Depuis quelques semaines se déroule les négociations entre syndicats et patronat sur le prétendu « dialogue social ». Depuis plusieurs mois, les déclarations des organisations patronales ainsi que du gouvernement ne laissent la place à aucune ambiguïté sur leur volonté de s’attaquer aux seuils sociaux (1), qui obligent les entreprises à mettre en place des instances représentatives du personnel (IRP), parce qu’ils seraient selon eux un frein à l’emploi.
La direction de la CGT affirmait il y a encore peu de temps que la remise en cause des seuils sociaux constituerait une ligne rouge qu’elle n’accepterait pas de franchir, un véritable casus belli et que la revendication à défendre était la mise en place d’instances interentreprises pour les TPE qui ne possèdent pas actuellement d’IRP et qui laissent les salariés de ces entreprises le plus souvent seuls face à leur patron. Dans ce cadre, effectivement la création d’une instance interentreprises dans les TPE pourrait être une avancée sociale aussi limitée soit-elle.
Les militants de la CGT tombèrent des nues lorsqu’ils apprirent par la presse (une fois de plus) que les négociateurs confédéraux de la CGT allaient proposer lors de la réunion de négociation du 21 novembre que l’élection de délégués du personnel (DP) ne soit plus obligatoire dans les entreprises de moins de 50 salariés. Cette position n’a été ni largement débattue dans l’ensemble des syndicats de la CGT ni même, semble-t-il, dans les instances régulières de direction de la confédération (Comité confédéral national ou commission exécutive confédérale). Elle ne correspond même pas aux revendications des fiches revendicatives (corpus de revendications de la CGT) sur le sujet.
Selon la proposition de la direction confédérale, les DP seraient remplacés par une instance territoriale paritaire aux prérogatives amoindries dont les membres pourraient être extérieur à l’entreprise (et donc plus éloigné des réalités de terrains) seraient nécessairement désignés par les structures interprofessionnelles des organisations syndicales sauf si deux salariés demandent des élections (au lieu de un actuellement. Auquel cas, des élections auraient lieu au sein de l’entreprise. Cette proposition revient à éloigner un peu plus les DP des salariés et des militants syndicaux dans les entreprises, au profit d’un syndicalisme de prétendus experts extérieurs.
Cette annonce fait l’effet d’une bombe au sein de la CGT qui s’ajoute aux divers problèmes de positionnement de la confédération ; en particulier sur son absence de réaction face aux attaques et son absence de stratégie pour construire le rapport de force nécessaire pour s’opposer au patronat et au gouvernement. Sans parler des diverses révélations récentes concernant les dépenses de la CGT.
Le malaise s’accentue un peu plus vis-à-vis de la direction confédérale et de son orientation. La parole se libère et les motions de syndicats ou de structures interprofessionnelles (union locale, union départementale) se multiplient. Ça été le cas au mois de juillet lorsque la direction confédérale a reçu des dizaines de motions pour refuser que la CGT participe à la mascarade de la conférence sociale. Des motions et des lettres individuelles commencent à arriver à la confédération sur le sujet des DP. c’est le cas de la FILPAC-CGT (fédération du livre), du SNTFP-CGT (syndicat national de l’inspection du travail), de la fédération des Ports et Docks, de la Chimie, des sociétés d’études, de la Construction, de l’agro-alimentaire, de l’UD de la Marne ou du secrétaire de l’UD du Cher…
La direction confédérale tente d’accélérer son évolution vers un syndicalisme intégré au système. Elle continue de vouloir considérer le gouvernement et le patronat comme des partenaires sociaux avec qui il est possible de négocier dans un rapport « donnant-donnant ». Cette ligne en décalage totale avec le vécu des militants syndicaux dans les entreprises et les services publics désarme les travailleurs. Cependant elle génère une opposition de plus en plus âpre dans l’organisation contre cette dérive cogestionnaire.
Les IRP ont pu faciliter la dérive vers toujours plus de collaboration de classe de certaines organisations syndicales en accroissant les possibilités cogestionnaires. Un certain nombre de discussions ont lieu de manière de plus en plus récurrente dans la CGT sur l’utilisation des IRP afin de ne pas sombrer dans cette cogestion qui nous éloigne de la construction du rapport de force nécessaire avec les salariés pour imposer nos revendications. Il en demeure pas moins que l’instance des délégués du personnel, les comités d’entreprises ou les comités hygiène-sécurité et conditions de travail peuvent être des outils pour s’opposer aux patrons et défendre les collègues lorsqu’elles sont utilisée dans l’objectif de s’opposer aux projets des directions et des patrons par la mobilisation.
L’abandon des DP dans les entreprises de moins de 50 salariés, aussi limité que soit le pouvoir de cette instance tout comme chaque IRP, risque d’être perçu par les syndicats comme un dépassement de la ligne rouge par la direction confédérale elle-même, et cela d’une manière antidémocratique : une véritable trahison qui s’en prend directement aux intérêts des syndicats et à leur capacité d’action pour défendre les intérêts individuels et collectifs des salariés dans les entreprises de 11 à 49 salariés.
Par Yann Venier
1) : seuils en termes de nombre de salariés à partir desquels les entreprises doivent mettre en place des instances représentatives du personnel (IRP) : à partir de 11 salariés mise en place des délégués du personnel (DP), à partir de 50 salariés mise en place d’un comité d’entreprise (CE) et comité hygiène-sécurité et conditions de travail (CHSCT)