Les dessous de la loi Borloo

La loi Borloo, qui a été adoptée quasiment sans résistance au sein et à l’extérieur du Parlement, se situe dans un contexte d’attaques tout azimut contre les services publics et contre le droit du travail. Cette loi comporte ces deux aspects en ce qui concerne la partie sur le traitement du chômage et du service public de l’emploi.

Article paru dans l’Egalité n°111

Le capitalisme vit une grave crise économique. Ce n’est pas un scoop. La bourgeoisie et le patronat n’ont pas d’autres choix pour conserver leurs profits que de s’attaquer aux conditions de vie et de travail du restant de la population. Autrement dit, ils essayent par tous les moyens de récupérer la part de plus-value qui jusqu’à maintenant leur échappait dans les services publics et dans la protection sociale et dans les poches de ceux qui seuls la produisent : les travailleurs.

C’est dans ce cadre que la loi Borloo effectue la privatisation de l’ANPE. Jusqu’à maintenant le service public avait le monopole de la gestion de la liste des demandeurs d’emploi (comme on dit dans le milieu !). D’autre part l’UNEDIC et les ASSEDIC, organismes associatifs de droit privé dirigés actuellement par le patronat et la CFDT, avaient pour mission d’indemniser les chômeurs indemnisables et par ailleurs d’intervenir dans leur reclassement via les financements de formations. Depuis 2001 et la mise en place du PARE, l’UNEDIC finance l’ANPE à hauteur de 30% de son budget. Demain, ces organismes pourront faire appel à des sociétés privées de placement ou d’intérim pour gérer le chômage.

Déjà, l’ASSEDIC de Haute-Normandie et du Nord-Pas de Calais ont engagé une société de placement australienne – Ingéus, dont le directeur en France n’est autre que l’ancien directeur de l’ASSEDIC de Haute-Normandie ! – pour s’occuper de plusieurs milliers de chômeurs. Elle recevra pour cette mission environ 2600 euros par chômeur. Cette somme sera doublée si les chômeurs retrouvent une activité même précaire et temporaire ou s’ils sortent de la liste des chômeurs. Il y a quelques temps, c’est en Ile-de-France que l’ASSEDIC avait cette fois financé une société hollandaise (Maatverk). Le résultat n’avait pas été glorieux, puisque moins de 50% des chômeurs avait retrouvé un emploi. Mais même en ne touchant que les 2600 euros, ce dispositif est rentable pour ces sociétés (c’est à comparer aux 600 ou 700 euros que l’ANPE verse aux associations d’insertion pour le même genre de prestation).

Il sera vraisemblablement élargi prochainement à tout le territoire et à d’autres sociétés comme les agences d’intérim ou à leurs filiales spécialement créées pour l’occasion. Il en résulte 3 choses : premièrement l’argent des cotisations chômage des travailleurs va retourner dans les poches des patrons et d’actionnaires (les sociétés d’intérim sont cotées en bourse) qui pourront soit repartir dans le circuit productif, soit dans celui spéculatif. Deuxièmement, face à des salariés du secteur privé qui subissent bien plus les pressions de leurs directions (licenciements, salaires indexés sur des objectifs chiffrés bien plus que dans le public…), les chômeurs seront contraints d’accepter n’importe quel boulot sous peine de sanction. Troisièmement, en conséquence de quoi, les conditions de travail et la rémunération globale des travailleurs vont encore se dégrader puisque la concurrence entre travailleurs sur le marché du travail va s’accentuer.

Pour l’instant, il n’y a quasiment pas eu de réaction face à cette attaque qui en prépare d’autres (casse du code du travail et des conventions collectives). Les agents de l’ANPE ont fait une journée de grève en décembre. Les associations de chômeurs n’ont pas réussi à mobiliser. C’est compréhensible, il est difficile de demander aux chômeurs de se mobiliser pour une agence qui est charger de les contrôler, de les sanctionner et qui globalement ne leur apporte que peu de services. Pourtant des choses sont à faire dès maintenant pour s’opposer à cette privatisation. Le 5 janvier dernier, des chômeurs, des intermittents du spectacle ont envahi les locaux d’Ingeus. Ce genre d’action pourrait être effectué en commun avec les agents de l’ANPE qui sont conscients des dangers de la libéralisation du marché de l’emploi. D’autres actions doivent être prévues. Mais à terme ni les agents de l’ANPE ni les chômeurs ne pourront seuls mettre un terme à ces politiques, car ni les uns ni les autres n’ont de véritable force sociale pour s’y opposer. Ils doivent se lier à l’ensemble du mouvement social. Le 20 janvier prochain, à l’appel des syndicats de la fonction publique, une journée de grève va avoir lieu sur la question des salaires. Les agents de l’ANPE doivent y participer, tant sur les revendications salariales que sur les revendications sectorielles.

Par Yann Venier, agent ANPE