Turquie : la politique meurtrière du président Erdogan

Aux funérailles de son frère, jeune capitaine tué lors d’affrontements au Kurdistan, l’officier Mehmet Alkan laisse éclater sa colère. En réponse au ministre de l’énergie qui avait dit le 19 août : «mon but est de mourir en martyr », Alkan a notamment dit : «Ne me dites pas que vous aimeriez tomber en martyr alors que vous êtes protégés par 30 gardes du corps et que vous vous déplacez dans un véhicule blindé». Les journaux turcs ont largement couvert cet évènement qui n’est pas isolé et montre la colère grandissante contre l’AKP et les privilèges de ses dirigeants.
Aux funérailles de son frère, jeune capitaine tué lors d’affrontements au Kurdistan, l’officier Mehmet Alkan laisse éclater sa colère. En réponse au ministre de l’énergie qui avait dit le 19 août : «mon but est de mourir en martyr», Alkan a notamment dit : «Ne me dites pas que vous aimeriez tomber en martyr alors que vous êtes protégés par 30 gardes du corps et que vous vous déplacez dans un véhicule blindé». Les journaux turcs ont largement couvert cet évènement qui n’est pas isolé et montre la colère grandissante contre l’AKP et les privilèges de ses dirigeants.

Le président de Turquie, Erdogan, est en train de déclencher une nouvelle guerre dans une région qui n’en avait pas besoin. Sous couvert de «guerre au terrorisme», l’armée turque frappe principalement les zones kurdes, en particulier les militants du PKK (le parti des travailleurs du Kurdistan) et de sa branche armée. Erdogan a déclenché cette offensive fin juillet, malgré la trêve qui existait depuis 2013. Le nombre de soldats et de policiers tués va rapidement dépasser la centaine et plus d’un millier de civils et militants ont été tués. Erdogan, qui a essuyé un profond recul aux élections de juin dernier, s’est engagé dans une véritable fuite en avant pour tenter de forcer à un vote massif pour ses listes aux élections anticipées du 1er novembre.
Mais, même s’il remportait un succès, ce qui est loin d’être probable, il s’est plus que jamais discrédité aux yeux de couches de plus en plus larges de la population de Turquie. Si la guerre en cours a eu comme premier effet de freiner la radicalisation à gauche qui se produisait dans une partie de la jeunesse, des travailleurs et des couches populaires de la population turque, quelle que soit sa culture et sa langue, le retour de bâton n’en sera que plus fort tant la rage contre les classes privilégiées qui s’enrichissent grâce à la politique procapitaliste d’Erdogan est grande.

Victoire de Kobanê, défaite pour Erdogan

Depuis l’insurrection en Syrie voisine et l’apparition du phénomène «Daesh» (le prétendu «Etat islamique» qui n’est ni l’un, ni l’autre), Erdogan a prétendu ne pas intervenir tout en soutenant de fait Daesh. La résistance héroïque de Kobané, au Nord de la Syrie et à la frontière turque était une grosse épine dans le pied de cette tactique. Et lorsque les résistants et les résistantes de Kobanê, organisés au sein des Unités de défense populaire/unités de défense féminine (YPG/YPJ, liées au PKK) ont vaincu Daesh en janvier 2015, le problème s’est amplifié. D’autant plus que si les YPG/YPJ ont réussi là où toutes les armées de la région ont échoué (que ce soit les forces gouvernementales de Syrie, d’Irak ou du « kurdistan » irakien, avec ou sans l’aide des impérialistes) c’est parce qu’en défendant Kobanê, les résistants et les résistantes défendaient également une ville en pleine révolution.
Bien que le programme reste assez limité, la « charte du Rojava », la constitution révolutionnaire de Kobanê, revendique de construire une société démocratique et égalitaire : pas de discriminations contre les minorités qu’elles soient arabes, kurdes, arméniennes, ou autre, égalité homme-femme, services publics développés pour la satisfaction des besoins… L’opposé complet de ce que font les gouvernements de la région ou de ce que prônent les barbares de Daesh dont la politique se résume au pillage, aux trafics utilisant la religion comme couverture idéologique. Kobanê apparaissait comme une victoire sur Daesh mais aussi contre Erdogan.
Des luttes se sont multipliées au travers de toute la Turquie, et beaucoup qui aspirent à une société débarrassée de la misère et de l’oppression trouvaient en Kobanê et dans les nombreuses victoires des YPG/YPJ contre Daesh, un encouragement.
Le HDP, parti démocratique des peuples, a commencé à être le véhicule de ces espoirs et de ces luttes. Revendiquant les mêmes droits pour tous, remettant en cause, certes trop timidement encore, le capitalisme, le HDP est apparu comme le grand gagnant des élections de juin dernier où il a remporté 13 % des suffrages et 80 députés. Daesh n’avait plus que des attentats barbares et aveugles comme réponse, telle l’attaque du 25 juin dernier où un commando a massacré plus de 200 civils dans les rues de Kobanê.

Provoquer la guerre pour contrer le HDP

L’armée turque a alors reçu l’ordre de se préparer à se déployer… dans une bande au Nord de la Syrie à côté de Kobanê, et ce, au lendemain d’une nouvelle victoire des YPG/YPJ qui ont libéré la ville de Tal Abyad des griffes de Daesh. Erdogan veut instaurer une zone contrôlée par l’armée turque qui pourrait alors faire pression sur Kobanê. Parralèlement, l’offensive contre les kurdes et le PKK a été déclenchée sous prétexte de combattre tous les «terroristes». A ce jour aucun combat réel contre Daesh n’a eu lieu tandis qu’on compte plusieurs centaines de morts parmi les militants kurdes et la population civile. De fait, Erdogan aide Daesh en frappant les kurdes. 13 provinces, de l’extrême Sud-Est de la Turquie (de Cizre à Hakkâri et autres) sont régulièrement bombardées.
Il sera impossible dans ces conditions que les élections aient lieu. Or, ces régions ont voté HDP à presque 80% voire plus en juin dernier. Punition collective Erdogan ne fait plus mystère de ses méthodes et intentions. Lors d’une allocution le 6 septembre, il a notamment déclaré «la recrudescence des violences entre le PKK et les forces de sécurité aurait pu être évitée si l’AKP l’avait largement emporté en juin. Si un parti avait obtenu 400 sièges aux élections (sur 550) et atteint le nombre requis au parlement pour changer la Constitution, la situation serait différente». Ce changement de constitution prévoyait ni plus ni moins, un renforcement de ses pouvoirs. Sa politique se résume donc désormais à envoyer de jeunes soldats se faire tuer pour punir la population de Turquie de ne pas avoir voté pour lui et d’essayer de polariser la société turque sur la question du PKK et des kurdes. A force de tendre ainsi la situation, la politique d’Erdogan va certainement encourager les groupes racistes et ultranationalistes turcs à commettre de plus en plus de violence comme ils ont commencé à le faire en attaquant des locaux du HDP et avec l’intention de plonger la population dans une «guerre de rue raciste».

Le besoin d’un mouvement d’opposition de masse

La colère est forte dans la société. Des familles de soldats turcs morts dans ces opérations expriment leur colère car ce sont les enfants du peuple qui meurent et pas ceux des riches et des notables de l’AKP (le parti d’Erdogan) qui sont bien au chaud loin des opérations. A tel point que des ministres ont été chassé de certaines cérémonies funéraires.
Erdogan perdra son pari, que ce soit aux élections du 1er novembre ou un peu plus tard. Il est de plus en plus rejeté par la population et sa politique au seul profit des riches et des multinationales aussi. La guerre va aggraver une situation économique déjà tendue par un fort endettement, une production quasi uniquement destinée à l’exportation et une corruption généralisée dans les sphères du pouvoir jusqu’à la famille d’Erdogan. De nouvelles révélations auraient aujourd’hui un effet encore plus dévastateur pour un pouvoir qui perd chaque jour sa base de soutien. Le rôle du HDP et des autres organisations de gauche de Turquie est de proposer et de construire un mouvement de masse des travailleurs, de la jeunesse et des couches populaires de la société, qui allie rejet de la guerre barbare initiée par Erdogan et revendications sociales et démocratiques pour tous les travailleurs et travailleuses et le peuple. Car même si les mesures d’autodéfense des branches armées du PKK et des autres organisations sont légitimes face aux attaques barbares des forces spéciales turques, la tactique de guérilla pour combattre la politique d’Erdogan serait erronée aujourd’hui tant c’est un mouvement de masse qui est possible et nécessaire contre le régime semi-dictatorial de l’AKP.

Par Alex