Bab el Oued : un drame révélateur

La tragédie du 10 novembre dernier, notamment dans le quartier de Bab el Oued, résume la situation dans laquelle se trouve l’Algérie. Alors qu’un bulletin météo spécial avait annoncé de fortes pluies, rien n’avait été prévu pour une éventuelle catastrophe.

Article paru dans l’Egalité n°92

Dans ce quartier d’Alger, construit dans une vallée, où les autorités françaises avaient en 1958 fait construire la route Chevalley-Bab el Oued, la crue a pris des proportions dramatiques. Un véritable fleuve de boue a emprunté cette route, la vallée de l’oued en fait, et provoqué la mort de plus 700 personnes. La construction du marché du Triolet par le FIS (Front islamique du salut, à la tête de la municipalité à ce moment) a aggravé ce chiffre : ce marché se trouvait dans une cuvette de la vallée. La spéculation foncière a entraîné une urbanisation sauvage que la municipalité FIS a favorisé et le déboisement des collines surplombant le quartier sous prétexte de chasse aux commandos islamistes ont bien évidemment aggravé les choses. Lorsque le président Bouteflika s’est enfin décidé à venir dans le quartier trois jours après la tragédie, il a été logiquement accueilli par la colère des jeunes du quartier.

Le symbole de l’état du pays

La révolte du printemps dernier commencée en Kabylie avait montré le ras le bol d’une population écrasée par le chômage, prise en tenaille entre la dictature militaire et les groupes terroristes islamistes. Le quartier de Bab el Oued est très pauvre, et les islamistes y avaient une certaine base. Après les émeutes d’octobre 88, cela lui avait valu une forte répression et les chants saluant les martyrs de Bab el Oued sont encore ceux utilisés pour contester le pouvoir. Très symboliquement, alors que le fondamentalisme islamique avait souvent servi de canal pour exprimer la colère populaire dans les quartiers pauvres d’Alger, tandis qu’en Kabylie c’était plutôt les revendications « culturelles » (langue tamazight etc.), cette fois ci, la jeunesse de Bab el Oued a repris le slogan de la jeunesse kabyle :  » pouvoir assassin « .

La « volonté de Dieu » invoquée par Bouteflika pour expliquer les événements n’a convaincu personne. Surtout lorsque les représentants de l’Etat, les militaires notamment, ont été plus prompts à venir patrouiller en armes dans le quartier qu’à participer aux opérations de secours. Dans le cimetière d’El Alia où sont entreposés les corps, les policiers et autres employés des divers ministères ont eu à organiser eux mêmes les relèves, leurs supérieurs n’y ayant pas pensé. Quant aux services publics, désorganisés par les différents plans d’ajustement structurel, ils ont été dépassés. C’est dans ce genre de crise que sont mises à nu les conséquences désastreuses des politiques ultralibérales.

La colère gronde, quand éclatera-t-elle réellement ?

« La poursuite de la politique de rigueur en matière de salaires et le niveau de performances de l’économie […] ont altéré les conditions de vie des ménages », dit le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Selon les critères du bureau international du travail, le taux de chômage est de 28,8 %.

Le 20 août dernier, le gouvernement a passé une ordonnance rendant éligible à la privatisation toute entreprise publique. S’étant assuré que la contestation de l’Union générale des travailleurs algériens n’irait pas au delà d’exigences de garanties sur les salaires et les « acquis », il va continuer les grandes privatisations, et notamment le secteur pétrolier, le gaz et l’électricité, avec l’appui de l’Union européenne.

Le gouvernement de Bouteflika suit bien sagement les plans dictés par le FMI mais la crise économique va aggraver encore plus la situation.

Une gigantesque colère sommeille dans le peuple, les événements de Kabylie ou la colère des habitants de Bab el Oued n’en sont que les premières expressions. S’étant assuré que l’UGTA resterait passive, et que les conseils de village de Kabylie ne chercheraient pas à étendre le mouvement à l’industrie, « Boutef  » joue l’équilibriste. Mais les problèmes s’aggravent, et la tragédie de Bab el Oued est un révélateur. Révélateur des conséquences désastreuses de la politique actuelle, révélateur aussi de la nécessité pour les luttes en Algérie de reprendre, en renvoyant dos à dos militaires et intégristes, le chemin du combat contre le capitalisme, pour le socialisme, la gestion démocratique des richesses du pays par les travailleurs pour la satisfaction des besoins de tous.

Par Alex Rouillard