La Santé
Privatisation et décentralisation des services de santé en Grande Bretagne : ce qui risque de nous arriver.
L’exemple du démantèlement du système de santé en Grande Bretagne est intéressant à plus d’un titre. En effet, la décentralisation y est très avancée et les attaques correspondent exactement à la politique que l’Union Européenne veut mener en matière de services publics. En France ce sont les luttes contre les plans de démantèlement de la sécurité sociale qui nous ont, pour le moment, fait gagner du temps par rapport à l’application de ces politiques, mais le gouvernement Raffarin compte bien cette fois réussir ce que Juppé avait raté en 1995-96.
Article paru dans l’Egalité n°99
Les origines du système de santé anglais
Comme pour tous les acquis de la classe ouvrière ce sont leurs luttes qui ont imposé le Welfare state (l’Etat providence) et la NHS (National Health Security, le système de santé britannique). La pression des ouvriers, qui après la deuxième guerre mondiale aspiraient à de meilleures conditions de vie, la crainte de la bourgeoisie de mouvements de masse dans une économie en crise, et la nécessité d’avoir des ouvriers en bonne santé pour reconstruire le pays, ont permis d’imposer des services sociaux publics. Le Welfare state devait offrir le droit à une protection sociale pour tous et dont l’usage serait gratuit, et financé par les cotisations des patrons et des salariés (système assez semblable à celui de la France). Ce système, bien qu’imparfait, a subi de nombreuses attaques. Sous le coup des crises économiques du 20ème siècle le patronat a cherché a faire baisser sa participation au financement du Welfare state pour protéger ses propres profits.
Le gouvernement Blair au service du patronat
La politique de Blair concernant les services publics ne profite qu’au secteur privé et certainement pas au million de malades sur les listes d’attentes de la NHS. Aujourd’hui en Grande Bretagne il faut attendre en moyenne 18 mois pour une opération d’un cancer de la prostate, ou avoir 100 000 francs à débourser à une clinique privée !
Pour cacher leur véritables motivations les capitalistes inventent une idéologie selon laquelle les services publics ne seraient plus adaptés au monde moderne et qu’ils coûtent trop cher, et mentent sur l’état réel de ceux-ci. En France les arguments sont les mêmes, on nous rabat les oreilles avec trou de la sécurité sociale, le déficit de l’UNEDIC ou les charges patronales trop importantes, tout cela pour justifier la logique du capitalisme : la loi du profit à tout prix.
Le démantèlement et la privatisation du système de santé anglais : un cas d’école pour les capitalistes !
Le PFI (Private Finance Initiative, initiative de financement privée) et le PPP (Public Private Partnership, partenariat privé public)sont de contrats locaux qui permettent à des entreprises privées de construire des cliniques qu’elles sous traitent ensuite aux collectivités locales. Ces établissements sont financés par l’état, utilisent le personnel et les formations des hôpitaux publics mais ce sont leurs actionnaires qui encaissent les bénéfices. Ce système fonctionne comme un prêt immobilier sauf que à la fin du contrat le service n’appartient pas à ceux qui payent les factures c’est à dire les contribuables ! La situation est donc catastrophique pour les hôpitaux publics qui doivent licencier du personnel et réduire le nombre de lits pour pouvoir payer les services de prestataires privés. Un tel système pourrait-il exister en France ?
Même si l’exemple de la Grande Bretagne peut sembler extrême par rapport à la situation française, il ne faut pas perdre de vue que certains éléments de cette situation existent déjà en France et que la décentralisation ne fera qu’accélérer la transition vers un système de santé à l’anglaise. Aujourd’hui les hôpitaux publics français sont de plus en plus gérés comme des entreprises, pour pallier à la réduction des budgets alloués par l’état ils suppriment des lits, ferment des services non rentables (comme les urgences), ferment les petits hôpitaux de campagne, diminuent la durée des séjours…etc. Parallèlement les cliniques privées poussent comme des champignons, et avec des financements publics en prime.
Une gestion locale des services de santé va avoir des conséquences désastreuses. Les hôpitaux publics seront de plus en plus en concurrence avec les cliniques et devront appliquer des méthodes comptables pour attirer des financements privés. Il ne faut pas se faire d’illusions il en va de la santé comme de l’éducation (lire page 8), si des entreprises privées investissent dans ces secteurs elles auront certainement plus que leur mot à dire sur la gestion.
Non à la décentralisation ! Non aux privatisations !
En Grande Bretagne, tout comme dans le reste de l’Europe, des luttes massives s’organisent contre ces attaques. En France des luttes seront aussi nécessaires pour combattre la logique capitaliste que le gouvernement veut introduire dans les services publics et dans toute la société. Les syndicats doivent quitter les tables de négociations concernant la sécurité sociale, les retraites et l’assurance chômage. Aujourd’hui nous devons organiser les mobilisations qui seront nécessaires, en informant sur les dangers des privatisations et de la décentralisation, en nous organisant dans les syndicats pour obliger les directions nationales à entreprendre des actions de lutte. Nous devons aussi nous préparer à des luttes d’envergure européenne et internationale à l’occasion par exemple du sommet du G8 qui aura lieu fin Mai à Evian.
La Poste
Malgré des victoires des postiers en lutte qui ont pu stopper le processus de privatisation, le New Labour de Blair entend bien poursuivre celle-ci. La Poste vient par exemple d’annoncer qu’elle a l’intention de vendre au secteur privé son parc de 40 000 véhicules.
Le Rail
Après la privatisation totale des chemins de fer britanniques, la sécurité a été tellement bradée pour les profits que plusieurs accidents dramatiques se sont produits, faisant plusieurs morts. Sous la pression des cheminots et de l’opinion publique, Blair a été contraint de restaurer un certain contrôle de l’Etat sur le réseau, sans pour autant remettre en cause sa gestion privée. Les incidents continuent à se multiplier.
Métro de Londres
Sous le régime du PPP (Public Private Partnership, partenariat public privé), c’est encore la loi du profit qui y règne, au détriment de la sécurité des usagers. La qualité des infrastructures elles-mêmes se dégrade, les matériaux n’étant pas suffisamment résistants à cause des économies faites sur leur réalisation : par exemple, les traverses de béton se brisent sous les vibrations au passage des trains.
L’Energie
Après la privatisation de la distribution d’électricité, sous le prétexte de meilleures efficacité et rentabilité, on a pu constater que les coûts de production restaient similaires à ceux des pays où le monopole d’état subsiste (comme en France), mais que les incuries de la gestion capitaliste et la recherche du profit à court terme ont quand même contraint l’Etat britannique à des aides financières à la distribution d’électricité : un comble !
Les Territoriaux
Dans les County Councils, les réductions budgétaires sont massives et les personnels entrent en lutte. Les réductions budgétaires vont entraîner la fermeture de quatre bibliothèques sur sept. Le budget des services sociaux a diminué de 7,8%. Pendant ce temps, il est démontré que la privatisation des services de voirie par les Councils leur a coûté plus cher que lorsque c’était un service public. Encore un choix qui n’est pas perdu pour tout le monde, sauf pour les travailleurs, et qui nous montre ce que peut donner la décentralisation dans le cadre du capitalisme.
L’Education
La privatisation y est en marche, essentiellement par le biais des PFI (Private Finance Initiative, accords de financement d’établissements scolaires par des entreprises). L’enseignement public était déjà largement concurrencé par le privé, après avoir vu ses moyens réduits pendant des années. Ceci pousse encore plus des parents à inscrire leurs enfants dans des établissements privés. Les luttes contre les PFI, parfois victorieuses, sont restées isolées.
Le salaire au mérite fait que des enseignants qui ont les mêmes missions peuvent gagner du simple au triple, alors qu’ils doivent se « vendre » pour se faire embaucher par les chefs d’établissements. Les enseignants mènent une longue lutte pour la revalorisation de leurs salaires.
Dans la formation professionnelle, les salaires et les conditions de travail se sont terriblement dégradés depuis la privatisation il y a dix ans : sur les 360 employeurs de l’Angleterre et du Pays de Galles, aucun ne respecte les accords sociaux. Plus de la moitié des cours sont assurés par des vacataires employés sur des contrats à court terme, la plupart du temps placés par des agences spécialisées.
Par Virginie Prégny et Pascal Grimbert