La crise continue de secouer la CGT. Les révélations dans la presse, ce qui n’est jamais une bonne manière de faire, autour des sommes très importantes pour rénover le logement (et la localisation en banlieue « chic » de celui-ci), et également du bureau du secrétaire général Thierry Lepaon, en ont été le déclencheur. Mais c’est en réalité le révélateur d’un malaise bien plus profond au sein de la confédération syndicale autour des questions d’orientation et de stratégie face au gouvernement Hollande-Gattaz. D’ailleurs l’ensemble des motions qui remontent des structures syndicales à la direction confédérale et qui demandent la démission de Lepaon (et du bureau confédéral dont une majorité le soutient) affirment toutes le besoin d’un débat pour une autre ligne syndicale, plus combative.
Depuis des mois, les militants dans les syndicats et différentes structures sont confrontés à un patronat particulièrement arrogant, servi par un gouvernement zélé, qui avance comme un rouleau compresseur. La grogne grandit devant de la mollesse générale de la CGT et les dysfonctionnements internes de plus en plus apparents. L’absence de stratégie claire pour construire le rapport de force nécessaire pour mettre un coup d’arrêt à cette politique, que ne peut renier un Sarkozy, laisse les militants et les travailleurs désarmés alors que la colère contre le gouvernement et le Medef est grande.
Ce n’est certes pas les différentes journées « presse-bouton », c’est-à-dire déconnecté de la volonté ou non des travailleurs d’être en grève, et « saute-mouton », c’est-à-dire sans lendemain, qui fait une stratégie de construction d’une mobilisation et d’une opposition au gouvernement et aux capitalistes. Dans certains secteurs, entre les grèves interprofessionnelles et professionnelles, il y a eu plus de 8 appels à la grève ponctuelle cette année ! Pour quel résultat hormis démobiliser petit à petit tout le monde, même les militants les plus convaincus ?
Des luttes, dures et longues, ont lieu pourtant un peu partout (certaines comme celles des cheminots ou des pilotes d’Air-France ont été très médiatiques). En l’absence d’unification ou pour le moins de soutien clair et sans failles de la direction nationale de la CGT, elles doivent faire face à une répression féroce comme à la Poste. Mais toutes ces luttes prouvent non seulement la disponibilité des travailleurs pour se mobiliser ainsi que leur combativité pour peu qu’on leur propose de véritables axes en termes revendicatifs et de moyen d’action offensif.
Le décalage entre ce que vivent les militants face à un patronat qui ne lâche rien et l’orientation générale de la direction confédérale prête à aller à la soupe dans toutes les négociations n’a fait que s’accentuer ces dernières années quitte à accepter de véritable reculs. La direction confédérale autour de Thierry Lepaon cherche à accélérer l’intégration de la CGT comme un partenaire de « force de proposition » du gouvernement et de fait du patronat malgré le verbiage condamnant leur politique. Or un « partenaire » qui vient discuter à froid, sans le soutien de luttes, n’a aucun poids réel et en venant discuter des « propositions » du patronat, on les cautionne ou pire, on les aide…
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant d’apprendre que la CGT propose la disparition des délégués du personnel pour les entreprises de moins de 50 salariés ou qu’elle signe cette semaine l’accord national interprofessionnelle sur le contrat de sécurisation professionnelle, alors même qu’il n’y a pas eu de véritables débats larges dans les instances et dans les syndicats. C’est par la presse que souvent les militants aujourd’hui apprennent les positions de la confédération et les propositions des négociateurs.
Cette orientation cogestionnaire et de collaboration de classe, qui n’est pourtant pas une dérive nouvelle, rentre d’autant plus en période de crise, en contradiction avec la réalité vécue chaque jour par les militants de la CGT et les travailleurs. Elle rencontre nécessairement de plus en plus de résistance à tous les niveaux au sein de la CGT et c’est autour des scandales Lepaon que s’articulent désormais la bataille.
C’est pourquoi l’on a vu ces derniers temps une multiplication des motions remettant en cause la ligne et la stratégie de la direction confédérale. Ce fut le cas au moment de la conférence sociale à laquelle la direction confédérale était décidée à aller. Les nombreuses motions exhortant la direction à ne pas s’y rendre l’a obligé à boycotter cet mascarade qui les années précédentes n’avaient abouti qu’à de nouvelles attaques contre le monde du travail.
L’urgence d’un plan d’action et de lutte pour les travailleurs
Le ciment craque de toute part à la CGT. D’une certaine manière la « guerre des chefs » qui fait rage à la direction confédérale, s’alimentant malheureusement jusqu’à maintenant plus de coups bas que de débats politiques, représente d’une manière déformée la bataille qui se mène partout à la CGT autour de la question de quel syndicalisme avons-nous besoin aujourd’hui et de quelle riposte centrale face aux plans d’Hollande-Valls-Gattaz.
C’est l’élément déterminant dans la situation à la CGT. Les syndiqués, malgré l’écœurement de ce qui se passe au « Château » de Montreuil (le siège de la CGT se trouve à Montreuil), commence à se réapproprier les débats tant sur l’orientation, la stratégie face au patronat et au gouvernement que sur les pratiques syndicales en interne et la démocratie. Ni les manœuvres au sommet pour sauver Thierry Lepaon et reprendre la main sur les débats ni même la dramatisation – la CGT serait au bord de la scission – ne pourront peut-être pas arrêter le phénomène. Mais pour cela, il faut que les opposants défendent en commun et proposent au débat une ligne simple et claire : il y a besoin d’un véritable plan d’action contre les plans du patronat et du gouvernement (loi Macron, aggravation des conditions de travail, fermetures d’entreprise, licenciements) et pour les embauches, la hausse des salaires… Un tel plan d’action sur plusieurs semaines, avec des meetings et des assemblées générales, une journée de grève avec manifestations régionales, et culminant avec une journée de grève générale, bloquant les principaux secteurs de l’économie (transport, production etc.) devrait être publiquement proposé aux travailleurs et aux autres syndicats, pour aboutir à une véritable lutte d’ensemble.
De cette crise, la CGT peut ressortir avec une ligne plus claire et une véritable stratégie pour construire le rapport de force contre Hollande et Gattaz et participer à la construction d’une véritable opposition contre ce gouvernement et contre les capitalistes. Ceci modifierait profondément la lutte des classes en France. La CGT est encore l’organisation syndicale qui regroupe la part la plus importante de la section la plus combative de la classe ouvrière mais la ligne actuelle est un frein au rôle que pourrait jouer la CGT dans le développement de la lutte des classes. Or la CGT est aujourd’hui l’organisation qui pourrait le plus être un facteur rassemblant ceux et celles qui luttent au quotidien, des syndicats combatifs (telles de très nombreuses sections de SUD-Solidaire, et d’autres de la FSU, de FO ou même dans la CFDT), avec les organisations politiques de gauche… contre le capitalisme et l’exploitation et ses serviteurs du gouvernement Valls-Hollande et du Medef.
Par Yann Venier