Les manifestations de colère ont émaillé l’été. Éleveurs bovins et porcins, producteurs de lait protestent contre le trop faible prix auquel est acheté le produit brut (la carcasse de l’animal ou le litre de lait). Et ce phénomène a également lieu en Allemagne ou en Belgique. Partout la même réalité : bien que producteurs, les agriculteurs ne fixent pas le prix de vente de leur marchandise et sont même en position de faiblesse face aux gros acheteurs : les groupes industriels qui transforment les produits bruts et les grandes chaînes commerciales. De plus, les événements internationaux (comme l’embargo sur la Russie) frappent directement les exportations notamment celles du lait.
Le premier syndicat agricole, la FNSEA a donc pris la tête de mobilisations durant l’été et d’une manifestation rassemblant près de 1500 tracteurs à Paris le 3 septembre. Son dirigeant, Xavier Beulin a déclaré à l’issue de toute cette agitation qu’il pensait que Valls «avait pris la mesure du dossier», lequel Valls a refait son show après le «j’aime l’entreprise» de l’année dernière : il a annoncé un plan d’aides (en fait pas grand chose, surtout des facilités fiscales et des prêts bancaires) en disant que c’était «un message d’amour».
Dans la réalité, rien n’a changé, vraiment rien. Et pour cause : les petits et moyens agriculteurs qui souffrent le plus de la situation n’ont aucun intérêt en commun avec le président de la FNSEA qui lui est à la tête d’un groupe agricole et agro-alimentaire de plus de 7 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Sa préoccupation n’est pas de maintenir les prix, elle est de trouver un soutien financier de l’Etat pour pouvoir continuer à baisser les prix pour être «compétitif» comme ils disent. Et dans ce cas, ses concurrents, ce sont les autres agriculteurs, surtout les exploitations de taille moyenne que Beulin passe son temps à absorber quand ils sont en faillite. Et évidemment, Beulin est très ami avec les banques et les grandes chaînes commerciales car lui, il vend de très grosses quantités.
Si la situation est aussi terrible, c’est aussi parce que les abattoirs ont été privatisés, devenant des entreprises où il faut dégager beaucoup de profit au mépris des conditions de travail et d’hygiène.
Enfin, l’écoulement des marchandises est quasi entièrement concentré dans les mains des grands groupes de distribution (Auchan, Carrefour, Leclerc) ce qui leur permet de fixer des prix générateurs de milliards de profits, la plupart des denrées alimentaires étant par nature périssables, elles sont stockées et pour une partie jetées. Dans le prix d’un steak, il y a une partie des steaks qui ont été mis à la poubelle.
La question de l’agriculture est un sujet en soit, qui demande avant tout un coup d’arrêt à la logique de rentabilisation industrielle qui consomme tant d’énergie, appauvrit les sols et provoque tant d’autres problèmes qui deviennent quasi ingérables.
Mais la question des prix pourrait déjà être en partie réglée pour donner aux agriculteurs un revenu décent et non cette politique de la subvention qui ne va qu’aux plus riches.
En premier lieu, les abattoirs devraient redevenir publics, ceux qui ont été fermés devraient être rouverts : cela permettrait que les viandes ne fassent pas des milliers de kilomètres depuis la ferme jusqu’à l’assiette.
Des comités d’évaluation des prix, associant institutions publiques (Communes, Départements), syndicats d’agriculteurs, syndicats de travailleurs et associations de consommateurs devraient fixer un prix ou une fourchette de prix obligatoire pour tenir compte du coût réel des produits.
Des sortes de centrales d’achat publiques, par la nationalisation des grands groupes de distribution notamment, sous le contrôle des travailleurs de ce secteur, en lien avec la population, permettraient de réduire largement les coûts, et également de mieux organiser la distribution des produits alimentaires à l’opposé du gâchis actuel. En peu de temps, cela permettrait de gérer l’approvisionnement en fonction des besoins et non de la manière chaotique dont c’est fait actuellement.
Ce seraient les premières bases d’un vrai programme de lutte contre d’un côté le trop faible prix d’achat des produits agricoles bruts et de l’autre le prix démesuré qu’on peut se retrouver à payer en supermarché. De plus, l’existence de «centrales d’achat» permettrait d’importer seulement ce qui est réellement nécessaire pour là encore cesser de faire faire des milliers de kilomètres à des produits qui n’en ont pas besoin et d’en contrôler le prix et les conditions de production. Ces mesures ne sont que transitoires dans une période de crise des prix. Elles ne peuvent être coupées d’une lutte plus globale pour en finir avec la domination de la rentabilité maximale et immédiate qui est la vraie raison de l’appauvrissement continuel des petits et moyens agriculteurs tout comme des travailleurs et de la majorité de la population.
Par Alex