Iran : le meurtre de Mahsa Amini déclenche un mouvement révolutionnaire dans la jeunesse. Pour une lutte de masse des jeunes et des travailleurs !

Suite au meurtre d’une jeune femme, Marsha Mehran, kurde iranienne, par la sanguinaire police des mœurs, la jeunesse iranienne se soulève une nouvelle fois depuis trois semaines contre la dictature réactionnaire du pouvoir religieux de Raïssi « dit le boucher ». Cette révolte contre l’ordre moral et l’absence de droits démocratiques s’étend peu à peu à l’ensemble des villes d’Iran : 170 villes seraient touchées par la mobilisation dans plus de 30 provinces du pays.

Jusqu’à récemment le mouvement a pris essentiellement la forme de manifestations nocturnes, donnant lieu à des affrontements, qui sont réprimées dans le sang : la police aurait fait plusieurs dizaines de victimes officiellement – beaucoup plus selon les ONG comme Human rights watch qui parle de 92 morts – un millier de blessé-e-s et des milliers d’arrestations. 48 universités sont en grève, le mouvement commence à prendre dans les lycées (des lycéennes manifestent de jour, en retirant, pour certaines, leur voile). Des appels à la grève ont eu lieu dans certains secteurs géographiques (kurdistan iranien) ou d’activité (transport). Mais, pour l’instant, il est difficile de savoir si ce mouvement de grève s’enracine vraiment. Par ailleurs, l’Etat tente de bloquer la mobilisation en coupant internet et les réseaux sociaux sur lesquelles elle s’organise.

Un régime sur des braises ardentes mais qui tient… jusqu’à maintenant !

En 1979, après plusieurs mois de luttes, de manifestation et de grèves, la révolution iranienne renverse le régime monarchique, dictatorial et violent du Shah Mohammed Reza Palhavi, soutenu par l’impérialisme américain et occidental. Le mouvement religieux autour de l’ayatollah Khomeini s’impose par la violence sanglante entre autre à l’encontre des autres courants ayant pris part à la révolution, en particulier contre les différents courants staliniens ou communistes.

Ils instaurent un régime dirigé par les mollahs, les ayatollahs et les Gardiens de la révolution. La République islamiste est proclamé le 1er avril 1979, le système capitaliste est maintenu – les religieux n’ayant pas le moins du monde envie de le remettre en cause, au contraire ! – et l’ordre moral religieux s’impose à tous et surtout à toutes.

Durant une décennie, entre 1980 et 1990, l’Iran est en guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. L’Etat autoritaire et meurtrier irakien servant de fer de lance de l’impérialisme occidental contre la République islamique d’Iran – avant qu’il ne devienne à son tour un prétexte pour envahir le pays. Toute contestation est bien évidemment difficile à exprimer durant cette période.

Le mouvement ouvrier iranien, en particulier syndical, est interdit, en grande partie laminé et quoi qu’il en soit l’activité ouvrière est clandestine et fortement réprimée. Il n’est pas rare que des militants ouvriers qui mènent une « activité syndicale » (donc de manière autonome aux conseils islamiques du travail : organismes regroupant à la fois les représentants du ministère du travail, des employeurs et des salarié-e-s dûment sélectionné-e-s pour leur allégeance au gouvernement et pour leur affiliation religieuse) se retrouvent derrière les barreaux.

Cependant, depuis plus de 10 ans – en 2009, 2011 et 2012, en 2017-2018 puis en 2019-2020 et aujourd’hui (voir ci-contre le rappel des soulèvements en Iran) – l’Iran est secoué régulièrement par des mouvements sociaux et démocratiques de grande ampleur.

Ces soulèvements de masse ont entrainé successivement à plusieurs reprises des couches différentes de la population : d’une part, la jeunesse étudiante, la classe moyenne et la petite-bourgeoisie iranienne (en voie de déclassement à cause de la situation économique) sur des questions politiques (électorales), de corruption et des droits démocratiques, en particulier liés à l’organisation sexiste de la société. D’autre part, les couches de travailleurs et pauvres, de petits patrons en difficulté sur des revendications d’ordre social due à la hausse des prix en particulier concernant le carburant.

Parallèlement à ces luttes de masse, la classe ouvrière, en particulier dans les secteurs du pétrole, des mines, de l’industrie ou de l’éducation, lutte régulièrement et organisent des mouvements de grève qui sont réprimés par des arrestations, la condamnation et l’emprisonnement des militants syndicaux.

Tous ces mouvements sociaux marquent une aspiration forte à la fois à une amélioration des conditions de vie, de travail, mais aussi à en finir avec l’ordre moral, la république islamique et donc à acquérir de droits démocratiques inexistants pour l’instant dans le pays. Ils ont en commun de cibler les autorités aux mains de la caste religieuse, d’une manière de plus en plus évidente, sans pourtant réussir jusqu’à maintenant à renverser le pouvoir, et en subissant une répression sanglante féroce.

Pour un mouvement des travailleurs, des pauvres et de la jeunesse

La jeunesse étudiante se soulève donc une nouvelle fois contre l’ordre moral, l’absence de droits démocratiques et contre la violence meurtrière des affidés du pouvoir religieux. S’il existe certainement un mouvement de sympathie dans la population pour leur combat, cette jeunesse héroïque reste néanmoins isolée dans ces manifestations nocturnes et ces affrontements avec la police, qui restreint de fait la participation aux actions à celles et ceux qui acceptent le danger encouru des combats de rue.

Le risque de cet isolement, c’est que le rapport de force instauré ne soit pas suffisant pour défier le pouvoir, et par conséquent qu’une nouvelle fois cette contestation sociale s’épuise dans un mouvement qui atteindra ses limites au fur et à mesure que les victimes de la répression s’amoncelleront.

La jeunesse étudiante et lycéenne en lutte doit se lier à la classe ouvrière et aux couches précarisées et pauvres de la société en portant, en plus des aspirations démocratiques légitimes, en particulier d’égalité entre les femmes et les hommes, les revendications sociales d’amélioration de vie et de travail pour la majorité de la population.

La classe ouvrière doit pouvoir s’engager dans la lutte actuelle, comme en 2019, pour de meilleurs salaires et le blocage des prix, et, au moyen de la grève dans les entreprises, en particulier dans le secteur pétrolier, mais aussi dans les services publics, et mener le combat contre le régime d’Ebrahim Raïssi.

Pour y parvenir, les travailleurs, les jeunes et les opprimés ont besoin de leur propre parti qui combine la lutte pour les revendications démocratiques, le droit d’organiser et de tenir des élections libres, les revendications économiques et sociales, et la fin de l’oppression. Les questions de nationalisation et de contrôle des travailleurs sur l’économie doivent être au cœur de combat. Lors des luttes en 2018, comme par exemple, celle par les travailleurs de l’usine-sucrerie de canne de Haft Tappeh, ces points ont été soulevés. Ils constitueraient une partie importante d’un programme socialiste visant à transformer la société. Un parti ouvrier avec un tel programme socialiste pourrait unir les luttes de tous les travailleurs, ainsi que les luttes d’autres mouvements sociaux et écologiques. Il pourrait leur fournir une voie claire pour rompre avec l’oppression et le capitalisme en établissant un gouvernement dirigé par des représentants des travailleurs et des peuples opprimés.

Article par Yann Venier

Soulèvements politiques et sociaux de masse en Iran depuis 2009

En juin 2009, l’élection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République est contestée par l’opposition « plus libérale » et « réformiste » de l’Ayatollah Karoubi qui dénonce des fraudes électorales. Il s’ensuit dans tout le pays 15 jours de manifestations massives (plus de 100.000 manifestants à Téhéran le 18 juin), en particulier de la jeunesse étudiante. Ces manifestations seront sévèrement réprimées par la police et les soi-disant « Gardiens de la révolution ». Au total, plus de 150 personnes auraient été tuées par le régime (soit au cours des manifestations soit après leur exécution), des milliers auraient été arrêtées et torturées, dont des centaines violées en prison par les agents du régime.

En 2011, à la suite du Printemps arabe et du soulèvement de 2009, de nouvelles manifestations massives ont lieu de février à avril, contre Ahmadinejad et son gouvernement à l’appel de l’opposition « réformatrice », ainsi qu’en 2012 mais le mouvement est de moindre ampleur.

Il faudra attendre ensuite décembre 2017 pour qu’un nouveau mouvement social d’ampleur ait lieu sous la présidence de Rohani, prétendument religieux « modéré ». Ce dernier annonce une politique d’austérité : coupes dans les budgets sociaux et hausse du prix du carburant et des produits alimentaires – dans un contexte où malgré l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 imposé par l’impérialisme occidental (après des années de sanctions) la situation économique et social ne s’est guère améliorée. 10% d’inflation (au lieu de 40% sous Ahmadinejad), 12,5% de la population active au chômage (27% chez les jeunes). Du 28 décembre 2017 au 1er janvier 2018, de violentes manifestations se développent dans tout le pays, y compris dans les petites villes, contre la situation sociale et économique, contre la corruption et contre le pouvoir, prenant ainsi un tour politique. Le bilan officiel fait état de 25 morts, dont plusieurs en détention, et plusieurs centaines d’arrestation.

Suite aux nouvelles sanctions impérialistes imposées par l’Etat américain dirigé par Trump, l’économie iranienne décroche : récession de plus de 9%, inflation à 40%, taux de chômage à plus de 20%. Alors, dans un contexte socialement agité au Moyen-Orient (mouvement de masse au Liban et en Irak), en novembre 2019, une nouvelle vague de manifestations survient contre la hausse des prix, en particulier du carburant, qui prend une nouvelle fois une dimension politique puisque les plus hautes autorités de l’Etat sont ciblées par les manifestants.

Cette 1ère vague de contestation sociale se développe dans tout le pays (plus de 100 villes) et a un caractère de masse (200.000 manifestants à Téhéran), réunissant les couches de la société les plus précarisées et pauvres, les travailleurs et travailleuses mais aussi la petite-bourgeoisie en voie de déclassement. Très vite, les manifestations prennent un caractère d’émeute dans une quarantaine de villes, avec des affrontements violents avec la police, qui tuera entre 200 et 1500 manifestants selon les sources et arrêtera plus de 7000 personnes selon Amnesty international et l’ONU.

Au mois de janvier 2020, suite au crash d’un avion de ligne ukrainien dans lequel se trouvait une majorité d’Iraniens abattu par erreur par les Gardiens de la révolution, une seconde vague de manifestations a lieu, de moindre ampleur, et composée essentiellement par la jeunesse étudiante, qui cible le régime, aussi bien « conservateurs » que « modérés » ou « réformistes ».