Sommet France-Afrique : Mauritanie

Bouteflika ou Mugabe ne sont pas les seuls dictateurs accueillis à bras ouverts par Chirac.

La France a reçu à l’occasion du sommet France Afrique en février dernier, plusieurs chefs d’Etats africains. Parmi ces « honorables hôtes » d’un Chirac plus démocrate que d’autres, il y en avait certains pas si démocrates que ça ! Nous allons nous intéresser au cas de la Mauritanie et de son chef d’état Mouya Ould Sid Ahmed Taya, avec le concours de monsieur Samba Gatta qui a dû fuir son pays.

Article paru dans l’Egalité n°100

Bref rappel historique

Suite à l’indépendance de 1962, le gouvernement mauritanien met en place un décret imposant l’arabe comme seule langue d’enseignement dans les écoles. Le but étant de diviser la population beydains (arabo-berbère) et les négro-mauritaniens. Dès les premières mesures en 66 et la circulaire 02 en 79, il y a de graves manifestations qui sont organisées par le mouvement des étudiants noirs. En 83 se créent les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM), ce mouvement se battant contre une politique d’arabisation forcée. Les négro-mauritaniens, qu’ils soient ou non membres des FLAM, sont arrêtés, torturés voire fusillés dès qu’ils remettent en cause le régime. En 89 dans les régions du sud : Kaédi, Boghe, Rosso et Sétibaby, l’état de siège est proclamé entraînant la déportation de plus de 250 000 familles, chassées vers le Mali et le Sénégal. En 91 c’est l’arrestation de tous les officiers et des sous officiers d’origine négro-mauritanienne. On estime qu’il y a eu 1500 décès suite aux tortures. Les harratins (les esclaves) sont installés à la place des déportés puisque l’esclavage reste légal en Mauritanie. Les terres des déportés tombent aux mains des personnalités beydains, notamment smassides (la tribu du président), l’accaparement des terres permettant de réaliser de substantielles plus values. Actuellement le sud reste toujours soumis à l’arbitraire et l’état de siège continue !
Interview de Gatta Samba, réfugié politique de Mauritanie (statut que les autorités françaises ne lui ont toujours pas accordé pleinement

L’Egalité : Tu as dû fuir en 2000. Tu as notamment été réprimé pour tes activités syndicales et politiques. En quoi consistaient-elles ?

Gata : Au niveau politique, je suis membre de l’Union des forces démocratiques (UFD) et je suis de la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM), secrétaire aux revendications au niveau de la région de Travsa (Rosso). J’ai été élu le 11 avril 99 comme délégué du personnel. J’ai été licencié pour deux raisons : parce que j’étais délégué syndical et aussi parce que le secrétaire général de l’UFD avait été arrêté juste avant, le 25 mars, et il y a eu des arrestations un peu partout. J’étais également coordinateur de l’UFD au comité régional. J’ai été licencié après avoir subi des pressions pour ne pas me présenter alors que j’étais proposé candidat suite à la décision d’une assemblée générale des travailleurs. Il y a eu des pressions contre moi de la part du directeur de l’entreprise, mais également de celle du préfet de région, du gouverneur etc. Le 30 avril, j’ai reçu ma notification de licenciement. Le 1er mai, pour la fête des travailleurs, il y avait une manifestation, elle a été massive et en soutien contre mon licenciement. Le 02 mai, les travailleurs de la société ont fait grève. Le soir à 18 h, la police m’a arrêté. J’ai passé 5 jours au commissariat où j’ai été torturé. Le coordinateur régional de la CGTM est passé mais n’a rien pu faire.
Au 6ème jour j’ai été transféré à la prison de Rosso jusqu’au 28 juin, d’où j’ai été libéré grâce à la pression de l’UFD et de la CGTM (le secrétaire général a fait le déplacement depuis Nouakchott). J’ai été interdit de séjour à Rosso et j’ai du aller à Nouakchott.

L’Egalité : Quelles actions syndicales faisiez vous à Rosso ?

Gata : Sur Rosso, il y a beaucoup de travailleurs agricoles, qui sont sans contrats, certains sans salaire, et beaucoup sans aucune couverture sociale.
Le directeur ne voulait pas que je sois délégué syndical, de l’entreprise qui a 1400 hectares de cultures rizicoles et 500 salariés. Pour lui, il faut travailler et se taire.

L’Egalité : Que s’est il passé ensuite ?

Gata : Je suis revenu à Rosso pour venir chercher ma famille et la ramener à Nouakchott. Mais j’ai subi un contrôle d’identité (seuls les noirs le subissent). J’ai été arrêté, avec une fois de plus une visite du préfet, ils avaient peur que s’organise une manifestation. J’ai pu disposer de quelques heures. La CGTM m’a dit que j’étais très recherché et que c’était trop dangereux. J’ai donc été hébergé par le secrétaire général adjoint de la CGTM (qui est un maure) et ensuite j’ai fui.

L’Egalité : Et en France ?

Gata : J’ai fait une demande d’asile politique, j’ai toutes les preuves de mes activités et de la répression que j’ai subie (je suis militant depuis les années 80).

L’Egalité : Quelle est la position de la CGTM en Mauritanie ?

Gata : La CGTM était un syndicat clandestin en 89, et est devenu officiel en 91, j’en suis membre depuis le début, c’est un syndicat d’opposition, proche de toute l’opposition, il rassemble les travailleurs qu’ils soient maures ou négro-mauritanien. C’est le plus gros syndicat dans le pays, il a organisé de nombreuses actions et de nombreuses grèves, souvent réprimées.

L’Egalité : Et quel rôle jouent les FLAM ?

Gata : Les FLAM ont été créées en 1983 en Mauritanie. Je n’en n’étais pas membre. Je partage totalement leurs objectifs et me suis toujours reconnu dans leur combat pour la construction d’un état de droit fondé sur l’égalité, le justice et la paix entre les communautés arabo-berbères et négro-africaines. Mettre fin à la discrimination raciale érigée en système de gouvernement et éradiquer l’esclavage a toujours été ma volonté.
Est-ce qu’il ne manque pas dans l’opposition à la dictature mauritanienne, un parti qui tout en combattant les discriminations dont sont victimes les négro-mauritaniens, rassemble avant tout les travailleurs sans distinction d’origine, la CGTM pouvant servir de point d’appuis ? Cela permettrait notamment de combattre la classe dominante de Mauritanie quasi exclusivement beydane, non plus seulement sur des bases communautaires, mais contre le système capitaliste et esclavagiste qui la maintient au pouvoir.
Il y a un débat qui avait commencé mais qui est difficile à poursuivre étant donné la répression. C’était celui de fonder le Rassemblement démocratique des travailleurs de Mauritanie. Nous continuons à discuter dans ce sens.

Propos recueillis par Arnaud Benoist