Réforme et révolution

Depuis les années 90, on assiste à une montée de la remise en cause de la mondialisation et des effets du capitalisme. L’offensive libérale des classes dirigeantes, les profits croissants des multinationales, l’écart grandissant entre les plus riches et les plus pauvres, les dégâts sociaux, économiques et écologiques du capitalisme, tout cela a contribué à dénoncer le libéralisme et à une radicalisation accrue des classes populaires face à la barbarie du capitalisme. Des associations anticapitalistes comme ATTAC ont vu le jour et connaissent un réel succès particulièrement chez les jeunes.

Article paru dans l’Egalité n°88

Le succès des manifestations anti-mondialisation à la suite de Seattle montre que la radicalisation des mentalités est une vraie nouvelle donnée politique. Contrairement aux années 60 et 70, ces mouvements ne mettent pas en avant de réelle alternative économique et politique. Ils avancent l’idée d’un  » capitalisme à visage humain  » établi par la pression des citoyens, sans remise en cause de ce système économique et en ne faisant que de timides références à la lutte des classes.

Cela pose la question de savoir s’il est possible de contrôler le capitalisme, et de le transformer par une série de réformes.

D’où vient le réformisme ?

Ce débat est apparu au début du XXème siècle dans les pays capitaliste développés.

L’histoire du capitalisme et du mouvement ouvrier n’a pas connu une évolution aussi rapide et rectiligne que les marxistes pouvaient l’espérer vers 1880. Car les contradictions internes de l’économie et de la société des pays impérialistes ne se sont pas immédiatement aggravées. Au contraire, l’Europe occidentale et les USA ont connu, entre la défaite de la Commune de Paris et l’éclatement de la première guerre mondiale, une période d’essor plus ou moins régulière qui masquait l’augmentation des contradictions internes du système, lesquelles allaient violemment éclater en 1914. Même s’il y eut des signes précurseurs comme la révolution russe et la grève générale des travailleurs autrichiens en 1905, l’expérience immédiate des ouvriers des pays capitalistes ne reflétait pas un approfondissement des contradictions du système. En effet leurs conditions de vie et de travail s’amélioraient, ils avaient obtenu le droit de s’organiser. Ainsi leur expérience immédiate créait l’illusion d’une évolution graduelle et pacifique vers le socialisme.

En fait ces améliorations étaient dues à plusieurs facteurs qui révélaient, à l’échelle mondiale, l’aggravation des contradictions. Le principal, la colonisation, permit, grâce au pillage des matières premières, à la bourgeoisie impérialiste d’engranger d’énormes surprofits qui lui permirent d’octroyer des réformes aux travailleurs des pays capitalistes développés. Mais ces réformes elle ne les céda pas de gaieté de cœur. En effet l’augmentation des exportations européennes vers le reste du monde et l’émigration massive vers les pays d’outre-mer, avaient durablement diminué le chômage, modifiant le rapport de force entre capital et travail au profit de ce dernier. Ce qui a créé les bases de l’essor d’un syndicalisme de masse, non restreint aux seuls ouvriers qualifiés. De plus la bourgeoisie effrayée par la Commune de Paris, les violentes grèves en Belgique (1886, 1893) et l’ascension apparemment irrésistible de la social-démocratie allemande, a délibérément cherché à calmer les masses révoltées au moyen de réformes sociales. Cela a entraîné un vif débat dans la social-démocratie européenne. Ce débat éclata le plus ouvertement dans la social-démocratie allemande entre Edouard Bernstein et Rosa Luxemburg. Une partie de la social-démocratie allemande, représentée par Bernstein, développa une attitude opportuniste avec l’abandon de toute activité autre que la recherche de réformes du système et l’acceptation des coalitions électorales avec des partis bourgeois « libéraux ». Cela les a conduit à ne pas mener de luttes conséquentes contre le colonialisme, et à ne pas non plus préparer la classe ouvrière au brusque changement de climat social qui se préparait et éclata en 1914. Au contraire Rosa Luxemburg continuait de défendre la nécessité de s’opposer au capitalisme, de déclencher des grèves sur des questions politiques, bref elle refusait de se limiter aux réformes car c’était faire le jeu de la bourgeoisie et abandonner toute volonté de transformation de la société, toute lutte conséquente pour le socialisme.

Peut-on réformer le capitalisme ?

Dans les pays capitalistes développés avec l’amélioration des conditions de vie et de travail, l’éducation, les acquis sociaux, le droit de vote au suffrage universel, on peut s’interroger sur la volonté des révolutionnaires d’en découdre avec le capitalisme. Les modifications de régime social qui se sont produites à travers les âges ont toujours été le résultat d’un changement brusque et violent, par suite de guerres, de révolutions ou d’une combinaison des deux. Il n’y a pas un Etat aujourd’hui qui ne soit pas le produit de tels bouleversements révolutionnaires. L’Etat américain est né de la révolution de 1776 et de la guerre civile de 1861-1965 ; l’Etat français des révolutions de 1789, 1830, 1848 et 1870 ; l’Etat belge de la révolution de 1830 ; l’Etat néerlandais de la révolution des Pays-Bas du XVIème siècle, etc.

Le capitalisme produit les conditions de son dépassement, mais il s’est aussi doté de différents moyens de résistance au changement, dont le principal est de posséder le pouvoir politique via l’appareil d’Etat et les moyens de le garder via la police et l’armée. Les institutions de l’Etat protègent la propriété privée des moyens de production, interdisant entre autre la réquisition des entreprises par la population même quand la gestion de leurs dirigeants apparaît opposée à l’intérêt général comme c’est le cas pour Danone en France aujourd’hui.

Si la classe ouvrière ne se saisit pas du pouvoir politique, la bourgeoisie lui reprendra chacun de ses acquis et le capitalisme ne sera pas dépassé par le socialisme.

Prenons un exemple concret : la réduction du temps de travail. Tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, les travailleurs se sont battus pour la réduction du temps de travail et la bourgeoisie à chaque fois a remis en cause cet acquis en augmentant la productivité. Ainsi non seulement le patronat réussit à reprendre ce qu’il a été obligé de céder mais en plus en ayant besoin de moins de travailleurs pour produire plus, il augmente le chômage et la précarité de la classe ouvrière. La seule « réforme » qui permette aux travailleurs de travailler seulement le temps socialement nécessaire pour produire ce dont la population a besoin c’est de partager le temps de travail également entre tous et ceci bien entendu avec une paye suffisante. Mais cette revendication remet directement en cause le mode de production capitaliste puisqu’elle sous-entend que chacun serait rémunéré non en fonction du nombre d’heures travaillées mais en fonction de ses besoins ; c’est-à-dire que tous les besoins étant couverts par la production chacun aurait de quoi les satisfaire.

Un exemple actuel : la taxe Tobin

Les actuels mouvements contre la mondialisation, ont repris la revendication de l’instauration de la taxe Tobin. Cette taxe de 0,1 % serait appliquée aux transactions financières spéculatives internationales. L’argent ainsi dégagé servirait à lutter contre la pauvreté, pour l’éducation et la santé dans le monde. Mettre en avant la taxe Tobin revient à mettre sur le devant de la scène la spéculation financière internationale comme cause de tous les maux. Cela tend à opposer les « méchants » spéculateurs boursiers aux « bons » producteurs industriels, comme par exemple les « mauvais » licenciements boursiers de Danone aux « bons » licenciements de Marks&Spencer. Ainsi ce qui poserait problème aujourd’hui ce serait surtout les excès du capitalisme et la spéculation boursière. C’est oublier que dans le capitalisme toute production industrielle tend à aboutir à la spéculation et que la concurrence sauvage entre les entreprises se conclut toujours par le licenciement des travailleurs. Comme cette taxe ne s’attaque qu’aux conséquences du capitalisme, les moyens pour la garantir restent complètement flous et rien n’empêcherait les spéculateurs, si elle était appliquée, de récupérer cet argent d’une façon ou d’une autre.

Dés le départ le réformisme est l’illusion qu’il est possible de transformer graduellement le capitalisme par une accumulation de réformes. En fait si au départ la social-démocratie a continué de revendiquer un changement radical de société, le réformisme ne permet pas de l’atteindre. En se limitant à l’exigence de réformes non seulement il rend celles-ci moins efficaces mais il conduit à une adaptation de plus en plus importante au capitalisme notamment par l’intégration à l’appareil d’Etat. Ainsi, les partis sociaux-démocrates qui ont fait le choix du réformisme se sont tous transformés en loyaux gestionnaires du capital dans la plupart des gouvernements européens et ce sont eux qui mènent les offensives actuelles contre la classe ouvrière. Ce n’est que par la lutte de la classe ouvrière unie nationalement et internationalement que l’on pourra combattre efficacement le système barbare qu’est le capitalisme. Il faut s’attaquer au système capitaliste dans son entier et non seulement à ses excès en sachant que la bourgeoisie résistera de toutes ses forces. Une autre politique sociale et économique est possible, si l’on se bat pour une alternative socialiste.

Par Clara Nesic