Les gouvernements contre les sans-papiers : Diviser, exploiter et réprimer

Depuis le 11 septembre, les politiciens de tous poils jettent médiatiquement l’anathème sur les immigrés. L’immigré est une menace : « terrorisme », délinquance et facteur de la crise économique. Tout concorde pour le désigner comme notre bouc émissaire numéro 1. Et l’on s’étonne que le milliardaire raciste notoire Le Pen fasse un si bon score lors des élections !

Article paru dans l’Egalité n°96

Bien que l’édifice législatif en matière d’immigration soit constitué de textes disparates qui s’accumulent depuis 1945 et bien que les discours entre droite et gauche gouvernementale semblent s’opposer, la politique menée depuis plusieurs décennies est la même : d’une part montrer du doigt les étrangers, en particulier les sans-papiers, d’autre part les maintenir dans une situation de précarité extrême tant sur le plan économique que sur le plan de leurs droits.

S’il est un principe de gouvernement connu depuis la nuit des temps c’est bien celui-ci : lorsque l’on veut maintenir son pouvoir il faut diviser ses adversaires. La politique raciste et discriminatoire, tant sur le plan législatif que sur le plan médiatique, est une arme de division des travailleurs.
La France black-blanc-beur de la coupe du monde de 1998 a été rapidement oubliée et l’Europe-forteresse de Schengen se renforce chaque jour, laissant sur le carreau des milliers de personnes. Blair et Aznar, chefs des gouvernements de Grande Bretagne et d’Espagne, ont proposé plusieurs mesures encore plus répressives. L’une d’entre elles consistait tout simplement à ajouter aux accords commerciaux et aux aides au développement des clauses imposant une collaboration lors de l’expulsion des sans papiers. On pille vos richesses d’un coté (les aides au développement comportent la plupart du temps des clauses commerciales avantageuses pour les pays d’Europe), et de l’autre on expulse des gens qui ont fui la situation économique et politique de plus en plus difficile de leur pays. Sous la pression de la Suède et de la France, cette disposition n’a pas été retenue. Ces deux pays, très impliqués dans des accords avec l’Afrique ou l’Asie, ne souhaitaient pas avoir de clauses limitant leurs possibilités de domination.

Le grand accord du dernier sommet de l’Union européenne à Séville, c’est la création d’un corps européen de gardes frontières, bien que le nom ne soit pas encore dit. Toutes les dispositions sont prises pour que la forteresse Europe soit renforcée. Ce que ces grands douaniers ne disent pas, c’est que le « renforcement » des contrôles aux frontières n’a pas diminué l’immigration. Elle l’a rendue plus illégale. Plus de 100 000 personnes (dont 75 % de Marocains) partent depuis le Maroc chaque année vers l’Europe.

Une véritable mafia au chiffre d’affaires qui se compte en centaines de millions d’euros (d’après le Monde diplomatique) organise la traversée en barque à moteur pour aboutir sur les côtes d’Espagne. Le renforcement des contrôles a rendu le trajet par le détroit de Gibraltar (un peu plus de 10 km) quasi impossible, et désormais le grand détour par l’Océan atlantique est la route classique, jusqu’à 120 km dans une barque surchargée ! Au moins 3 500 personnes sont mortes naufragées durant les 10 dernières années.
L’autre avantage, c’est que cette immigration illégale n’a plus de preuve de son entrée en Europe. Lors des tentatives de régularisation, par la lutte ou par simple démarche, elle a plus de mal à justifier de ses années de séjour. Quant à ceux qui essaient de déposer un dossier, comme beaucoup de préfectures acceptent un nombre limité de demandes, certains se voient tout bonnement refuser le droit d’essayer de régulariser leur situation. Maintenir une main-d’œuvre dans la clandestinité et la précarité, la terroriser avec les menaces d’expulsion, c’est clairement l’objectif de nos gouvernement.

Quand les lois favorisent les pires formes d’exploitation

Les lois en matière d’immigration permettent de maintenir une partie de la population dans une situation de non-droit. Les patrons, surtout dans les secteurs du bâtiment, de la restauration ou de l’agriculture maraîchère en profitent abondamment : les sans-papiers forment une main-d’œuvre corvéable à merci, sous-payée, que l’on peut jeter quand on veut et pour laquelle ils ne payent pas de charges. Cette exploitation des sans papiers est une attaque contre tous car elle crée une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail.

En aucune manière, les patrons français ne veulent se débarrasser de cette main-d’œuvre. Et les effets d’annonce sur la chasse à l’immigration clandestine ne sont dirigés que vers la population que l’on voudrait crédule. Cela ne veut pas dire que la chasse à l’immigré ne va pas s’intensifier. Il faut quand même montrer des signes d’actions, et le gouvernement Raffarin s’y attèle déjà. Mais le but n’est pas de fermer les frontières, seulement de les filtrer afin de pouvoir maintenir la population immigrée dans la précarité et l’angoisse de la répression.

Le scandale du droit d’asile

Restreint un peu plus chaque année, par le biais d’une clause qui permet à chaque pays de décider seul si tel ou tel pays exerce réellement une répression menaçant la vie des gens, le droit d’asile n’est accordé chaque année qu’à 6 % des demandeurs. Les Algériens, les Kurdes etc. n’y ont plus le droit. Le tour de magie réside dans le fait que les demandeurs doivent apporter les preuves officielles de leur persécution par un Etat. Pour les Algériens, les Tunisiens, le pays est dit démocratique… La récente proposition du Haut commissariat au réfugiés de l’ONU au sujet du centre d’accueil de Sangatte montre toute l’hypocrisie. Avec l’aide au retour, les demandeurs afghans seront incités à repartir chez eux, « le pays n’étant plus en guerre ». Au moment même où l’un des trois vice présidents afghans vient de se faire assassiner, et que les troupes de l’ONU là bas ne sortent jamais des grandes villes. Peut on croire que deux structures de l’ONU n’ont pas les mêmes informations ?

Une seule solution, la lutte !

En 1996, les sans-papiers de l’église « Saint-Bernard » réveillaient le monde associatif, syndical et politique assoupi sur la question des droits des immigrés. Six années après, le bilan n’est toujours pas positif. Les régularisations précaires de ceux qui osent encore entrer en lutte ne cessent de diminuer. Le manque de perspectives de lutte nationale, le « cas-par-cas » voulu par le pouvoir et accepté par une partie du soutien ont conduit le mouvement dans une impasse. La seule façon d’en sortir c’est d’offrir de nouvelles perspectives avec d’autres mots d’ordre : régularisation immédiate et sans condition de tous les sans-papiers, abrogation de toutes les lois racistes, droit de vote à toutes les élections, ouverture des frontières et fermeture des centres de rétention, abrogation des accords de Schengen…

Les luttes ne pourront que continuer. La détermination des sans papiers de Lyon, qui occupent lieu après lieu, doit inspirer chaque collectif de lutte. Non seulement, cette lutte est due au refus de la préfecture d’ouvrir des négociations, mais en plus elle a un caractère préventif : l’été peut voir s’installer une répression accrue des sans papiers, se mettre en lutte maintenant, c’est éviter d’être isolé pendant l’été. C’est également parce que ce gouvernement pourrait faire de la surenchère répressive sur la question du racisme d’Etat que beaucoup de sans papiers ne veulent pas rester inactifs.

Par Yann Venier et Alex Rouillard