Interview de Franck Lequien, salarié de Via Systems

L’actualité est remplie d’annonces de plans de licenciements. L’un des groupes phares de la croissance des « nouvelles technologies », Lucent, après avoir connu une période d’euphorie spéculative autour de ses actions est désormais l’un des numéro un mondiaux des licenciements. Le site de Dèville-les-Rouen (83 salariés Recherche et Développement), est, a priori, promis à la fermeture intégrale. Mais déjà, quelques mois plus tôt, Lucent s’était débarrassé de la partie production en la revendant à VIA SYSTEMS. Nous avons interviewé Franck Lequien, délégué du personnel à VIA SYSTEMS, et militant syndical CGT.

Article paru dans l’Egalité n°90

L’Ega. : Longtemps, l’entreprise à Déville s’est appelée TRT, peux-tu nous résumer les évolutions ?

F.L. : Nous en sommes au 4ème plan social. En 98, LUCENT est devenu propriétaire du site. En 2000, LUCENT a externalisé la production. C’est VIA SYSTEMS (VS), un groupe américain d’importance moyenne qui en a été l’acquéreur. Cela nous a été annoncé lors d’un CE extraordinaire en août 2000. Un plan de licenciements maison avait même été mis en place : certains salariés (55 sur le site de Dèville) se sont vu proposer une rente qu’une compagnie d’assurance allait gérer. VS a racheté les murs et le personnel, la technologie est restée à LUCENT.

L’Ega. : Par la suite, en pleine période d’euphorie boursière, quel a été le discours de la direction ?

F.L. : En fait, le discours des cadres et de la direction était de dire que tout allait être encore mieux. Pourtant les difficultés de Lucent pour se restructurer se sont vues rapidement. La cession de la production à VS s’était faite avec une promesse quant au volume de production que Lucent allait donner à VS. Et en fait, cet accord n’a jusqu’à maintenant jamais été réalisé. En plus, de 120 000 à l’époque, Lucent devrait descendre à 80 000 salariés aujourd’hui. Il y a quelques jours, la décision a été prise par la direction de Via Systems et présentée en CE : tout le monde, exceptés certains cadres, en chômage partiel pendant 4 mois.

L’Ega. : Les raisons ne sont peut être pas seulement dues au ralentissement économique déjà bien prévisible…

F.L. : Le but actuel, notamment dans le monde des telecom, est d’accélérer la compétition pour étouffer la concurrence. Le recours au chômage partiel aujourd’hui, n’est-ce pas un moyen comptable d’assurer un certain taux de bénéfice à la fin de l’année ? Si l’activité est assurée d’être réduite, pour eux autant anticiper pour que lors de la clôture de l’exercice il reste une marge bénéficiaire pour satisfaire les actionnaires.

L’Ega. : L’ambiance dans la boite et les perspectives, c’est quoi alors ?

F.L. : Le jour où le CE a été réuni pour l’annonce d’une mesure de chômage partiel, on a convié les salariés à venir à la sortie. Ils étaient nombreux, et le directeur a même dû refaire une réunion dans la journée pour discuter avec les salariés. Leur discours c’était  » on limite les dégâts jusqu’à la reprise de la production « . Mais pendant deux ans, les nouvelles technologies, c’était comme la ruée vers l’or, et des secteurs peuvent générer d’énormes bénéfices en deux ans et re-disparaître aussitôt sans rien redistribuer des profits aux salariés. Au niveau du syndicat on est moteur pour organiser et proposer des actions, dans la boite ça a toujours été la CGT qui a joué ce rôle là, mais c’est aussi si les salariés s’en saisissent et agissent eux-mêmes. Chacun doit prendre conscience qu’il faut cesser de subir les décisions de la direction.

L’Ega. : Plusieurs actions ont déjà eu lieu comme la manifestation du 09 juin contre les plans de licenciements…

F.L. : Ca a fait pas mal discuter dans la boite. Lors des manifs contre les retraites aussi par exemple. Mais les salariés n’ont pas encore franchi le pas vers une action réelle. Il faut un mouvement pour réveiller la conscience collective des gens. Il y a de quoi revendiquer notamment face à l’Etat qui continue de verser de l’argent aux entreprises même quand elles font des bénéfices ou qu’elles licencient. Autour de la loi Aubry, par les fonds européens, il y a beaucoup de fonds publics qui vont aux entreprises. Ce qui est difficile pour beaucoup de salariés c’est de comprendre le lien entre leurs problèmes de tous les jours et les conséquences des mouvements de l’économie au niveau mondial. C’est peut-être également lié au fait que les syndicats se sont constitués et battus sur une histoire nationale et dans des luttes nationales alors qu’aujourd’hui les sociétés sont internationales. Dans le syndicalisme, certains secteurs connaissent une certaine amélioration (pme, grandes surfaces) mais dans les vieux secteurs, qui en plus ont connu peu d’embauches, cela reste difficile. La politique du patronat de développer des syndicats à sa botte joue aussi.

L’Ega. : Comment avancer ?

Il ne faudrait pas prendre de retard. Par exemple, trop d’actions restent sur un plan local. Les infos et les actions doivent remonter plus au niveau national et être médiatisées. Il faut plus d’interconnexion avec d’autres structures (Attac par exemple) pour qu’une dimension plus large, au niveau de la société elle-même, soit introduite, tout en essayant d’éviter les risques de récupération politique. La richesse du syndicalisme c’est d’unir des gens très divers mais qui défendent des intérêts communs. Mais cela peut être sa faiblesse également car une telle diversité conduit à des options différentes par rapport au type de société que l’on veut construire.

L’Ega. : A Gênes cet été, ou lors d’autres initiatives, on a vu que nombreux sont ceux qui en ont assez de la mondialisation et de toutes les attaques que cela implique…

F.L. : J’ai commencé à faire des choses sur des sujets plus larges avant de songer au syndicalisme. Même si le lien existe, je ne l’ai pas forcément fait d’entrée de jeu. Dans la plupart de nos tracts on intègre des termes liés à la lutte contre la mondialisation.