A la tête du Front de gauche le score du FN est perçu comme une catastrophe et la faute en serait à Hollande qui coulerait la « gauche » avec sa politique. Du coup, les débats se sont multipliés depuis quelques semaines ainsi que les tractations et discussions dans les coulisses. Dès qu’il s’agit de discuter, il y a beaucoup d’agitation. Mais le soucis, et non des moindres, c’est que cela peine à déboucher sur des éléments concrets tant en terme d’action que d’organisation.
Aux élections européennes, les listes à gauche du PS et d’Europe Ecologie les Verts ont réuni 10% des votes exprimés : Front de Gauche, Nouvelle Donne, Lutte Ouvrière et NPA. Il ne s’agit pas d’additionner des programmes qui sont différents sur certains points importants. Mais les électeurs qui ont voté pour ces listes ont eux en commun leur rejet de la politique de Hollande et des politiques d’austérité, ce qui est une base commune pour agir ensemble, sans parler évidemment des millions d’abstentionnistes qui partagent les mêmes aspirations.
Le Front de Gauche prendra-t-il une initiative ?
A l’extrême gauche, Lutte ouvrière se refuse à débattre de tout pas politique concret, se refusant, de fait, à peser sur les débats publics. Le NPA a gâché la possibilité d’un parti construit avec la base et sur une ligne résolument anticapitaliste. La direction du NPA n’a pas seulement créé une situation où désormais ce parti n’ira que de crises paralysantes en déchirements, elle a également démoralisé une couche plus large et repoussé la possibilité d’un nouveau parti des travailleurs et de la jeunesse à une perspective malheureusement pour le moment assez lointaine. Quant à la crédibilité du NPA à faire un nouveau parti, elle prête désormais à sourire, voire plus.
Avec 6,5% (et en repensant aux 11,1% de Mélenchon à la présidentielle de 2012), le FdG est la force qui aujourd’hui a le plus d’audience, mais pour en faire quoi ? Des trois principales composantes du FdG, deux ont la même idée, exprimée de manière différente. Autant Mélenchon et le PG, que le PCF, sont tournés vers les députés grognons du PS et les «écologistes». Le PCF parle même d’une «nouvelle majorité à gauche». Et ça parle d’élargir le Front de gauche en Front du Peuple sans rien de précis. Probablement plus large quant au nom, mais identique quant au fonctionnement : le consensus ou l’affrontement au sein du comité national avec comme seuls décideurs les dirigeants du PCF, du PG et accessoirement des autres composantes.
Mélenchon depuis des mois plaide pour une orientation vis à vis d’EELV mais achoppe évidemment sur une dure réalité : EELV est partie prenante de la majorité gouvernementale et n’entend pas entrer en opposition. Quant à la 3ème composante importante du FdG, désormais appelée «Ensemble» et regroupant divers courants (dont la Gauche Anticapitalste issue du NPA), elle a permis aux membres isolés du FdG de rejoindre une structure qui était plus ouverte et qui essaie de poser la solution en terme d’orientation politique et non de solution technique. C’est à dire qu’Ensemble propose que la «nouvelle majorité» à gauche se fasse autant sur des propositions que sur un mode d’organisation du FdG. Dans la réalité, Ensemble, bien qu’ayant une approche plus souple, reste focalisé sur les scores électoraux comme critère fondamental, et participe de la même cuisine du FdG, souvent très éloignée des besoins de la classe ouvrière et de la jeunesse. Le dernier appel en date (qui se multiplient eux aussi), «Gauche : ne plus tarder», est lancé par des dirigeants du PCF, du PG, d’Ensemble, d’EELV…
Improbable «majorité» ou agir dès maintenant avec une large couche active dans la lutte des classes ?
On peut s’étonner de tout ce temps passé en discussions et rencontres pour n’aboutir à rien pour le moment. S’il s’agissait de confronter des idées et des programmes très différents sur le fond cela pourrait se comprendre mais ce n’est pas le cas. Tout autant Mélenchon que le PCF cherchent d’improbables ruptures des députés socialistes «grognons» ou d’EELV d’avec la majorité gouvernementale. Non seulement ceux-ci n’iront pas à la rupture et encore moins sur une base remettant en cause le capitalisme, mais ils le disent eux-même, ils ne seront pas dans l’opposition à Hollande mais dans la «contre proposition», ce qui ne changera rien au fond de sa politique.
Ce qu’il manque, c’est que les travailleurs et la majorité de la population aient un parti à eux, qui soit la voix de leur colère mais aussi le cadre dans lequel ils pourraient s’organiser, défendre des revendications communes contre les politiques d’austérité et contre le capitalisme et sa loi du profit. C’est un tel outil de résistance à une échelle de masse qui fait défaut. La discussion au sein du FdG ne prendra un sens que si elle se fixe comme objectif de construire une véritable force politique pour stopper la politique d’Hollande-Valls dès maintenant. Si les discussions continuent de tourner en rond et autour de formules creuses, si elles continuent de n’être en grande parties tournées que vers la cuisine politicienne de «gauche», alors une large partie des travailleurs, des jeunes, des syndicalistes, de tous ceux qui luttent, ne s’y retrouvera pas. Le danger alors est réel, non pas que la «gauche» disparaisse, mais que l’expression de la colère contre le capitalisme ne trouve pas un outil pour s’organiser massivement.
Alex Rouillard
voir aussi l’article « Mélenchon fait une pause… avec grand bruit »