Beaucoup se sont réveillés avec une gueule de bois. Non, ce n’est pas Hillary Clinton, la candidate préférée de l’establishment et d’à peu près l’ensemble des médias, qui l’a emporté, c’est Donald Trump. S’il devient le prochain président des États-Unis, c’est que Clinton a principalement perdu en raison… d’elle-même ! L’establishment a un problème majeur de représentation politique dans ce contexte d’échec flagrant du système capitaliste. Beaucoup se demandent comment pareil résultat est devenu possible. Voici ci-dessous deux articles de nos archives qui livrent quelques éclaircissements.
Elections présidentielles américaines : le discrédit de l’establishment mène à la division. Comment un milliardaire raciste et sexiste peut-il être si populaire ?
Article de Bryan Koulouris, ‘Socialist Alternative’ (CIO-USA) publié en septembre 2015
Robert Reich, l’ancien ministre de l’Emploi sous Clinton, a prévenu l’establishment politique : “les initiés politiques ne comprennent pas que le phénomène politique le plus important en Amérique aujourd’hui est la révolte contre la « classe dirigeante » des initiés qui domine Washington depuis des décennies déjà .” (2 août 2015).
Une révolte se développe contre le racisme, contre les bas salaires, contre la politique immuable (« as usual »). Malgré une plus longue période de redressement économique, les jeunes sont confrontés à des emplois de mauvaise qualité, des dettes astronomiques et à la crise écologique. L’establishment politique est financé et contrôlé par les grandes entreprises. Chaque sondage reflète un nouveau recul pour cet establishment.
Entre-temps, le monde est sous le feu de divisions ethniques et religieuses et de guerres dans de grandes parties du Moyen-Orient. Les dévaluations chinoises et le krach boursier suscitent la peur dans toute l’économie mondiale. En Europe, la politique d’austérité drastique menace la subsistance-même de l’UE. Cela fait en sorte que de plus en plus de gens se rendent compte que ce système ne fonctionne pas.
Comment un milliardaire raciste et sexiste peut-il être si populaire ?
Comment dans un tel contexte, est-il possible qu’un milliardaire aussi raciste et sexiste que Donald Trump puisse avoir une telle écoute ? Trump est écouté pour ses attaques contre les deux partis établis et tous les politiciens. Il dit ouvertement que le système politique est achetable. Et il peut le prouver, il a lui-même acheté de nombreux politiciens. Sa rhétorique n’est pas particulièrement prudente, certains électeurs républicains trouvent ça rafraîchissant. C’est un monstre créé par l’establishment qui attise depuis des années le racisme et une polarisation entre groupes de population.
Il est remarquable que Trump puisse trouver du soutien et de l’enthousiasme tandis que les Républicains établis n’y parviennent pas. Il ont aussi mis beaucoup de temps à réagir aux déclarations les plus condamnables de Trump. Les Républicains sont confrontés à un problème fondamental : ils doivent enthousiasmer une base de droite tandis que cette base s’éloigne toujours plus des électeurs qui glissent à gauche.
Clinton ne peut séduire
La campagne de Bernie Sanders est à un momentum tandis que Clinton ne parvient pas à séduire les Démocrates. Même ici, nous voyons une méfiance envers l’establishment. Les primaires dans les deux partis mettent en avant des candidats qui ne sont pas soutenus par les grandes entreprises qui ont si longtemps dominé la politique américaine.
Ces chocs dans le système politique et la possibilité implicite de candidatures indépendantes pour les élections présidentielles sont les présages d’un tremblement de terre politique plus large aux USA. Reich souligne : “l’Amérique a longtemps connu une classe dominante mais la population était prête à la supporter pendant les trois décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale lorsque la prospérité était répartie largement et que l’Union soviétique constituait une menace. La classe dirigeante semblait alors de bonne volonté et maligne. Mais ces trois dernières décennies – alors que presque tout le progrès économique retournait aux riches, les salaires de la plupart des gens diminuaient – il ressortait que la classe dirigeante se remplissait les poches au détriment des autres.”
Combattre le populisme
Ce système échoue et perd sa légitimité auprès d’une nouvelle génération qui pense s’en sortir moins bien que leurs parents. Des mouvements pour le travail, l’égalité et la liberté occuperont le devant de la scène et trouveront une expression politique.
Le phénomène Donald Trump est cependant un avertissement pour le mouvement ouvrier et les organisations progressistes. Le sentiment anti-establishment peut aussi être mobilisé par des points de vue de droite voire racistes et sexistes.
Dans ce contexte, nous devons nous organiser autour de thèmes qui importent aux personnes de nos quartiers, écoles, lieux de travail : des salaires plus élevés, un logement décent et la fin des violences policières racistes. C’est ainsi que le populisme creux des milliardaires pourra être stoppé et que nous pourrons construire en même temps, un mouvement inspirant pour les gens et qui leur donnera envie d’y être actifs aussi.
A ses débuts, la campagne de Donald Trump a souvent été perçue comme une blague de mauvais goût. Avec sa houppette blonde et ses déclarations tonitruantes qui tenaient plus de la brève de comptoir que de l’analyse politique, sa candidature aux présidentielles n’était pas prise au sérieux. Mais il est aujourd’hui devenu un sérieux danger. Derrière son approche ultra-populiste se un programme d’extrême-droite. Sans la moindre gêne, il abuse du rejet de l’establishment corrompu pour vendre son programme nationaliste, raciste et sexiste. Trump et toute la clique républicaine défendent une politique de droite au service de l’establishment des riches pour couper l’herbe sous le pied du mouvement organisé des travailleurs et des pauvres.
Par Hanne (Anvers), article tiré de l’édition de juin 2016 de Lutte Socialiste
Comment Trump a-t-il pu avoir ce succès ?
Le parti républicain n’est pas innocent. Même si nombre d’autres candidats malheureux ont déclaré refuser de soutenir Trump, son succès n’est pas tout simplement dû au hasard. Cela fait des années que le Parti républicain utilise le racisme et le sexisme pour s’attirer des voix. Par cette tactique de division, il a pu s’assurer le soutien d’une partie des voix des couches les plus basses de la classe moyenne et d’une partie des travailleurs blancs. En accusant les migrants et les sans-emplois d’être les racines de la pauvreté, les Républicains ont pu détourner une certaine partie de la frustration présente dans la société à leur avantage. C’est également sur cette base que Trump a pu séduire le public conservateur, tandis que ses propos tapageurs et son comportement lui ont donné une image anti-establishment.
Trump: Raciste, fasciste, populiste?
Trump se repose sur les vieilles recettes républicaines: un discours raciste, un comportement sexiste et un programme nationaliste. Il défend la construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique pour repousser les migrants car ils seraient responsables de la criminalité. Lors de ses interviews, il dénigre ouvertement les journalistes féminines.
Parallèlement, il affirme vouloir s’opposer aux traités de libre-échange (comme le TTIP, le Traité transatlantique) et interdire aux entreprises d’externaliser des emplois à l’étranger. Ces deux positions trouvent un écho parmi une couche grandissante de travailleurs précaires et de sans-emplois, mais elles offusquent les grandes entreprises. Comment Trump peut-il défendre de telles choses alors qu’il figure parmi les représentants de l’establishment capitaliste ? Trump veut mettre les travailleurs de son coté, il ne peut pas se permettre de simplement accuser les migrants d’être responsables de la crise économique. Une profonde colère s’est développée vis-à-vis du monde des entreprises et des banques, notamment en raison des scandales de corruption mais aussi suite aux récents mouvements de masse aux Etats-Unis et ailleurs. Trump veut se profiler sur ce terrain pour obtenir des voix parmi les travailleurs. Pour le reste, son programme est unilatéralement à l’avantage des riches.
Pour certains, Trump est un fasciste, contrairement à d’autres candidats conservateurs. Est-ce le cas? Nous estimons que non. Trump est indéniablement raciste et sexiste. A n’en pas douter, il constitue une menace pour la classe des travailleurs, très certainement pour ses couches organisées. Mais le fascisme est un autre phénomène, c’est un mouvement de masse utilisé en dernier recours par des parties de la classe dirigeante pour briser le mouvement des travailleurs. Trump est plutôt une figure isolée qui joue sur les angoisses et la colère d’une couche grandissante de la population. Sa réussite est surtout une expression de la polarisation croissante dans la société américaine dans un contexte de crise perpétuelle et de pauvreté en l’absence d’une alternative suffisamment puissante pour organiser ce mécontentement. Trump est avant tout un populiste de droite.
Comment obtient-il autant de votes?
La direction du Parti républicain s’est trompée si elle pensait que l’attitude de Trump effrayerait le grand public. La population américaine cherche désespérément une expression politique pour sa colère envers ce système injuste. Trump a su détourner cette colère.
Cette dernière est du reste également orientée contre les Démocrates, eux aussi membres de l’establishment. Chez nous, les Démocrates sont parfois présentés comme des modérés ou même des progressistes. Mais les Démocrates comme Hillary Clinton sont des marionnettes aux mains de ceux qui les financent : les grandes entreprises, Wall Street, les millionnaires,… Pour gagner des électeurs, Clinton adopte parfois des postures progressistes. Mais les riches investisseurs qui ont financé sa campagne ne sont pas dupes, et beaucoup d’Américains en sont conscients.
Obama a su gagner sa première présidence de manière très populiste, en promettant le ‘‘changement’’. À sa réélection, l’enthousiasme avait déjà considérablement fondu. Aucun changement n’était visible aux yeux de l’Américain ordinaire. Sous sa présidence, les mouvements ont été nombreux contre la corruption, les inégalités mais aussi la violence et les meurtres policiers envers la population noire. L’espoir incarné par Obama n’est pas devenu réalité.
Trump parvient à construire son soutien sur ces frustrations et cette colère. Mais il n’est pas le seul à le faire. Bernie Sanders fait trembler l’establishment démocrate avec sa campagne. Il est financé par la population ordinaire et appelle à des mouvements de masse à la base de la société pour changer ce système corrompu. Malheureusement, Sanders a déjà déclaré qu’il ne se présenterait pas comme candidat indépendant contre Clinton et Trump après les primaires démocrates pour continuer sa ‘‘révolution politique’’. C’est ce que défend notre organisation-sœur aux Etats-Unis, Socialist Alternative.
Comment arrêter Trump ?
La seule manière est de construire une large alternative de gauche. Le potentiel est clairement présent pour l’émergence d’un mouvement de masse capable de lutter contre Trump sans soutenir Hillary Clinton, la candidate de Wall Street. La gauche doit prendre une position indépendante des deux Partis du Big Business et réunir le monde du Travail dans la construction d’une nouvelle alternative.
L’occasion est historique pour construire un nouveau parti de gauche pour enfin briser le monopole politique des Démocrates et des Républicains et pour changer de système. La campagne de Bernie Sanders illustre le potentiel pour s’organiser en dehors du parti démocrate. Des dizaines de milliers de personnes ont participé à ses meetings, bien plus que pour Clinton ou Trump. Sa campagne est entièrement financée par ces mêmes personnes, les grandes entreprises n’y sont pour rien. Si ces masses sont mobilisées dans la direction d’un nouveau parti de et pour les 99%, Trump trouvera de moins en moins d’écho avec sa propagande ultraconservatrice.