Chirac, Pasqua, Bayrou, Le Pen, les autres et l’andouillette

Toutes les nuances de la droite et de l’extrême-droite auront leur candidat. Deux points communs entre eux : aucun ne reprend à son compte la position de Balladur et du MEDEF en faveur de 42 ans de cotisations pour avoir droit à une retraite complète et aucun n’éprouve le besoin de s’en démarquer. Le mieux placé est indiscutablement celui qui a le moins de convictions et qui traîne le plus de casseroles.

Article paru dans l’Egalité n°94

Christine Boutin croit aux valeurs traditionnelles de la morale catholique. Elle s’est fait connaître par sa croisade contre le PACS. Entrée plus tôt en politique, elle aurait ferraillé contre la laïcité avec Michel Debré et Jean Foyer, elle aurait été la figure de proue des combats d’arrière-garde contre le droit à la contraception et l’avortement. Naturellement, elle défend par la même occasion les intérêts de la bourgeoisie, mais sa tasse de thé, c’est le bénitier plus que l’argent liquide.

François Bayrou, c’est l’autre facette de la Démocratie Chrétienne à la française ; comme son rival Douste-Blazy, pourtant ancien maire de Lourdes, il est prêt à quelques concessions en matière de moeurs (pas trop, quand même !), pourvu que cela fasse avancer l’intégration européenne, objectif majeur de la diplomatie vaticane. Le très permissif Daniel Cohn-Bendit ne s’y est pas trompé en 99 lorsqu’il a déclaré qu’il était très proche de Bayrou et que leurs divergences tournaient essentiellement autour de la chasse et de la drogue. Si les attentats du 11 septembre n’avaient pas interrompu la croisière de son bus au colza, aurait-il pu devenir le troisième homme qu’il prétendait être ? C’est douteux. Mais le plus grave pour lui, c’est qu’il ne sera peut-être même pas le troisième à droite. « La relève » est d’autant plus mal partie que l’UDF n’est pas du tout unie derrière son candidat ; outre les chiraquiens emmenés par Douste, il y a les déçus de la campagne de Bayrou et surtout Hervé de Charrette qui songe sérieusement à se présenter lui-même.

Corinne Lepage s’est fait un nom en tant qu’avocate en défendant assez efficacement les communes du littoral breton emmazoutées en 78 par le naufrage de l’Amoco Cadiz. Ministre de Juppé en 95, elle a fait ce qu’elle a pu pour l’environnement dans un gouvernement de droite, c’est-à-dire ni plus ni moins que ce qu’ont fait Crépeau, Bouchardeau, Lalonde, Voynet ou Cochet dans des gouvernements dits de gauche. Sa loi sur l’air, votée peu avant la dissolution de 97, a été mise en application sans empressement ni amélioration sous Jospin. C’est donc à elle que l’on doit les PDU (plans de déplacements urbains), ultra-timides mesures pour freiner la pollution atmosphérique et les autres nuisances dues à la circulation automobile. Alain Madelin fait partie de ces libéraux un peu suspects aux yeux de certains patrons parce qu’ils ont toujours été fonctionnaires ou politiciens. Le MEDEF compte plus sur ses propres forces et sur des ministres moins marqués à droite pour faire avancer ses pions. Mais il ne dédaigne pas d’avoir des  » idéologues  » apparemment désintéressés pour développer ses thèses dans la presse et dans le débat politique.

Madelin a esquissé des gestes « libéraux » en faveur de la dépénalisation de la drogue et de la libre circulation des personnes. Mais, même si elles sont très ambiguës, pleines d’arrière-pensées, ces « concessions aux gauchistes, aux Verts, aux Sans-papiers » passent mal dans son parti également fort divisé, comme bien d’autres, sur le statut de la Corse (mais José Rossi, qui est de la famille, est en première ligne sur le sujet). Et, comme à l’UDF, il y a une forte dissidence chiraquienne.

rles Pasqua est, de tous les petits candidats de droite, le plus proche de Chirac, à la fois parce qu’il l’a longtemps servi et parce qu’il traîne quelques affaires qui risquent à tout moment de le conduire plus vite au quartier des VIP de la Santé qu’au Palais de l’Elysée. Le tout-puissant président du conseil général des Hauts-de-Seine peut encore moins que Chirac dire qu’il ne connaît pas Schuller, l’ancien directeur de « son » office HLM présidé alors par Balkany. Mais il n’y a pas que les dessous de table sur les marchés publics du département le plus riche de France, il y a plusieurs volets de l’affaire Elf , notamment en « Françafrique », comme dit F.-X. Verschaeve, en lien donc avec l’exploitation néo-coloniale du continent noir. Mais tout cela pour la bonne cause, la cause sacrée de la France éternelle, souveraine, une et indivisible, menacée par ceux qui sautent sur leur chaise comme des cabris en criant  » l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !  » et qui veulent détacher la Corse du continent. La référence à de Gaulle impliquée par le sigle RPF suffira-t-elle pour faire oublier tout cela aux électeurs ? Beaucoup des anciens fidèles de Pasqua en doutent puisqu’ils ont préféré miser sur Chevènement.

Il y a 25 ans, quand il y avait de 15 à 25% d’abstentions, on commentait le score du « parti des pécheurs à la ligne ». Maintenant que l’abstentionnisme atteint de 40 à 70% du corps électoral, on spécule sur le nombre de bulletins que le candidat de Chasse, pêche, nature et traditions est susceptible de trouver dans son épuisette. Et dans 25 ans, quand des enfants demanderont à leurs parents ce qu’ils faisaient quand les bombardiers tuaient des milliers d’innocents, quand les industriels irresponsables polluaient rivières, fleuves et océans, quand les OGM étaient mis en culture inconsidérément, quand le chômage de masse et de longue durée foutait en l’air toutes les assises de nos sociétés, certains s’entendront répondre « Nous votions pour Jean Saint-Josse, défenseur de la ruralité, c’est-à-dire de la chasse et de la pêche ».

Même bicéphale la bête immonde est toujours menaçante

Le Pen ne sera peut-être pas le troisième homme de cette élection présidentielle, mais le total FN+MNR dépassera probablement Chevènement. Certes les stratégies des frères séparés sont différentes mais elles ne sont pas plus rassurantes l’une que l’autre. Mégret cherche l’alliance avec la droite parlementaire alors que Le Pen déteste Chirac. Nabot-léon, comme le second surnomme son petit concurrent dénonce non seulement l’immigration, notamment maghrébine mais l’Islam lui-même alors que le fort-en-gueule de La Trinité sur mer est encore plus anti-juif qu’anti-arabe.

La querelle entre les 2 rivaux a découragé beaucoup de militants, mais le jour du vote, ils seront là, plus nombreux sans doute que ne le disent les sondages. Et l’extrême-gauche ferait bien de prendre un peu au sérieux l’analyse de certains politologues qui estiment qu’une partie de ses voix aux dernières municipales, dans certaines communes, provient d’électeurs d’extrême-droite qui n’avaient pas de liste pour qui voter. La plupart de ceux qui ont voté un jour FN ou MNR ne sont pas des fascistes invétérés. Ils sont récupérables. Ils sont à la recherche du candidat le plus carrément protestataire, mais sans la moindre conscience politique. Il y aura beaucoup de boulot pour leur en donner une et il n’est pas sur du tout qu’on y arrive : le danger est grand que nous nous retrouvions un jour, quand Le Pen aura disparu de la scène, dans la situation de l’Autriche ou de l’Italie de Berlusconi.

Par Jacques Capet