Il y a 20 ans : Jeunes contre le Racisme en Europe JRE/YRE

En France, une partie de la classe ouvrière et des jeunes est issue de l’immigration. Par conséquent le combat contre le racisme prend un caractère crucial pour la lutte des classes et pour l’unité des travailleurs. Aujourd’hui, malgré les bavures policières, la propagande contre les musulmans et les arabes et des actes antisémites, le mouvement antiraciste semble muet.

Dans les années 90, avec la chute de l’URSS, faute de perspectives face au capitalisme, les discours réactionnaires et anti-travailleurs se multipliaient, prenant de plus en plus les personnes issues de l’immigration comme cible. Les nombreuses bavures et meurtres racistes de la police, les inégalités, la montée d’actes antisémites de groupes fascistes (destruction de tombes juives à Carpentras) et la montée du FN étaient des éléments radicalisant une partie de la jeunesse. En ex-Allemagne de l’Est, notamment à Rostock, les militants néo-nazis attaquaient à coup de cocktail molotov les foyers de travailleurs et d’étudiants étrangers. Une partie importante de l’activité politique de l’organisation dont proviennent quelques membres de la Gauche Révolutionnaire actuelle (les JCR-Egalité) reposait sur la construction de la lutte antiraciste en lien avec la lutte révolutionnaire.

En octobre 1992, à Bruxelles, plusieurs dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs de toute l’Europe convergèrent à l’appel de la campagne Youth against Racism in Europe (YRE) lancée par le Comité pour une Internationale Ouvrière, alors que le mouvement antiraciste officiel prétendait qu’on ne pouvait pas mobiliser. Avec comme slogan central, «du boulot, pas de racisme     !», et ses axes de construction, son caractère européen, antiraciste et antifasciste, YRE-JRE posait à la fois la question du combat contre le racisme et son lien avec la lutte contre le capitalisme.

Pas de capitalisme sans racisme !

En France, nous avions décidé de lancer JRE à l’occasion de la sortie du film sur le dirigeant des Black panthers, Malcom X. Son militantisme avait été sans concession et impliqué une lutte contre l’appareil d’état américain. Malcom X avait commencé à tirer les leçons de son combat, avant d’être abattu par la CIA. Il a formulé l’idée qu’il n’y a pas de capitalisme sans racisme et que la lutte antiraciste est celle de la classe ouvrière, commune aux noirs et aux blancs.    En Angleterre, en Allemagne, en Belgique et en France des comités se créaient et des jeunes nous rejoignaient pour lutter contre le racisme et le fascisme et s’en prenaient au système capitaliste.

Notre slogan central «du boulot pas de racisme !» combattait l’idée que le problème du chômage serait lié aux étrangers et montrait que les inégalités sociales et le chômage font le lit des idées racistes. Lutter contre le racisme implique de combattre ses racines : le capitalisme même qui divise les travailleurs pour faciliter leur exploitation. C’était aussi un appel à entrer en lutte collectivement, qu’on soit issu de l’immigration ou pas, et non une dénonciation seulement «morale» du racisme. Cet appel à la lutte collective a fait qu’il y a toujours eu beaucoup de jeunes et de travailleurs issus de l’immigration dans les rangs de JRE. C’est dans ce sens que JRE a aussi combattu et fait campagne contre les exclusions de lycée de jeunes filles qui portaient le foulard dès 1994, lors de la circulaire discriminatoire de Bayrou, pour défendre le droit à l’école pour tous et toutes, et le refus des discriminations.

Aucune expulsion, des papiers pour tous, tout de suite !

En France, un mouvement était né autour d’occupations d’églises par des travailleurs et travailleuses sans papiers. La plus emblématique fut celle des sans papiers de St Bernard à Paris en 1996. Cette lutte par son intensité et sa durée posait des questions centrales que tous les travailleurs en lutte se posent : quelles revendications peuvent faire gagner tout le monde, qui décide dans la lutte. JRE défendait concrètement la question de l’organisation des sans-Papiers eux-mêmes, en collectifs indépendants, décidant eux-mêmes des revendications et des actions, en lien avec le reste du mouvement ouvrier, et ce, à la différence des organisations antiracistes institutionnelles.

Dans ces occupations, JRE défendait également que la lutte des sans-papiers était à la fois une lutte antiraciste et une lutte sociale, d’une partie des travailleurs qui devait s’intégrer à la lutte de tous les travailleurs. JRE défendait donc que les syndicats s’impliquent le plus possible. De même, la lutte contre le racisme ne se limite pas à la lutte contre le FN, elle englobe la lutte contre les politiques gouvernementales.   

Le gouvernement Chirac a fait briser les portes de l’église à coups de hache pour mettre fin à cette occupation très soutenue parmi la population, et tenté d’expulser certains vers le Mali. JRE, devant l’aéroport d’Évreux ou à l’église Saint-Bernard, sans se substituer aux sans papiers, organisa en grande partie l’opposition aux forces de l’ordre. Malgré les nombreuses manœuvres des organisations antiracistes officielles pour retirer des mains des sans papiers la direction de leur lutte, JRE resta aux côtés de ceux-ci et défendit toujours la revendication de la régularisation de tous les sans papiers. Les revendications de JRE étaient largement partagées par les sans papiers qui se présentaient eux mêmes comme des travailleurs privés de droit. Les axes et slogans, l’implication dans la lutte concrète, de JRE permirent de faire avancer la lutte et politiser. Un an plus tard, dans la lutte pour empêcher les expulsions dans les aéroports, le ministre de l’Intérieur énervé à l’assemblée dénonce l’action de JRE, des « trotskistes anglais » agitateurs (en référence au CIO)…

Alors que les luttes ouvrières étaient, même en France après 1995, à un niveau plus faible qu’avant face aux gouvernements et à leurs attaques néolibérales, une nouvelle génération militante s’est formée dans le combat antiraciste et antifasciste en Europe au côté de JRE à la lutte des classes. Les gouvernements ont continué les lois discriminatoires mais de nombreuses luttes contre les expulsions, pour des régularisations, continuent d’exister. Avec la crise du capitalisme, le slogan « du boulot, pas de racisme ! » est entièrement d’actualité. Ces luttes joueront à nouveau un rôle dans la capacité des jeunes et des travailleurs à unifier leur combat en France contre le capitalisme et pour le socialisme.

Par Leïla Messaoudi, article paru dans l’Egalité n°159, Janvier-Février 2013