La gauche se réveillera-t-elle avant noël ?

Les annonces faites par le gouvernement Raffarin ont connu mi-octobre un tournant. Tout en conservant une certaine prudence tant sa peur d’un mouvement social d’ampleur est grande, il a annoncé coup sur coup une série de mesures qui sont autant d’attaques : suppressions d’emplois dans différents services publics, décentralisation, décret Fillon qui augmente le nombre d’heures supplémentaires, loi Sarkozy… Aucune de ces mesures n’est accueillie avec enthousiasme, la décentralisation risquant même de faire exploser la majorité chiraquienne. Mais s’il a décidé d’aller un peu plus vite, c’est certainement du coté de l’apathie de la gauche et des directions des syndicats que se trouve une bonne partie de l’explication.

Article paru dans l’Egalité n°98

Surtout ne pas se mobiliser !

Raffarin et Chirac ont bien compris la méthode Jospin : annoncer qu’on veut faire une mesure d’égalité sociale et la truffer de particularités qui attaqueront les secteurs les moins résistants. Dire qu’on est pour égaliser le smic par le haut, par exemple, mais permettre une multiplication des heures supplémentaires et en baisser la rémunération. Ainsi, les Smicards travailleront 39 heures payées au mieux 39 au pire 35. Ainsi les dirigeants syndicaux peuvent appeler à la « vigilance », aller discuter dans les salons ministériels, et en même temps ne rien faire pour mobiliser.

Ne surtout pas mettre du monde dans la rue plus d’une journée semble être le mot d’ordre des directions syndicales surtout celles concernées par les élections prud’homales qui arrivent. La CFDT s’est vu décerner les félicitations de Sellière, le président du Medef, pour sa qualité de partenaire sérieux !

Depuis plusieurs mois, la direction confédérale de la CGT inquiète de nombreux militants : elle parle de défendre les retraites ou de la retraite à 60 ans mais de moins en moins des 37,5 annuités de cotisations, seule garantie d’une retraite pleine et entière à 60 ans (ou 55 dans les secteurs pénibles). Préparation de terrain avant une nouvelle capitulation ?

Avec de telles directions syndicales, le gouvernement a la garantie qu’elles ne chercheront pas à mobiliser réellement tout de suite. Certes, dire aujourd’hui « tous ensemble » et « grève générale » ne donnerait rien. Les équipes militantes au sein des syndicats, les travailleurs en général doivent plus que jamais compter avant tout sur eux-mêmes pour mener les luttes et formuler les revendications que devraient avoir les syndicats aujourd’hui : un non catégorique à toutes les mesures gouvernementales. Le congrès confédéral de la CGT au printemps 2003 peut être un moment privilégié pour une telle bataille.

Surtout ne pas politiser !

Coté partis de l’ex-gauche plurielle, c’est l’alternance du psychodrame, genre loftstory de la gauche, et le refus de toute critique de fond du bilan gouvernemental. En gros, laisser passer le temps pour se représenter lorsque la lassitude aura discrédité la droite. Fabius est furieux parce que Aubry et ses partisans ne l’ont pas invité à un dîner parisien. Melenchon et Dray se sont fâchés et ne se disent plus bonjour. Hollande est accusé par Fabius et Strauss-Khan de les mettre à l’écart… Passionnant ! Une telle profondeur de débat doit enthousiasmer les nouveaux militants du PS qui sont nombreux paraît-il (20 % de l’effectif actuel a adhéré ces derniers mois). Ce qui se joue au PS c’est l’habituelle valse des courants avant le congrès de 2003. Sur le fond la posture officielle de la tendance « Nouveau monde », issue du rapprochement Emmanuelli-Melenchon, avec la scission de la Gauche socialiste au passage, est celle qui se prétend la plus à gauche, mais elle ignore superbement le bilan des lois Aubry, réformes Allègre etc. Le trio Dray-Peillon-Montebourg cherche sa place au centre, en rassembleur de tout le PS, en béquille de Hollande en fait. Les ténors sociaux-libéraux (Aubry, Strauss-Khan, Fabius) s’écharpent, comptent leurs amis de toujours et leurs traîtres futurs…

Tout ceci a le grand avantage de maintenir un immobilisme total, ne pas risquer que le prochain congrès du PS soit sous la pression d’un quelconque mouvement. Et surtout, ce qui les rassemble tous, ne pas faire de bilan critique des années Jospin. Tout au plus reconnaissent-ils que les liens avec le « peuple » se sont distendus. En gros, leur politique a été très bonne pour le peuple mais ne lui a pas été bien expliquée, certainement qu’au fond ils se disent que le peuple n’a pas compris car il ne vaut guère qu’on s’y attarde.

Une gauche définitivement dans le capitalisme

Ce qui domine nettement, c’est l’ancrage définitif de la gauche plurielle dans la gestion du capitalisme, qui fait que si cette gauche là revient au gouvernement, elle fera encore bien pire. Nombreux sont les analystes qui soulignent à quel point dans l’éducation, les services publics, la loi Aubry etc, le gouvernement Raffarin ne fait que continuer ce qui avait débuté sous Jospin. A tel point que sur les lois Sarkozy, Bocquel maire PS de Mulhouse, Frêche, maire PS de Montpellier et beaucoup d’autres ont dit que la gauche n’avait qu’à la fermer, que c’est ce que Jospin aurait dû faire. D’autres (Jean Marc Ayrault, président du groupe PS à l’assemblée) disant qu’il n’y a pas besoin de la loi Sarkozy car la loi sur la sécurité quotidienne adoptée en novembre 2001 est déjà une des plus répressives d’Europe et qu’il suffirait de l’appliquer pleinement.

Dès lors, qu’avons nous à faire avec ces dirigeants ? Rien, absolument rien. On peut interpeller le PS, proposer aux militants de la gauche plurielle de mener la bataille avec nous contre la politique de Raffarin et contre les décisions des patrons. Mais rechercher un accord politique avec des organisations comme le PS risque surtout d’empêcher les mobilisations. La direction du PS ne fait que chercher quel maquillage elle va désormais utiliser pour abuser une nouvelle fois les travailleurs et les jeunes et ainsi mener la politique que souhaitent le patronat et les grands actionnaires. Car il est clair que la tactique de la plupart des directions de l’ex-gauche plurielle va consister en un minimum de mobilisation, pour éviter de politiser et que soit ainsi remise en cause la politique qui vient d’être menée pendant 5 ans.

L’effet Chirac

Malheureusement, il semble, une fois de plus ,que ceux qui disent qu’ils se battent pour une force qui soit en rupture avec le capitalisme, n’appliquent guère cela au delà de la propagande. Les deux récents appels, l’un contre la guerre en Irak, l’autre contre les lois Sarkozy, rassemblent la plupart des forces de la gauche « anticapitaliste » (LCR, les Alternatifs, Alternative libertaire etc.), le PCF, les Verts, et le PS. Et que peut on y lire ? Dans le premier que les signataires appellent à un « règlement du problème irakien dans le cadre de la charte de l’ONU et du droit international » (laquelle charte de l’ONU autorise la guerre). Dans le second, on y lit que la « répression est nécessaire mais ne doit pas remplacer la prévention », argument qu’on nous avait servi pour inaugurer les centres fermés pour jeunes sous le gouvernement Jospin. Dans les deux cas, ces larges concessions à des appareils comme le PS sont justifiés par le fait qu’un front large a été ainsi constitué. Un front large pour faire quoi ? Rien, ou peut être une manifestation mais ça n’ira pas plus loin. En attendant il n’y a pas de mobilisation durable. Car une mobilisation, c’est comme un édifice, ça a besoin de base solide pour être construit. C’est tout l’inverse avec ces deux appels. Et de les voir ainsi justifiés dans l’hebdomadaire de la LCR par exemple, ne laisse rien augurer de bon.

Dès lors, les « forums » que devaient initier les différentes forces de gauche (PCF, LCR…) soit ont disparu, soit seront des événements sans grande perspective ni ampleur. Rêver d’être « le pire cauchemar de la droite » après avoir voté pour elle au second tour des présidentielles, voilà un paradoxe qui risque fort de paralyser la LCR. Elle semble aujourd’hui une organisation coincée entre sa croissance, les « centaines de nouveaux membres », et ses anciennes pratiques. La LCR tient son congrès en 2003 elle aussi. D’ici là, peu de choses risquent de bouger. La mise en avant du « tous ensemble » va certes satisfaire les militants, mais n’a aucune traduction concrète et va en fait les décourager. L’absence de « partenaires politiques » pour les forums va certes démontrer qu’une nouvelle force n’est pas possible tout de suite mais en même temps, cela va justifier la bonne vieille formule, « en attendant construisez la Ligue ». Les apparences ainsi sauvées, aucune stratégie n’est mise en place pour renforcer les luttes dans chaque secteur, première véritable étape pour que les travailleurs et les jeunes reprennent massivement le chemin de la lutte. De perspectives politiques, un nouveau parti qui soit capable de défendre une orientation unifiée qui permette aux travailleurs de lutter, il n’en est question que dans les motions de congrès, pas dans la pratique. Contre la guerre, contre les lois Sarkozy, contre la politique générale de Raffarin, contre l’offensive des patrons, ce dont les travailleurs et les jeunes ont besoin, c’est d’axes de lutte clairs, sans peur de ne pas trouver d’alliance avec les partis de l’ex-gauche plurielle autre que le lieu et l’heure de la manifestation.

Par Alex Rouillard