Que penser de l’ouverture du capital de GDF ?

La logique de déréglementation et de libéralisation inhérente à la construction capitaliste de l’Europe communautaire pousse à la transformation des sociétés publiques en société privée dotée d’un capital social afin de jouer au grand jeu de la concurrence mondiale. Après le changement de statut d’EDF et la privatisation partielle de France Télécom, le gouvernement veut profiter du cours laps de temps entre les municipales et le début de la campagne présidentielle pour modifier le statut de Gaz de France.

Article paru dans l’Egalité n°86

Dans un premier temps, il s’agit de transformer GDF d’Etablissement public industriel et commercial (EPIC) en société anonyme afin de permettre l’arrivée de nouveaux actionnaires comme EDF ou Total-Fina-Elf. Le changement de statut permettra des fusions-acquisitions et des participations croisées afin d’étendre les parts de marchés en Europe mais aussi de renforcer le rôle de l’entreprise concernant les gisements. En clair, il s’agit de mettre GDF en concurrence avec tous les autres producteurs et distributeurs de gaz européen. D’après le Parti Socialiste, cette mise en concurrence n’est aujourd’hui pas contradictoire avec la poursuite d’une activité de service public alors qu’en 1997 Lionel Jospin annonçait sa préférence pour un contrôle à 100 % par l’Etat des entreprises publiques. La position du PCF est de s’opposer à l’ouverture du capital tout en proposant que GDF passe des alliances fortes avec d’autres opérateurs.

Nous savons que l’ouverture du capital de GDF n’est qu’un premier pas vers la privatisation d’une entreprise qui peut à terme être source de gros profits pour ses actionnaires, surtout avec la libéralisation totale du marché de l’énergie prévue pour 2005. De ce point de vue, il est clair qu’il est nécessaire de s’opposer au changement de statut de GDF. Cependant, cela doit nous amener à réfléchir sur le bilan des entreprises nationalisées et sur l’élaboration de notre programme à cet égard.

Propriété du Capital et critère de gestion

Pour décrire le système capitaliste en quelques mots, on peut dire qu’il s’agit d’un système où seule la rentabilité du capital investi importe, c’est à dire combien rapporte au bout d’un an une action de 100 F placée dans une entreprise. Dans ce monde de concurrence, seul le profit compte et la production de biens ou de services n’est en fait qu’un des moyens d’arriver à ce but ultime. Pour arriver à leurs fins, les entreprises se rachètent les unes les autres pour capter de nouveaux marchés tout en jetant des milliers de travailleurs à la rue.

Nous le voyons, la question de la propriété des capitaux investis dans une entreprise est donc cruciale. Partant de là, certains auteurs ont présenté les sociétés nationalisées, où le capital est propriété de l’Etat, comme des sociétés radicalement différentes des sociétés privées. Malheureusement, il s’agit d’un raccourci trompeur. L’étude des nationalisations en France, celles de 1945 comme après montre qu’il n’en est rien. A la sortie de la seconde guerre mondiale, libéraux et sociaux-démocrates se sont servis des entreprises nationalisées comme support pour le relèvement du capitalisme français. Ainsi, EDF, SNCF, ELF et les banques nationalisées ont été utilisés pour financer de nombreuses infrastructures manquantes. Quant aux nationalisations de la période Mitterrand, elles n’ont eu comme seul objectif que de renflouer des entreprises en difficulté avec les deniers publics avant de les offrir à bas prix à des actionnaires privés en quêtes d’affaires faciles.

En fait, les entreprises nationalisées n’ont jamais utilisé d’autres critères de gestion que ceux qui existaient avant et qui existeront après elles. Comme toutes autres entreprises, elles calculent d’abord en terme de rentabilité économique et financière plutôt qu’en terme d’utilité ou de coût social. Et cela se traduit toujours de la même façon par une dégradation des services et des conditions de travail comme le montre le triste exemple du rail anglais où les problèmes ne datent pas de la privatisation. Si l’on peut définir le communisme comme l’abolition de la propriété privée des moyens de production, il est nécessaire de faire la différence entre Etatisation / Nationalisation et contrôle ouvrier.

Contrôle des travailleurs : pour des entreprises au service de la population

Au-delà de la question sur la propriété du capital, la véritable question est bien de savoir qui contrôle le pouvoir dans l’entreprise et pour quels objectifs. Dans les sociétés à structures coopératives, chaque salarié qui apporte une part de capital, quel que soit le montant, obtient une voix délibérative. Ainsi, les salariés sont collectivement propriétaires et décideurs. Cependant, dans une situation où les biens produits par la coopérative sont mis en concurrence sur le marché avec les biens produits par les entreprises classiques, la coopérative n’a pas d’autres solutions que d’opter, si elle veut survivre, pour une logique de coûts et de bénéfices.

Ce qu’il faut en conclure, c’est qu’il n’est pas possible, dans le cadre de marchés ouverts, de mettre en place des formes de sociétés radicalement différentes des sociétés capitalistes classiques. Ainsi, au fur et à mesure que le marché s’ouvre, sous la pression de Bruxelles, les mutuelles d’assurances (construites par le mouvement ouvrier comme gérantes de la protection sociale des travailleurs de manière indépendante du patronat) n’ont pas d’autres choix que de réduire leurs coûts face à la concurrence des assureurs privés.

Si seul un changement radical de société peut permettre de changer les choses, cela ne se fera pas sans une multiplication de luttes montrant l’exemple à suivre. Pour produire ce dont ils ont besoin, les travailleurs n’ont pas besoins d’actionnaires costards-cravates avec les yeux rivés sur le court de la bourse. Chaque salarié connaît son travail mieux que quiconque et devrait de ce fait être associé à la gestion de l’entreprise. Conscients qu’ils produisent pour le bien de tous, les salariés sont en capacités de prendre dès demain la direction des entreprises quel que soit le niveau de complexité.

Ainsi, au lieu de centrer uniquement la bataille contre l’ouverture du capital, les syndicats de GDF devraient en priorité avancer la nécessité d’une véritable entreprise de service public de l’énergie dont l’objectif numéro 1 serait de fournir à chacun de quoi se chauffer et s’éclairer quels que soient ses moyens financiers nécessaires et ce à un bas prix pour tous, que l’on habite à côté d’une centrale ou dans une maison isolée en montagne. Le meilleur moyen pour défendre le statut des agents d’EDF ou de GDF est de promouvoir la lutte collective, pour un service public de qualité dirigé par les salariés au service de la population.

Par Gérald Le Corre