De Dublin à Athènes, les mêmes attaques contre l’éducation… la même revendication : Pour une école gratuite et ouverte à tous !

La conférence d’International socialist resistance (ISR/RI), réunie à Bruxelles le 15 décembre 2001, a décidé de lancer une campagne internationale pour la gratuité de l’éducation. Il a été proposé qu’une journée d’action internationale soit organisée le 15 mars. Cette journée coïncide avec le sommet de l’Union européenne qui débattra à Barcelone de l’éducation.

Article paru dans l’Egalité n°94

La « marchandisation » de l’éducation : c’est quoi ?!

Selon l’OCDE les dépenses publiques mondiales dans le secteur de l’éducation représentent 1000 milliards de dollars. Voilà un chiffre qui ne laisse aucun doute quant aux intentions des gouvernements lorsqu’ils parlent de « moderniser » ce secteur.

Plus d’autonomie

Même si les réformes diffèrent en fonction des situations propres à chaque pays, le processus de libéralisation de l’enseignement suit la même logique et passe par les mêmes attaques. Tout d’abord, les financements publics se réduisent d’année en année (-40% en Angleterre depuis l’arrivée de Blair) Dans les pays capitalistes avancés la part des dépenses publiques pour l’éducation n’a pas progressé depuis 20 ans. Pour l’OMC l’éducation représente un coût, d’où leur recommandations aux gouvernements à travers le GATS et l’AGCS préconisant une baisse des dépenses publiques et applaudissant les réformes.  » Ces réformes offrent aux établissements une plus grande autonomie en terme de droit à fermer ou ouvrir des départements ou des facultés. […] Les conséquences de ce déplacement des responsabilités comprend moins de financements publics , plus de compétition et de réformes pour baisser les coûts et augmenter les recettes. » (Conseil pour le commerce des services, notes du secrétariat, 23 septembre 1998.). Dans des pays comme la Malaisie, cela se traduit par le financement d’établissements privés étrangers, combiné à des coupes budgétaires dans le public. Il y a donc un système privé pour l’élite et le système public pour les autres.

En Europe le relais de ces politiques est le lobby patronal ERT. L’ERT (Table Ronde Européenne), le plus important lobby patronal, déplorait en 1989 que les gouvernements européens dépensent « trop » pour les étudiants qui ne réussissent pas leurs examens ou qui suivent des filières « inutiles ». Les patrons se plaignaient que les jeunes étudient « trop longtemps », qu’ils soient « trop critiques » et qu’ils aient besoin d’être « rééduqués » lorsqu’ils arrivent dans les entreprises.

L’ERT est un groupe de 45 dirigeants industriels de multinationales européennes, qui représentent un capital de 550 milliards d’euros, l’équivalent de deux fois le PNB de la France. L’éducation fait l’objet d’une attention toute particulière de leur part. Les prétendues démocratisation et expansion de l’éducation dans les années soixante étaient indispensables aux capitalistes pour satisfaire leurs besoins de travailleurs plus qualifiés. Mais aujourd’hui, avec des profits à la baisse et un chômage chronique dans de nombreux pays, les patrons pensent que « trop » d’étudiants veulent poursuivre des études supérieures. Les années quatre-vingt-dix ont déjà été le cadre d’énormes attaques contre les droits des étudiants, les services sociaux des universités et ont vu la mise en place de droits d’inscription payants. Durant ces dernières années, il y a u une tendance commune à travers le monde à préparer les systèmes éducatifs à leurs privatisation et commercialisation, en transformant les programmes scolaires dans un sens favorable aux entreprises. L’accord de Bologne signé par 29 ministres de l’Education européens va dans ce sens.

En Europe, les patrons considèrent qu’une part de la compétition avec les Etats-Unis consiste à « ouvrir » le système éducatif au marché, avec une moindre intervention de l’Etat et un plus grand contrôle des entreprises. Aux Etats-Unis, le financement par l’Etat de l’enseignement supérieur est tombé de 50 % en 1987 à 34% en 1999.

Plus de flexibilité

Les lobbies patronaux s’intéressent à l’éducation, mais pas à tous ses aspects. Ils veulent donc faire pression à tous les niveaux pour adapter l’école à leurs besoins, mais n’investiront que dans les secteurs rentables: recherche appliquée, formations spécialisées (BTS, DUT, licence professionnelle…). Ils sont donc prêts à équiper les établissements d’ordinateurs et d’outils multimédias, non par désintéressement mais parce que le marché des sites Internet et des logiciels éducatifs, des cours en ligne via le téléenseignement, des cours privés est un marché juteux. Que le public continue de payer les profs et les personnels, entretenir les locaux. . . et le privé s’occupera de ce qui est rentable.

La privatisation de l’enseignement ne se fera donc pas à tous les niveaux, mais elle menace la qualité des formations et l’existence des filières jugées non rentables. En transformant l’éducation en une marchandise c’est le droit à une éducation de qualité pour tous qui est attaqué. Sous couvert de réformes pédagogiques, les dernières en date étant celles du couple Lang-Allègre, on diminue le nombre d’heures de cours et le contenu des programmes. On privilégie un certain nombre de compétences qui feront de l’élève ou de l’étudiant un travailleur flexible et productif.

Adapter les structures et l’organisation

Les plans de l’Union européenne (harmonisation européenne, déclaration de Bologne…) annoncent la déréglementation du système éducatif et prônent l’autonomie des établissements scolaires. Ils mettent en avant l’indispensable décentralisation des lieux de décision et de gestion. En premier lieu, l’autonomie des établissements est une façon de les rendre plus dépendants des entreprises pour leur développement et pour leur financement. Bien évidemment cette participation du privé ne se fait pas sans contrepartie, les entreprises sont de plus en plus présentes dans les conseils d’administration des facs, et mettent leur nez dans les programmes des collèges et lycées. Une telle autonomie, mettra, à terme, les établissements en concurrence, puisqu’il faudra négocier avec les entreprises les budgets et donc être très flexible pour s’adapter à leurs besoins, sans s’occuper de la qualité de la formation dispensée. Le danger est donc d’établir une hiérarchisation des établissements, les plus « innovants » attireront la majorité des dépenses publiques et privées, les autres fourniront une formation au rabais pour les couches les moins favorisées. Une autre façon pour les établissements de pallier la réduction des budgets publics est d’augmenter les frais d’inscription.

Une nouveauté les ECTS

Adapter les formations, c’est aussi adapter les diplômes. La modularisation a été introduite à la fac pour préparer la mise en place du « diplôme à points » ou ECTS. Chaque module équivaut à un certain nombre de points, qui permettent de valider un diplôme. C’est un schéma de mobilité étudiante qui nous est présenté sous l’angle de faciliter les études à l’étranger et les équivalences entre diplômes de différents pays. Une année vaut 60 points, donc une licence (premier diplôme) 180 points et 300 points pour le mastère. L’étudiant qui n’aura pas validé une année entière pourra se présenter à un poste et faire valoir les modules acquis correspondant à certaines compétences. Là ou le bât blesse, c’est qu’un module ce n’est pas un diplôme, il n’y aura donc aucune garantie quant à la rémunération.

Partout dans le monde des attaques… et des résistances

Aux Pays-Bas, le gouvernement a annoncé que les universités seraient autorisées à augmenter les droits d’inscription jusqu’à 7.000 euros.(il faut bien compenser la baisse des financements publics !)

En Russie, le système éducatif a été l’une des principales victimes de la crise provoquée par plus de dix ans de restauration du capitalisme. Une vague de grèves d’enseignants a traversé la Russie à cause des salaires (couramment moins de 94 euros par mois). Dans le même temps, l’enseignement supérieur a été marchandisé – les étudiants doivent maintenant payer des droits d’inscriptions, parfois jusqu’à 1 000 $ par an pour chaque cours. En outre, beaucoup de prétendues universités ont été créées par des entreprises privées, y gagnant de l’argent sur le dos des étudiants et leur délivrant des diplômes connus pour être sans valeur. La situation est devenue tellement catastrophique que le ministère de l’Education, d’esprit néolibéral, a dû annoncer des restrictions pour les établissements supérieurs privés.

Partout dans le monde les étudiants seront confrontés à des attaques supplémentaires contre le secteur éducatif . Des droits d’inscription plus élevés, des prêts au lieu des bourses, la limitation du nombre d’étudiants, la privatisation des services, seront les mesures concrètes auxquelles chaque étudiant sera confronté. La lutte contre ces attaques devra défendre le droit de chacun à une éducation démocratique et gratuite.

Le 15 novembre de l’année dernière, 200 000 étudiants ont manifesté à travers Madrid, avec leurs profs et leurs parents contre la « Ley Organica de Universidades ». La LOU est une proposition de loi visant à privatiser le système éducatif espagnol, à développer l’implication des entreprises dans les universités.

Dans le monde entier, de l’Afrique du Sud à la Russie, du Brésil à l’Inde, les étudiants sont confrontés aux attaques néolibérales contre l’éducation ce qui amènera une colère croissante au sein de la jeunesse mondiale. Dans toute l’Italie, des dizaines de milliers d’étudiants et de lycéens ont manifesté pour la défense de l’enseignement public durant les derniers mois de l’année 2001.

Le 15 mars …et après : Résistance internationale pour une éducation gratuite et ouverte à tous !

ISR/RI a proposé à toutes ses organisations membres d’organiser une journée d’action internationale le 15 mars pour exiger la gratuité de l’éducation pour tous. Les 15 et 16 mars les premiers ministres et chefs de gouvernements se rencontreront à Barcelone. Nous voulons nous servir de cette date et des manifestations de masse des travailleurs et étudiants espagnols qui ont eu lieu en même temps, comme un point central autour duquel organiser des actions à travers le monde, en Europe, au Brésil, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, au Nigéria, au Sri-Lanka, en Inde, en Australie…

Parce que c’est toute l’éducation qui est menacée de la maternelle à l’université, des professeurs aux agents de services, avec toutes les conséquences désastreuses que cela peut avoir pour toute la société, c’est une riposte globale qui est nécessaire. Les capitalistes savent s’entendre pour attaquer nos conditions d’étude et de travail, nous devons alors organiser une mobilisation qui ne s’arrête pas aux différents corps, ni aux frontières géographiques. Les attaques contre l’éducation sont aussi des attaques contre les travailleurs. RI/ISR se battra toujours dans ce sens, pour la solidarité entre travailleurs et pour l’unité des luttes.

Mondialiser les luttes c’est faire converger les luttes des salariés et mobiliser de façon large et unitaire (syndicats, associations, partis politiques) localement, nationalement et internationalement.

En lançant la campagne  » pour une éducation gratuite et ouverte à tous  » RI/ISR s’adresse à tous ceux qui ne veulent pas d’une société capitaliste fondée sur la recherche du profit maximum sur le dos des jeunes et des travailleurs. Nous ne nous battons pas seulement « pour un autre monde », mais pour un monde débarrassé de toute exploitation, pour un monde socialiste. Un monde où nos vies ne seront pas dictées par les courbes du NASDAQ ou du CAC40, ou les fluctuations de l’euro. Dans cette lutte pour une réelle alternative au capitalisme, nous développons des organisations et des luttes indépendantes des gouvernements et poussons au maximum à l’auto-organisation de celles-ci. Parce que nous ne pouvons compter que sur nos luttes pour en finir avec le capitalisme : Résistance internationale !

Par Virginie Prégny et Aïssata K.