Tours : il y 100 ans, la fondation du Parti Communiste (3/3)

Ces articles sont parus dans le dossier « Tours : il y 100 ans, la fondation du Parti Communiste » de l’Egalité n°203. Ils sont accompagnés d’autres articles qui sont déjà publiés sur le site.

Voici le lien vers la première partie, et celui vers la deuxième.

L’occasion manquée

Pendant presque 50 ans, le Parti communiste a été un grand parti de la classe ouvrière, fort de centaines de milliers de membres, présents dans toutes les grandes entreprises industrielles et les grands services publics du pays. Il dirigeait de nombreuses structures de masse, sa direction contrôlait la CGT qui comptait près de 2,5 millions de membres jusqu’à la fin des années 70. Les militants du PCF ont mené d’innombrables luttes courageuses, et ont contribué, (avec des millions de travailleurs et non tel ou tel dirigeant du PCF), à l’acquisition de nombreux droits sociaux, économiques et démocratiques pour les travailleur-se-s et la population.
Il ne s’agit donc pas de dénigrer l’héroïsme de millions de membres et sympathisants du PCF de ces années-là, mais de comprendre comment un parti avec un tel potentiel a pu dévier si vite de sa vraie vocation.

L’évolution du PC a suivi finalement d’assez près celle de la bureaucratie en Union Soviétique. Le stalinisme et sa proclamation du « socialisme dans un seul pays » abandonnait ainsi de fait la révolution mondiale, pourtant seul moyen d’en finir avec le capitalisme qui est lui-même un système mondial. L’IC, que Staline appelait la « boutique », ne devint plus qu’une courroie de transmission des intérêts d’une bureaucratie toujours plus brutale. Et le réformisme finit toujours en une adaptation au capitalisme.

Malgré des discours très à gauche, la direction du PC (le F n’apparaîtra en Une de l’humanité qu’en juillet 1936) se concentrait désormais sur la conservation de son immense appareil et de ses positions électorales. La bourgeoisie lui était très hostile du fait de sa forte base dans la classe ouvrière, mais le PCF ne chercha jamais à être autre chose qu’une opposition au sein du capitalisme.

À force de rater les occasions…

Malgré une base qui voulait la révolution, le PCF a toujours manœuvré pour que les situations n’évoluent pas vers une révolution socialiste, à l’opposé de la politique menée par Lénine, Trotsky et les bolcheviques. Grandes grèves de 1936, celles de mai-juin 68, et dans d’autres occasions, le PCF était toujours pressé de faire cesser la lutte.

Alors, quand au plus fort de sa lutte la classe ouvrière ne trouve pas dans son parti un outil mais un frein, elle finit par ne plus le suivre. C’est pour cela que le déclin du PCF s’est amorcé à la fin des années 70. Beaucoup de travailleurs ne voyant pas dans la lutte et la grève la possibilité du socialisme, ils se sont reportés sur les élections, espérant qu’une alliance PS-PCF permettrait cela. Mais ce fut une nouvelle déconvenue. Et désormais le PCF ne jure plus que par les élections quand bien même il recule à chacune d’elles.

Il y a beaucoup à apprendre de cette histoire, y compris des erreurs et des trahisons, car si le PCF a depuis longtemps abandonné l’objectif de la révolution socialiste, la classe ouvrière a toujours besoin d’un grand parti révolutionnaire pour en finir avec cette société d’exploitation et d’oppression qu’est le capitalisme.

Opposition de gauche dans le PC : la lettre des 250 (octobre 1925)

La lutte politique pour faire du PC un parti révolutionnaire est peu connue aujourd’hui.

Tous les véritables fondateurs du PC, de Loriot à Rosmer en passant par Souvarine, Monatte et tant d’autres, seront exclus dans les années 1924-28. Ils étaient accusés de faire ce que pourtant tout le mouvement marxiste avait fait depuis des dizaines d’années, organiser le débat lorsqu’il y avait désaccord sur le programme non pas pour affaiblir le parti mais pour le renforcer et permettre aux travailleurs de s’intéresser à ces débats. C’est un des nombreux travers de la stalinisation des partis communistes que d’étouffer le débat démocratique dans ses rangs comme dans les organisations qui lui sont proches. Ces méthodes seront transposées aux syndicats contrôlés par le PCF. Or, le débat politique est la sève du parti comme le rappelait Trotsky.

Afin de masquer le piétinement des PC de part le monde, la direction de l’IC lança une vaste réorganisation appelée « bolchevisation ». Cette manœuvre qui prétendait renforcer l’implantation ouvrière des PC était en fait destinée à renforcer le caractère autoritaire de la direction. Loin de renforcer l’implantation ouvrière, elle a au contraire affaibli les PC parmi les travailleurs et surtout permis l’exclusion de milliers de dirigeants locaux dans de nombreux pays.

En France, c’est face à cette nouvelle manœuvre de la direction que va se lever une dernière opposition collective, « la lettre des 250 » adressée à l’internationale, et que l’Humanité refusera de publier. Signée par plusieurs centaines de militant-e-s ouvriers du parti, dont F. Loriot, elle garde aujourd’hui encore de précieux enseignements pour qui veut construire un parti véritablement révolutionnaire pour le socialisme. Il montre la vigueur des débats politiques de l’époque, alliant question politique et démocratiques, questions locales et internationales, proposition sur l’unité d’action syndicale ou politique avec les réformistes, et également proposition pour l’organisation du parti. La plupart des signataires seront exclus entre 1925 et 1928 pour opposition.

La clarté d’analyse de ce texte expliquait déjà les futurs échecs du PCF s’il continuait dans ses méthodes et dans sa ligne politique, ce que malheureusement il fera.

« nous connaissons trop la mentalité des dirigeants du Parti – incapables de se critiquer eux-mêmes – pour espérer qu’à force de se faire battre par la bourgeoisie et les social-démocrates, ils apprendront à les vaincre. »

Par A.R

De nombreux textes retraçant les débats de l’époque sont disponibles sur internet.
Nous ne saurions que trop recommander la lecture attentive des textes du comité pour la 3ème Internationale par exemple. La lecture de « la lettre des 250 (opposition de gauche) » est également très utile, tout comme le texte de Trotsky sur le « Front Unique en France », ou encore « Moscou sous Lénine » d’A. Rosmer, et par exemple « la 3ème période d’erreur de l’Internationale communiste » de Trotsky

Déléguées au 1er congrès du parti communiste, Marseille décembre 1921. de gauche à droite: Marie Mayoux, Germaine Goujon, Lucie Colliard, Marthe Bigot, Suzanne Girault. Goujon, Colliard, Bigot seront membres de l’opposition de gauche, signataires de la lettre des 250, mais finiront par quitter le PC ou en être exclues.