Socialisme, action radicale et démocratie directe

Depuis Seattle nous avons assisté à une vague d’actions radicales anti-capitalistes. La question sur le type d’action que nous proposons est devenue une discussion importante. Le choix du type d’action doit être en lien avec la discussion sur les institutions capitalistes et la nécessité d’une alternative au capitalisme. Nous ne considérons pas non plus l’action comme un objectif en soi mais comme un moyen de renforcer le mouvement anti-mondialisation et l’influence de nos idées.

Article paru dans l’Egalité n°88

Les actions directes (blocages, occupations…) peuvent être une arme forte parce que l’objectif est immédiat et apparaît clairement. Le blocage du sommet du forum économique mondial à Melbourne l’an dernier a réduit l’autorité politique de cette réunion. On y a montré qu’une grande partie de la population n’est pas d’accord avec les mesures néolibérales qui lui sont imposées. Dans ce sens, les mobilisations contre chaque sommet européen sont très importantes : elles font sentir aux dirigeants du monde qu’ils ne peuvent plus se réunir aussi facilement qu’avant pour leurs petites fêtes décadentes et leurs délibérations. A chaque sommet européen il y a une mobilisation massive qui oblige les dirigeants gouvernementaux à se réunir dans des forteresses inaccessibles pour la population. Au sommet du G8 à Gênes fin juillet 2001, les réunions se passent sur un yacht de luxe où tous les participants passent la nuit. C’est le gouvernement italien la seule possibilité d’éviter la confrontation avec les manifestants. Les mouvements de protestation vont peut-être obliger tous les sommets des institutions capitalistes à se tenir dans des lieux isolés comme le Qatar (petit pays proche de l’Arabie Saoudite) où aura lieu la prochaine réunion du FMI.

Sur quoi fondons nous nos actions ?

Pour nous, la mobilisation contre le sommet d’une institution capitaliste n’est pas un but en soi, c’est un moyen de transformer le mécontentement qui existe contre les effets de la politique néolibérale en engagement actif dans la lutte contre le système capitaliste tout entier. Le point de départ de notre approche est la nécessité d’une forte mobilisation de la classe ouvrière et des jeunes. La force d’une mobilisation de masse réside dans le soutien social qu’elle permet de construire par l’implication du maximum. A Göteborg l’intervention répressive de la police était une tactique pour criminaliser tous les manifestants et pour les présenter comme des hooligans. Le résultat escompté était d’effrayer les manifestants potentiels et de faire croire que tous ceux qui s’opposent à la politique de l’UE ne sont que des « hooligans politiques ». C’était donc une tentative désespérée pour contrer la résistance croissante. Comme la désinformation politique ne suffisait pas les autorités ont eu recours aux provocations policières et à la répression. Mais cette violence policière n’a que partiellement fonctionné. Sous la pression du CIO et de sa section suédoise Rättvisepartiet Socialisterna la manifestation a continué et on a même vu la plus grande manifestation que la Suède ait connu depuis la guerre ! Cela a aidé à faire de ce sommet un échec.

Aux institutions capitalistes nous opposons la mobilisation de masse et une campagne active parmi les ouvriers, les chômeurs, les jeunes, les retraités… Une telle mobilisation serait bien plus efficace que des actions spectaculaires minoritaires ou des actions éparses dans l’espace et le temps. Nous voulons manifester ensemble avec le maximum d’organisations et de groupes politiques dans l’esprit de « marcher séparément et frapper ensemble ». En d’autres termes : nous exigeons de pouvoir intervenir avec notre propre programme et avancer nos propres revendications, pour renforcer l’unité dans l’action. Pour cela nous comptons sur la force de la classe ouvrière plutôt que sur les négociations. Dans les milieux syndicaux en Belgique on compare souvent la lutte chez Renault et la lutte aux Forges de Clabecq au moment de la fermeture de ces entreprises. Dans le cas de Renault, de nombreux espoirs étaient mis dans l’obtention d’une législation contre les fermetures d’entreprise, dite Loi-Renault, dans l’espoir d’obliger la direction de l’entreprise à faire des concessions. Chez Clabecq, les travailleurs se basaient surtout sur leurs propres forces, la mobilisation et des actions de masse afin de construire un important rapport de forces qui pesa aussi dans les négociations. Les résultats sont clairs : à Renault ils ont seulement obtenu un plan « social » de licenciements alors que les Forges de Clabecq sont toujours ouvertes !

La violence individuelle

En réaction à la violence du capitalisme et de ses appareils de répression sur-armés comme la police, de nombreux jeunes répondent par une violence individuelle. Certaines organisations pensent qu’elles pourront construire par cette violence individuelle (par exemple en cassant les vitres de Mc Donalds) un soutien plus large et ainsi forcer la classe dominante à des concessions. Mais cette façon de mener les actions entraîne une répression forte contre le mouvement toute entier et mène à la marginalisation parmi la population. Notre critique la plus importante sur cette violence individuelle est le manque de confiance dans la classe ouvrière. L’absence des organisations du mouvement (notamment des syndicats) renforce ce manque de confiance. Mais en se laissant entraîner par les provocations policières, les jeunes donnent en fait plus d’arguments à leurs adversaires. Cela donne les moyens à la police de réprimer encore plus, et de discréditer le mouvement. En plus, cela dissuade de nombreux travailleurs de venir par peur de cette violence. Plutôt que de répondre par la violence individuelle, nous défendons l’organisation d’une riposte massive et organisée des jeunes et des travailleurs qui seule peut réellement empêcher les sommets et la violence policière d’avoir lieu.

Quelle autre raison y a-t-il pour organiser les actions de façon semi-clandestine et antidémocratique au sein d’un groupe restreint ? Jouer au plus radical, c’est facile. Mais engager activement et de façon démocratique une groupe plus large de la population dans un campagne contre le capitalisme est plus dangereux pour le système actuel ! Pour éviter les bagarres il sera très important que nous réussissions une grande mobilisation, et en plus que nous soyons organisés dans les manifestations afin d’éviter les provocations. Un exemple intéressant de méthode d’action que nous soutenons est celui des actions contre les expulsions des sans-papiers en France. Là, les militants anti-racistes protestaient contre la politique répressive qui expulse les « sans-papiers » (réfugiés en situation irrégulière). Ces militants allaient dans les aéroports pour convaincre les passagers des vols emportant des expulsés de s’opposer à l’expulsion en empêchant le départ de l’avion tant que les expulsés n’étaient pas redescendus. Grâce au soutien des voyageurs il est possible d’éviter un certain nombre d’expulsions parce que l’avion ne peut pas décoller. Ceci est beaucoup plus efficace que par exemple des actions de sabotage par des petits groupes qui ne feraient qu’énerver les voyageurs sans les impliquer dans la lutte.

Des groupes d’affinité

Une des propositions qui revient régulièrement dans les mobilisations anti-capitalistes est la création de groupes d’affinité : des petits groupes d’activistes qui prennent chacun une responsabilité et qui délèguent chacun un représentant à un comité organisationnel. Ces groupes d’affinité pourraient représenter un pas en avant s’ils étaient organisés de façon démocratique et s’ils arrivaient à des actions en commun. Nous trouvons important d’établir des structures démocratiques pour garantir la participation d’un maximum de militants aux discussions et aux décisions. Un groupe d’affinité pourrait donc être un premier pas pour élargir la base de l’action en engageant un nombre plus important de gens dans les décisions sur l’action. Les groupes d’affinité sont un pas en avant s’ils expliquent qu’il est nécessaire d’être organisé. Mais ils ne peuvent pas remplacer une organisation révolutionnaire qui est politiquement active au niveau national et international. Un des problèmes des groupes d’affinité est leur caractère isolé.

Unité dans l’action

Les marxistes sont partisans de fronts uniques pour renforcer les actions. La force de Seattle était la convergence de mouvements venant d’horizons différents. Les militants y étaient surtout des jeunes radicalisés, des syndicalistes et des membres des ONG. Ceux-ci avaient tous une stratégie différente avec des revendications différentes. Dans les organisations politiques il y a aussi des divergences d’opinion. Pour nous cela n’est pas un problème, car l’unité signifie une collaboration sur un but sur lequel on s’est mis d’accord (c’est à dire une action) et où aucune limitation n’est imposée sur les programmes politiques mutuels. Ainsi nous n’acceptons pas l’interdiction des calicots, des drapeaux, des tracts … La force de l’unité ne réside pas dans le fait que nous travaillons ensemble sur une base très minimale entre différentes organisations. La présence d’idées différentes, la possibilité d’une discussion ouverte pour arriver à des conclusions et faire ainsi des pas en avant est d’une importance cruciale.

Bloquer le sommet de l’UE à Bruxelles

Dans le passé nous avons déjà défendu l’appel à bloquer le sommet de l’UE à Bruxelles. Cela a amené une question parlementaire dans le Sénat belge de la part du Vlaams Blok néo-fasciste. Ils demandaient au Ministre de l’Intérieur s’il allait réagir contre cet appel à la « guérilla urbaine ». Mais le Blok a délibérément déformé ce que nous disions vraiment dans notre appel. Nous y soulignons la nécessité d’une mobilisation de masse et d’une manifestation réellement organisée. Nous y expliquons qu’ainsi nous voulons faire perdre toute autorité politique au sommet de l’UE à Bruxelles. Notre appel au blocage n’est pas un appel à saboter le sommet de l’UE de façon rusé, c’est un appel à construire une forte opposition de gauche contre la politique de droite.

Par Geert Cool (MAS/LSP, organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire en Belgique)