Nigeria : « la police nous a torturés en détention »

Au Nigeria, une manifestation pacifique organisée par des militants samedi 13 février 2021 a été ouvertement et brutalement réprimée. Cette manifestation pacifique a eu lieu contre la décision de l’État de Lagos de rouvrir le péage où des groupes de manifestants ont été tués par balles, le 20 octobre 2020, avant que l’enquête sur cette fusillade soit close. Cette nouvelle répression, qui fait suite à une vague de manifestations l’année dernière contre les violences policières, a permis de désigner le gouvernement du Président nigérian Buhari comme l’un des principaux responsables des violences et de la répression policières. Il est important de noter que la violence policière et la répression de l’État ont en fait augmenté depuis la fin de la manifestation #EndSARS en octobre 2020.

La Gauche Révolutionnaire avait publié un article sur cette répression, il est ici.

 La répression de samedi par la police, approuvée par l’État, porte la marque d’une mission de vengeance contre la jeunesse radicale qui avait osé la défier, et qui devait également servir d’avertissement aux autres. Dans un bus du Maryland, à plusieurs kilomètres de Lekki, un inspecteur de police a entendu des femmes se plaindre des arrestations de samedi, et a ensuite essayé de les arrêter pour avoir critiqué la police !

La décision de rouvrir le péage de Lekki a été prise par la commission d’enquête judiciaire de l’État de Lagos, mise en place l’année dernière à la suite de la manifestation #EndSARS et en particulier des supposés meurtres et coups de feux par l’armée et la police, portés contre de nombreux manifestants qui occupaient le péage de Lekki. Cette décision a divisé le jury. Un représentant des jeunes, Rinu Oduala, a démissionné en signe de protestation et un autre, Barrister Ebun Adegboruwa, a annoncé qu’il « consultait la société civile pour prendre une décision ».

Quelques jours avant la manifestation, les autorités policières ont publié des déclarations mettant en garde contre ses conséquences brutales. Un groupe anonyme appelé #DefendLagos a également tenté d’organiser une contre-manifestation basée sur le vif sentiment que toute manifestation conduirait à des destructions et à des violences similaires à celles qui ont eu lieu l’année dernière après que des voyous à la solde par l’État ont pris les rues d’assaut suite aux meurtres du péage de Lekki le 20 octobre. Malgré cela, de nombreux manifestants se sont présentés le 13 février au péage et ont été rapidement arrêtés, ainsi que quelques passants. Ils ont été autant tabassés que torturés pendant leur détention. Ils ont été traduits devant un tribunal mobile pour une triple accusation de conspiration, de conduite susceptible de causer une atteinte à l’ordre public et de violation des mesures contre le Covid-19. Ils ont ensuite été libérés sous caution et ont reçu une citation à comparaître à nouveau devant le tribunal le 2 mars 2021.

Cette arrestation violente de personnes se rassemblant pour une manifestation pacifique a été largement condamnée par différentes organisations, dont la Nigerian Bar Association, principale organisation d’avocats.

L’une des personnes qui ont été arrêtées samedi est le camarade Moshood Oshunfurewa, organisateur de la section du DSM (Democratic Socialist Movement, organisation soeur de la Gauche Révolutionnaire au Nigéria) d’Ajegunle à Lagos, et membre dirigeant de la Campagne pour les Droits de la Jeunesse (Youth Rights Campaign, YRC). Il est également le secrétaire du Socialist Party of Nigeria (SPN) de l’État de Lagos. Il raconte ci-dessous son épreuve et celle d’autres manifestants à Socialist Democracy, journal bimensuel du DSM.

Manifestation pacifique au péage de Lekki 13 février 2021

Rapport du camarade Moshood :

Les camarades du DSM de la section d’Ajegunle sont intervenus le 13 février 2021 dans une manifestation « OccupyLekkiTollgate ». Cette manifestation était en opposition à la décision de la commission d’enquête judiciaire de l’État de Lagos de rouvrir le péage avant même la fin des enquêtes sur les allégations de conspiration pour l’assassinat de manifestants au péage, le 20 octobre dernier. Rappelons que l’année dernière, à la suite de la répression brutale des manifestants de #EndSARS, y compris ceux qui occupaient le péage de Lekki, la commission avait été mise en place pour enquêter sur les meurtres.

Environ 1 000 exemplaires d’un tract de la Youth Rights Campaign ont été produits. Quatre cents autres exemplaires de ce tract ont été distribués à Ajegunle la veille et également le matin du samedi 13 février, avant que nous ne nous installions à Lekki.

Notre tract a reçu l’attention et le soutien de la population d’Ajegunle. Après mon arrestation, alors que je filmais d’autres personnes en train d’être arrêtées, j’ai pu distribuer secrètement les tracts à d’autres militants détenus, juste sous le nez de la police à la gâchette facile. Ça en a inspiré certains, qui ont posé des questions sur comment rejoindre l’organisation.
La police a montré une violence impitoyable envers les manifestants arrêtés. Nous étions environ 40. L’objectif semblait être de nous infliger le plus de dommages corporels possible, sachant qu’ils ne pouvaient pas vraiment prouver qu’on avait enfreint la loi. Ils nous ont torturés pendant notre détention. J’ai été sévèrement tabassé au poste de police d’Adeniji Adele et j’ai été blessé à l’œil droit. Mon téléphone a également été endommagé à coups de crosse par la police pour briser l’écran. D’autres détenus ont vu leur téléphone brisé de la même manière.
Nos déclarations au poste de police ont été rassemblées de force, à l’aide de coups de bâton et de poings.

Cependant, malgré le harcèlement et la torture, j’ai pu établir six contacts avec les manifestants arrêtés qui ont signifié leur volonté de rejoindre la YRC. Après notre libération, vers 22 heures le même jour, la camarade Maureen (qui est venue me rendre visite au poste de police et m’aider dans le processus de libération sous caution) et moi-même avons eu de brèves discussions avec ces contacts pour les familiariser davantage avec l’organisation.

Je tiens à remercier les membres du DSM, du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), du SPN, les avocats Ogunlana, Ayo Ademiluyi et les autres, les médias et la population qui ont joué un rôle pour nous aider à être libérés.

Article publié le 16 février sur www.socialisworld.net