en passant par le pape François, se sont réunis pour appeler de tous leurs vœux au rejet de l’indépendance pour l’Écosse. La classe dirigeante britannique qui régnait naguère sur un quart de la population mondiale, a été si terrifiée de cette potentielle atteinte à son prestige et à sa réputation mondiale, qu’elle a déversé des seaux entiers de calomnies et d’injures contre le mouvement indépendantiste. « Le monde entier dit “Non” à l’indépendance de l’Écosse », s’écriait Phillip Stephens dans le Financial Times. Quelques jours avant la date du référendum, le même magazine décrivait bien l’effroi qui régnait parmi les capitalistes : « L’élite dirigeante tremble d’effroi tandis que l’Union vacille […] Offensive majeure des patrons contre le “Oui” […] 90 % des patrons sont contre le “Oui” »

Surprise, surprise, le Fonds Monétaire International (FMI) a lui aussi été recruté dans ce front anti-indépendance, prophétisant des « risques de récession sur les marchés ». Alan Greenspan, ex-président de la banque centrale américaine – aux affaires au moment de la plus grande catastrophe économique et financière de l’histoire après la crise des années ’30 et que l’on n’avait plus vu depuis un bon moment – est tout à coup réapparu pour dire que « Voter “Oui” serait une grave erreur économique pour l’Écosse et une catastrophe géopolitique pour l’Occident ». Et si l’Écosse avait réellement voté pour l’indépendance, elle aurait été punie : « Les Écossais découvriront le véritable gout de l’austérité », grondait déjà le Financial Times.

Pourquoi toute cette hystérie de la part des poncifs du capitalisme, toute cette exagération, au vu du peu d’importance que représente somme toute l’Écosse ? L’explication se trouve non pas en Écosse, mais à l’étranger, lorsqu’on voit l’écho formidable qu’ont suscité les évènements écossais parmi les masses d’Europe et du monde entier, lorsque tant de pays sont eux-mêmes confrontés à leurs propres crises nationales. Vu le bouillonnement parmi les masses catalanes échaudées, Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol, a tout naturellement perçu l’indépendance de l’Écosse comme un « désastre » qui ne ferait « qu’aggraver la crise économique en Europe et qui mènerait sans doute à la désintégration de l’Union européenne ».

En réalité, ce que craignent les dirigeants espagnols, c’est la « balkanisation » de l’Espagne (pour reprendre leurs termes), c’est-à-dire l’auto-détermination et l’indépendance du peuple catalan, puis du peuple basque. Le mouvement catalan a été grandement revigoré par le simple fait qu’un référendum se passe en Écosse. « Comment Cameron a-t-il pu se faire piéger comme ça ? », grommèlent les dirigeants bourgeois dans toute l’Europe. En Espagne, les Catalans et autres nationalités réclament à présent leur propre référendum – ce que les gouvernements refusent catégoriquement. Pendant ce temps, en Italie, c’est l’effervescence dans le Haut Adige / Sud-Tyrol, dont la population de langue majoritairement allemande réclame elle aussi le droit à l’auto-détermination, tandis que la Ligue du Nord (parti de droite nationaliste) redouble aussi d’activité en vue d’obtenir l’indépendance pour l’Italie du Nord.

Les marxistes et la question nationale

Ces exemples qui illustrent l’impact international de l’intense débat écossais autour de l’indépendance montrent qu’il n’y a en fait pratiquement aucun pays aujourd’hui dont la question nationale ne risque à présent d’exploser à tout moment. Depuis le début de la crise économique mondiale, la question nationale est revenue en force dans des régions ou des pays où cette question semblait avoir pourtant été résolue depuis longtemps.

Cela signifie que le mouvement syndical, et en particulier pour les militants qui se disent socialistes ou marxistes, ne peut simplement ignorer cette question comme si de rien n’était. Il nous faut nous positionner, mais ce faisant, il est nécessaire d’éviter de tomber dans le piège de l’opportunisme (en se laissant entrainer par le nationalisme capitaliste ou bourgeois), tout en évitant également une approche propagandiste abstraite et vide qui ne nous permettra jamais d’entrer en lien avec le mouvement réel de la classe des travailleurs, et certainement pas avec ses couches les plus opprimées.

Tout au long des quarante dernières années, les forces du marxisme rassemblées dans le groupe Militant qui est ensuite devenu le Socialist Party (sections du Comité pour une internationale ouvrière au Royaume-Uni) ont systématiquement soutenu les aspirations légitimes du peuple écossais dans le cadre de la question nationale. Alors que les dirigeants syndicaux (pas seulement l’aile droite mais aussi la “gauche” du style Neil Kinnock) s’opposaient même au transfert de compétences très limité donné à l’Écosse dans les années ’70, nous avons soutenu cette avancée. Nous n’avons cependant jamais entretenu la moindre illusion dans le fait que l’indépendance serait la “solution finale” à tous les problèmes de la population écossaise.

En même temps que nous défendons le droit à l’auto-détermination du peuple écossais, nous n’avons jamais appelé à la balkanisation de pays composés de différents groupes ethniques. Il est absurde d’imaginer qu’un pays seul, surtout s’il s’agit d’un petit pays, puisse dans le monde actuel prospérer et résoudre tous ses problèmes en se coupant du reste du monde. Dans ce monde mondialisé, il est impossible de faire cela seul. Les efforts consentis par les capitalistes européens en vue de l’“unité”, consacrés par l’Union européenne, expriment justement cette nécessité pour les forces productives – la science, la technique, l’organisation du travail – d’une organisation à échelle continentale, voire mondiale.

Mais les capitalistes ne pourront jamais totalement dépasser les limites posées par la propriété privée des moyens de production et par l’existence des États-nations. La seule force capable de réaliser cette unité est la classe des travailleurs, dans le cadre d’une lutte unie pour des États-Unis socialistes d’Europe.

Par conséquent, tout en luttant pour une Écosse indépendante et socialiste, nos camarades de la section écossaise du CIO appellent à la création d’une confédération socialiste d’Écosse, d’Angleterre, du pays de Galles et de l’Irlande unie, en même temps qu’à une Europe socialiste. Il est arrivé dans le passé que nous nous soyons déclarés contre l’indépendance de l’Écosse en tant que revendication immédiate, surtout en tant que slogan. C’est parce qu’à ce moment, l’indépendance n’avait pas le soutien d’une part assez importante de la population. Dans ce cas, le fait par exemple pour notre section anglaise d’appeler à l’“auto-détermination”, voire à l’indépendance de l’Écosse, c’est-à-dire, à la séparation, aurait pu être interprété par de nombreux travailleurs écossais comme signifiant que nous, travailleurs anglais, qui constituons la majorité, ne désirons plus vivre avec eux, travailleurs écossais, dans le cadre d’un État uni. Cependant, une fois que l’idée d’indépendance s’est emparée des cœurs des masses, gagnant le soutien de la majorité ou du moins, d’une importante minorité, nous étions face à une situation complètement différente.

La direction du mouvement en Écosse est claire depuis longtemps. L’élection du Parti national écossais (SNP) en tant que parti majoritaire du parlement écossais a été perçu comme une étape importante sur la route vers l’“indépendance”, surtout pour les couches les plus dynamiques des travailleurs qui sont montés au créneau dans le cadre de la campagne pour le référendum. Une part importante de la jeunesse (entre 40 et 50 %) était déjà conquise à l’idée de l’indépendance depuis avant même qu’on ne commence à parler de référendum. La tâche des marxistes est d’apporter un soutien à ce mouvement de manière générale, tout en cherchant à lui donner un contenu socialiste. Nous avons fait cela en soulignant à chaque fois les contradictions (c’est un euphémisme) du SNP qui veut rester dans le cadre du capitalisme, ce qui signifie que la plupart des revendications sociales qui ont poussé les gens à voter “Oui” n’auraient jamais pu être réalisées. Au contraire, le futur de l’Écosse n’aurait été rien d’autre qu’une austérité sauvage, à moins que les travailleurs écossais n’utilisent les pouvoirs conférés par l’indépendance pour rompre avec le capitalisme.

Les erreurs commises par la gauche

La campagne pour le “Oui” a été l’occasion rêvée pour contre-carrer les plans du capitalisme britannique faits d’attaques systématiques contre la classe des travailleurs. C’est pourquoi les pancartes pour le “Oui” déclaraient « Chassons les Tories [les conservateurs] du pouvoir, à jamais ». Hélas, l’indépendance n’aurait pas eu en soi ce résultat de manière automatique, vu que l’Écosse aurait alors hérité d’un gouvernement SNP qui se dit contre l’austérité mais qui la mène en pratique, avec des coupes budgétaires et un soutien aux grandes entreprises. Mais le slogan anti-Tory montre bien quels sentiments de classe se trouvaient derrière le vote en faveur de l’indépendance.

Considérant ceci, nous trouvons incroyable que des militants se réclamant de la gauche, tels que George Galloway, se soient si farouchement opposés à l’indépendance, partageant la même plateforme que les Tories, les libéraux-démocrates, et qu’un Ed Miliband [dirigeant du parti travailliste] en perte rapide de crédibilité. Malgré le rôle héroïque joué par George Galloway dans le passé en opposition à la guerre d’Irak et malgré sa défense continue des idées du socialisme, celui-ci s’est vu hué par une grande partie des lycéens qui étaient venus participer à un débat pour des étudiants de 16 ans. Mais il n’était pas le seul dans ce cas, surtout lorsqu’il s’est mis à déclarer que « Ce serait la fin de l’austérité » et qu’on aurait un « Gouvernement travailliste qui reviendrait aux valeurs de 1945 » d’ici 2015.

En effet, le Parti communiste britannique (CPB), lié au journal Morning Star, s’est lui aussi retrouvé du mauvais côté de la barrière. Sa position était : « Le vote pour le “Non” au référendum doit constituer un tremplin pour la mobilisation du mouvement des travailleurs dans tout le Royaume-Uni afin de réclamer un changement constitutionnel » (Déclaration sur l’indépendance de l’Écosse, 4 mars 2014). Comment réaliser cette mobilisation tout en s’opposant aux aspirations de la masse des travailleurs écossais, cela reste un mystère. Et quelles étaient les raisons du CPB pour s’opposer au “Oui” ? « Le fait qu’elle soit membre de la zone sterling subordonne l’Écosse à la politique néolibérale actuelle, sans aucun pouvoir pour la modifier, ce qui ôte en même temps toute possibilité d’une action ouvrière unie à travers les différentes nations du Royaume-Uni […] Pire, le fait que l’Écosse serait toujours membre de l’Union européenne forcerait l’Écosse à incorporer dans sa constitution les termes du Traité de stabilité, coordination et gouvernance (TSCG) de 2012 ».

Mais pourquoi cela découlerait-il de l’indépendance ? Puisque tout de même, dans le cadre d’une Écosse indépendante, les travailleurs auraient surement la possibilité de refuser l’entrée dans l’Union européenne ? Le CPB semble hypnotisé par le fait que l’Écosse fasse partie de la zone sterling, tout comme de l’UE. Mais même sans cela, le fait d’appartenir de l’un ou l’autre de ces blocs n’a tout de même jamais empêché les travailleurs ni du Royaume-Uni, ni de l’Europe, de résister aux patrons et de s’opposer aux lois anti-syndicales et anti-sociales ?

L’argument sous-entendu ici est que le fait de soutenir l’indépendance de l’Écosse diviserait automatiquement les travailleurs. Pourtant, il est possible de soutenir l’indépendance tout en se battant pour les travailleurs et pour leur unification. C’est ce qu’on fait Karl Marx et Vladimir Lénine il y a déjà plus d’un siècle de cela. D’ailleurs, le mouvement marxiste a toujours été impliqué dans des luttes nationales, depuis l’époque de Marx lui-même. Par exemple, Marx soutenait de manière générale l’idée d’un État uni. Pourtant, Engels et lui ont toujours obstinément appelé à l’indépendance de l’Irlande. Selon Marx, la question d’une fédération libre de la Grande-Bretagne et de l’Irlande ne pourrait se poser dans le cadre d’un débat libre qu’une fois l’indépendance obtenue pour l’Irlande.

Lénine a approfondi cette approche lorsqu’il enseignait aux travailleurs de Russie à défendre le droit à l’auto-détermination des nations opprimées par le tsarisme. Pour Lénine, ce n’est qu’en défendant le droit à la liberté de ces nations que les travailleurs russes pourraient gagner leur confiance. En leur offrant après indépendance la possibilité de s’unifier à la Russie dans le cadre de républiques socialistes et démocratiques, ses nations ne se retrouveraient donc pas dans l’isolement, mais dans le cadre d’une alliance fraternelle et librement choisie avec les masses de Russie. La validité de cette approche a été brillamment démontrée par le cours de la révolution russe. Les bolchéviks ont reconnu le droit à l’auto-détermination jusqu’à l’indépendance, et s’y sont tenus : c’est ainsi que la Finlande a acquis son indépendance en 1918.

Les arguments du CPB et d’autres petites organisations de gauche, y compris certains soi-disant “marxistes”, ne font que reprendre les arguments de Rosa Luxemburg, qui s’opposait à l’idée d’auto-détermination prônée par Lénine et les bolchéviks, de même qu’à leur idée de redistribuer la terre aux paysans après leur prise du pouvoir en 1917. Elle considérait ces revendications comme représentant un pas en arrière. Au contraire, les bolchéviks sont parvenus à unifier la classe des travailleurs parce qu’ils s’opposaient au nationalisme bourgeois – tout comme le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) le fait dans le cadre de la question écossaise.

Lénine expliquait que, parfois, il est possible de faire un pas en arrière afin de faire deux pas en avant. Lorsque la terre est redistribuée aux paysans, c’est pour pouvoir gagner la confiance des paysans, qui ne pourraient être convaincus de la nécessité d’organiser l’agriculture à grande échelle qu’au cours d’une longue période et seulement avec leur consentement. C’est la même chose en ce qui concerne la question nationale et l’auto-détermination : elle permet aux nations opprimées d’obtenir satisfaction de leurs propres revendications, de faire l’expérience dans la pratique du fait que l’union est nécessaire afin de rassembler les forces productives à une plus grande échelle, ce qui mène à une confédération volontaire.

Le CIO est la seule organisation qui maintient une position cohérente sur la question nationale, que ce soit au Royaume-Uni ou dans le reste du monde. Le Socialist Workers Party (SWP), par exemple, lorsqu’on parlait du transfert de compétences à l’Écosse dans les années ’70, disait que : « Si un référendum est un jour organisé en Écosse ou au pays de Galles, nous nous abstiendrons. Cela ne signifie pas que nous ne participerons pas au débat […] Notre abstention nous définira par rapport au reste de la gauche qui battra en retraite apeurée par ce nouveau réformisme, tout en nous permettant de ne pas être assimilés au camp nationaliste, britannique, unioniste » (La Question nationale, septembre 1977). Cette politique a pourtant été abandonnée depuis, sans aucune explication.

Le problème des référendums

Il est vrai que la forme qu’a revêtu la lutte pour l’indépendance dans ce cas n’a pas été une forme idéale. Les référendums ne sont pas l’arme préférée de la classe des travailleurs et de ses organisations. Les référendums sont par contre souvent utilisés par les dictatures et les régimes non démocratiques afin de renforcer leur position, en présentant à la population un choix simple : “Oui” ou “Non”. Le mouvement ouvrier et notamment les forces socialistes se voient parfois contraints de participer au référendum dans le même camp que des forces bourgeoises ou pro bourgeoisie, allant jusqu’à partager une même plateforme, entrainant le risque politique que ces organisations de gauche ne parviennent pas à faire passer leur message ou leur programme à travers celui des autres forces.

Les référendums peuvent aussi constituer un piège pour les forces véritablement socialistes si au cours de la campagne ces forces ne se différencient pas clairement du point de vue politique, en termes de perspectives et de programme, de leurs “alliés” nationalistes du jour. Cela ne veut pas dire que nous devons directement attaquer les autres forces qui partagent notre camp pour le référendum. Parfois, il suffit d’expliquer notre point de vue, ce qui est assez pour que les travailleurs comprennent la différence entre nous et les nationalistes. Avec assez d’habileté, notre public, surtout les travailleurs, tirera de lui-même les conclusions politiques qui conviennent. Cependant, dans d’autres occasions, il pourrait s’avérer nécessaire de nous différencier de manière nette en termes de programme et de perspectives par rapport, par exemple, aux nationalistes bourgeois ou petit-bourgeois – comme le SNP – ou au nationalisme de gauche.

Les forces du CIO, qui ont participé à la campagne du référendum écossais, ne sont pas tombées dans le piège qui consistait à renforcer le SNP. Tout en soutenant énergiquement la campagne pour le “Oui”, le Socialist Party Scotland (SPS, section écossaise du CIO) a pris part à une magnifique campagne indépendante, orientée vers la classe des travailleurs, qui est parvenue à attirer des milliers et des milliers de travailleurs écossais enthousiastes dans le cadre de débats et meetings avec Tommy Sheridan et des figures publiques membres du SPS. Même Rupert Murdoch, le grand patron de la presse et ennemi juré de Tommy, a reconnu cela lors d’une déclaration où il se plaignait que les “gauchos” étaient trop visibles dans la campagne pour le “Oui”.

De plus, notre position a été détaillée en détail dans notre programme pour une Écosse indépendante, ce qui contrastait avec les perspectives fausses des nationalistes qui se contentaient de dépeindre un avenir rose bonbon pour l’Écosse dans le cadre du système capitaliste. Le SNP dans le passé se basait sur l’exemple de nombreux pays capitalistes “nordiques” afin d’étayer sa position : l’Irlande, l’Islande, la Suède, la Norvège,… Pourtant tous ces pays aujourd’hui ne sont plus que le témoignage des conséquences dévastatrices de la crise économique mondiale. Le référendum a indiqué un rejet massif de l’austérité, qu’elle soit imposée par Westminster ou par Edinbourg (c’est-à-dire, qu’elle vienne de l’Angleterre ou de l’Écosse). L’analyse démographique du vote a bien montré que la classe des travailleurs, surtout dans les zones où vivent ses couches les plus miséreuses et les plus opprimées, dans les quartiers ouvriers de Glasgow, de Dundee, dans le West Dunbartonshire et le North Lanarkshire, a massivement voté pour le “Oui” à l’indépendance, de même qu’une immense majorité de 16-17 ans.

Les manœuvres des Tories

S’il fallait un jour donner un exemple de ce genre de “nationalisme” qui, selon les mots de Trotsky, reflète « l’épiderme d’un bolchévisme qui n’a pas encore muri », alors ce vote considérable de la classe des travailleurs écossais constitue un cas d’école. Dans les esprits des masses, l’idée de l’“indépendance” était organiquement liée à l’idée d’une indépendance totale vis-à-vis de ceux qui ont imposé dans le passé la capitation (“poll tax”), la taxe du logement, la persécution des handicapés et des malades, etc.

Ce sentiment est toujours là. Deux semaines avant le référendum, David Cameron, certain de sa défaite à venir, se préparait déjà à la fin de sa carrière politique. Même les autres Tories réclamaient sa tête. Si l’Écosse avait voté pour le “Oui”, Cameron aurait vu son propre parti lui donner un “Non” retentissant ! Mais en cours de route, une campagne de terreur massive est parvenue à rallier la grande majorité de la classe moyenne et des “sans avis” et à les forcer à voter “Non” – grandement aidée en cela par l’intervention cruciale de la direction du Parti travailliste, notamment par Gordon Brown, qui a à cette fin fait usage de tout le capital politique dont il pouvait encore disposer.
La campagne féroce pour le “Non” a eu un effet au dernier moment. Le journaliste Matthew d’Ancona écrivait dans le Sunday Telegraph : « Le sondage réalisé après le référendum par Lord Ashcroft a révélé que 19 % de ceux qui ont voté pour le “Non” ont pris cette décision il y a moins d’un mois – ce qui montre bien le résultat de la campagne frénétique lancée par le camp unioniste au cours de cette période ».

Cependant, ce résultat a créé presque autant de problèmes pour la classe dirigeante britannique que l’indépendance aurait pu en causer. Cameron, en vrai joueur comme à son habitude, a annoncé, quelques heures après l’annonce du résultat officiel, qu’il honorerait sa promesse de donner plus de pouvoirs au parlement écossais en termes de taxes et de budget social. Mais il a ajouté que « De nouveaux pouvoirs pour les Écossais doivent être contrebalancés par de nouveaux pouvoirs pour les Anglais ».

Cela constitue donc une menace pour dire que, si l’Écosse n’est pas d’accord là-dessus, alors elle n’obtiendra pas non plus les nouvelles compétences qu’on lui avait “promises”. Toutefois, ce serait vraiment “jouer avec le feu” en Écosse, comme l’a averti le désormais ex-dirigeant du SNP, Alex Salmond. Cameron n’a en réalité pas le choix que de faire des concessions, s’il ne veut pas se retrouver avec une révolte encore pire que celle qu’il vient de voir au cours du référendum. Sa proposition vise clairement à attiser le nationalisme anglais, au vu des élections nationales qui seront organisées dans quelques mois, avec en plus l’avantage, dans son esprit, de damer le pion au parti Ukip (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, droite nationaliste) et de déstabiliser Miliband et son Parti travailliste.

Cette proposition ne va sans doute pas se réaliser avant les prochaines élections. Cependant, il est épatant de voir à présent l’ensemble des Tories qui passent à la télévision – que ce soit Cameron, Heseltine, Hague, etc. – réclamer, au nom d’une “plus grande démocratie”, que les 59 députés écossais (dont 41 travaillistes) n’aient plus le droit de voter au parlement sur des affaires “spécifiquement anglaises”.

Leur raisonnement est que, si Miliband gagne les élections en mai l’an prochain, il ne sera pas capable de mettre en œuvre son programme parce que les députés écossais ne pourront pas voter concernant des enjeux cruciaux – ce débat ne date pas d’hier, il constitue au Royaume-Uni ce qu’on appelle la “question du West Lothian”. Malgré cela, Will Hutton faisait remarquer dans The Observer que : « La commission McKay sur la décentralisation des compétences a noté que depuis 1914, il n’y a eu que deux périodes pendant lesquelles le parti au pouvoir n’avait pas en même temps la majorité au parlement : 1964-1966, et mars-octobre 1974. De plus, selon les recherches du portail citoyen mySociety, sur 5000 votes au parlement depuis 1997, seuls 21 ont vu leur résultat final dépendre des voix des députés écossais ».

La proposition de décentralisation a été signée non seulement par les cadres tories, mais aussi par Nick Clegg des libéraux-démocrates. Cela inclut “plus de compétences” pour les grandes villes et régions. Le but est clairement de conférer plus de pouvoirs aux maires dictatoriaux et antidémocratiques tels que Boris Johnson, le maire de Londres, afin qu’ils puissent mener leur propre politique antisociale brutale, comme l’offensive contre les guichets de vente de tickets qui est en train de se dérouler en ce moment dans le métro de Londres.

En réalité, les conseillers communaux n’ont que très peu de pouvoir de contrôle sur les décisions des maires et des échevins. Cette proposition de centralisation a pour objectif évident de permettre à ces seconds couteaux d’organiser leurs propres coupes budgétaires à l’échelle locale. Tout cela fait partie d’un programme général d’attaque sur le niveau de vie de la classe des travailleurs. Nous devons nous y opposer de manière intransigeante avec nos propres contre-propositions émanant du mouvement syndical. Il faut abolir le règne des maires et des collèges échevinaux au niveau local, pour revenir à une véritable démocratie et à des conseillers communaux soumis au contrôle de leurs électeurs.

Des occasions à saisir

Cameron est sorti vivant du référendum, mais il s’est quand même pris une belle raclée. Il est temps à présent d’en finir avec l’ensemble de cette bande de Tories et avec tous les politiciens capitalistes qui menacent d’entrainer les travailleurs toujours plus loin dans le gouffre. L’Écosse a démontré que la classe des travailleurs est plus que mure pour une alternative politique conséquente. Les évènements qui ont entouré le référendum, surtout parmi la classe des travailleurs, révèlent le potentiel pour un mouvement du type du “Podemos” espagnol. En Espagne, ce nouveau mouvement radical (dont le nom signifie “On peut”) a surgi de nulle part, et en à peine six semaines, a engrangé 1,2 millions de voix pour les élections européennes. Le même potentiel existe à présent en Écosse si Tommy Sheridan, en alliance avec les marxistes et d’autres forces de gauche ou ouvrières comme les syndicats, surtout les plus radicaux tels que le RMT (syndicat du rail, de la marine et des transports), décide de se lancer et de créer une alternative socialiste radicale capable d’attirer tous les travailleurs et les jeunes qui ont été si inspirés par la campagne pour l’indépendance.

Malheureusement, au lieu de prendre des mesures énergiques pour la fondation d’un nouveau parti des travailleurs, Tommy dit maintenant : « Je suggère que le mouvement pour “Oui” promeuve à présent l’unité en soutenant le candidat pro-indépendance qui a le plus de chances de remporter les élections générales de mai de l’an prochain. Cela veut dire appeler à voter pour le SNP afin de tenter de déloger autant de partisans du “Non” que possible ».

Cette déclaration a été faite sans aucune consultation – pour autant que nous en sachions – avec ceux qui ont été ses plus proches collaborateurs et partisans au cours de la campagne retentissante “Espoir contre peur”. C’est notre message socialiste, combiné à un soutien inflexible pour l’indépendance, qui a attiré des milliers de travailleurs qui restent profondément opposés et prudents par rapport au SNP. Tommy nous suggère maintenant d’abandonner les leçons qui ont été tirées de cette campagne. Selon lui, la classe des travailleurs devrait à présent s’aligner derrière le SNP, malgré le fait que ce parti ait appliqué la politique d’austérité et est prêt à poursuivre sur cette ligne, même avant les élections de 2015.

Si nous acceptions la suggestion de Tommy, cela voudrait dire que des milliers de socialistes se retrouveraient à soutenir un programme d’austérité, en reléguant à nouveau notre programme socialiste à “plus tard”, au nom de l‘“intérêt national”. Qu’est-ce donc que cela, si ce n’est une répétition lamentable de 1918 en Irlande lorsque, après l’indépendance, les nationalistes irlandais ont déclaré que “le socialisme attendra”, et que les dirigeants syndicaux lâches comme Thomas Johnson ont accepté cela ? Les travaillistes irlandais ont alors laissé le champ libre aux nationalistes et au Sinn Fein, avec des conséquences désastreuses pour la classe des travailleurs.

Tommy dit aussi : « Nous devons insister sur le fait que tous les candidats pro-indépendance aux élections écossaises de 2016 exigent un nouveau référendum en mars 2020 ». Vraiment ! Pourquoi attendre quatre ans avant d’organiser un référendum ? D’ailleurs, au cas où le camp pro-indépendance constituerait la majorité au parlement écossais, pourquoi passer par l’étape du référendum ? Mais dans ce cas, le référendum pourrait être organisé immédiatement et avec un score écrasant pour le “Oui”.

Mais il nous faut rejeter ces propositions pour d’autres raisons encore. Tommy dit que : « L’union, c’est la force. Il ne faut pas que nos différences puissent affaiblir notre combat ». Mais cela ne peut s’appliquer entre des partis pro-travailleurs et des partis pro-capitalistes comme le SNP, qui vont inévitablement trahir les aspirations de ceux qu’ils auront pu duper en les convaincant de voter pour eux. Si cette alliance était mise en œuvre, elle aurait pour effet de saboter l’indépendance de la classe des travailleurs écossais et leur capacité à résister à l’offensive qui sera lancée sur eux par les capitalistes du monde entier.

La lutte autour du référendum a démontré ce que peut obtenir une campagne socialiste indépendante. Il nous faut poursuivre sur cette lancée. C’est là la véritable leçon du référendum écossais. L’idée que l’indépendance de l’Écosse est « enterrée jusqu’à la prochaine génération », comme le dit Salmond, est fausse. Le génie est sorti de sa bouteille, la revendication d’une Écosse indépendante et socialiste ne va à présent que gagner en intensité, au fur et à mesure que la crise du capitalisme va s’aggraver, provoquant une révolte de masse.

Analyse par Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party (CIO–Angleterre et Pays de Galles)