Après sa déroute aux élections municipales, Macron désespérément seul ?

Les élections municipales ont montré que Macron et son parti LREM sont plus isolés que jamais : seulement 10 000 élus municipaux, sur les 500 000 dans tout le pays, c’est à dire 2% ! Le gouvernement était déjà très affaibli par sa contre-réforme de casse des retraites qui rencontrait plus de 70% d’opinions défavorables et des millions de grévistes et de manifestants mobilisés pour son retrait. Macron n’a jamais eu un grand soutien dans la population mais là, il a échoué sur son objectif principal : celui d’avoir un parti capable de dépasser le PS et ses alliés d’un côté, et la droite (UDI et LR) de l’autre. Il tient en fait un équilibre très précaire dans un paysage politique dévasté par le discrédit de tous ces partis qui ont mené, chacun leur tour, les mêmes politiques de destruction des services publics et des droits et conditions de vie des travailleurs et de l’avenir de la jeunesse. La période qui vient offre d’énormes possibilités pour que la colère présente dans la majorité de la population se transforme en véritable force politique qui, si elle se structure, peut dégager Macron et tout autant les politiques au service des ultra-riches et des capitalistes.

Tous perdants, et les macronistes bons derniers

L’abstention aux municipales a été très massive. Si le Covid-19 y est pour quelque chose, c’est loin d’être la seule explication. Le taux d’abstention moyen de 58,4% (soit 20 % de plus qu’en 2014) est encore plus marqué dans les villes ouvrières et/ou populaires et dans les quartiers les plus défavorisés, où il atteint et dépasse même souvent 70 voire 75% (Créteil, Mulhouse, Vénissieux, quartiers Nord de Marseille etc.). Beaucoup de maires sont en fait élus avec 15% des inscrits ou moins comme à Amiens, Strasbourg ou Avignon et plus de 120 autres villes. Difficile donc de parler d’une vague de soutien, y compris là où les listes qui ont permis un changement de majorité. La déroute de LaRem et des macronistes est donc d’autant plus cinglante : tout le monde fait un mauvais score, mais eux ils font le pire !

Et est-ce une bonne nouvelle pour Macron ? Le Havre a été conservé haut la main par Édouard Philippe, alors Premier ministre et qui était largement devant Macron dans les sondages en terme de popularité. C’est dommage qu’une ville aussi symbolique des luttes ouvrières que le Havre n’ait pas pu être reconquise par la liste Lecoq (PCF-LFI). Le refus d’une partie des dirigeants EELV de la soutenir y est certainement pour quelque chose. Mais c’est aussi parce que les quartiers ouvriers et populaires ont peu voté, même si la liste Lecoq y est arrivé en tête. D’une manière générale, ces élections ont été un nouveau recul pour le PCF qui perd de nombreuses villes (Saint-Denis, Arles, Gardanne, Givors…), et ne maintient de nombreux élus que parce qu’il est allé sur les listes d’union avec le PS ou EELV. La nouvelle direction, qui s’était faite élire sur la ligne d’une plus grande affirmation d’indépendance du PCF vis à vis du PS, a été bien incapable de mettre cela en pratique. Le PCF va continuer à participer aux politiques anti-sociales du PS dans de grosses agglomérations comme Lille, Rouen, et bien sûr à la mairie de Paris.

Vaguelette verte

La demi-surprise est évidemment venue des nombreuses victoires dans les grandes villes par des listes emmenées par des collectifs militants, des figures locales écologistes de longue date, ou des combinaisons plus classiques d’alliance PS-PCF et EELV. Strasbourg, Bordeaux, Lyon : ce ne sont pas de petites défaites pour les notables souvent établis de longue date. La droite perd son bastion historique (73 ans de règne) de Bordeaux, et perd Marseille après 25 ans de règne de Gaudin, qui a laissé la ville dans un état de délabrement social.

Mais ces victoires l’ont été sans une immense adhésion des électeurs. L’aspect « se débarrasser » de l’équipe en place a été le principal facteur.

Les forces à gauche du PS et de ses alliés EELV/PCF ont rarement été capables d’offrir une véritable alternative. La France Insoumise avait au départ imaginé disparaître en tant que force affichée pour ces élections et proposer des « listes citoyennes », mais finalement tout le monde a fait pareil, même les macronistes. Du coup, la FI s’est retrouvée selon les endroits sur des listes où elle pouvait même côtoyer des membres du PS comme dans Archipel citoyen à Toulouse. Tandis qu’à d’autres endroits, comme à Bordeaux, c’est une liste combative et anticapitaliste qui a été emmenée par Philippe Poutou du NPA, en alliance avec la FI. Bien souvent, les réalités locales imposent des tactiques différentes, mais il est clair que la FI a difficilement anticipé les différents changements dans la situation depuis 3 ans et qu’elle a payé dans ces municipales son refus de se construire en tant que force solide et structurée, comme le véritable parti démocratique qu’elle pourrait devenir. Ce que beaucoup de travailleurs et de membres des couches populaires attendent d’elle.

Macron mise tout sur 2022

La crise du Covid 19 montre un Macron défendant les intérêts des capitalistes et des multinationales, ne changeant pas la ligne qui est la sienne depuis des années. Cette politique criminelle, qui a privé la majorité de la population de masques et de tests de dépistages, s’est néanmoins accompagnée de distribution de centaines de milliards d’euros pour à la fois soutenir les multinationales mais aussi prendre en charge à leur place toute une série de compensations sociales (comme le chômage partiel qui a été versé à plus de 12 millions de travailleurs). C’est « l’État providence »… mais pour les grands patrons, même si temporairement cela voulait dire quelques miettes pour les travailleurs et la population.

Rien n’y a fait, Macron est apparu comme il est : arrogant et ami des ultra-riches. Son premier ministre, E. Philippe, devenant bien plus populaire que lui (plus de 50% de popularité contre environ 35% pour Macron) et ne subissant pas une défaite au Havre, il était temps pour Macron de retrouver un gouvernement plus docile. Édouard Philippe restera néanmoins un recours possible pour une alliance de la droite et du centre si Macron était trop impopulaire en 2022.

Un gouvernement aux ordres mais fragile

Jean Castex, le nouveau 1er ministre, est issu d’une famille de politiciens de droite et lui même spécialisé dans l’application bornée des décisions gouvernementales. Il a été chargé de la contre-réforme hospitalière en 2005 (« Hôpital 2007 ») celle qui a conduit à l’étranglement financier de l’hôpital public et à la disparition de milliers de lits hospitaliers par la mise en place de la tarification à l’activité (T2A). Cette destruction de l’hôpital public par l’obligation de rentabilité d’une activité, le soin, qui justement ne peut se faire sur des critères marchands, est une des principales causes du désastre sanitaire qu’on est en train de connaître avec les disparition de milliers de lits de réanimation et d’hospitalisation depuis 15 ans. Castex a ensuite été directeur de cabinets ministériels sous Sarkozy puis membre du cabinet de ce dernier jusqu’à sa défaite à la présidentielle de 2012.

Et comme les criminels reviennent toujours sur les lieux de leurs actes, Castex a été nommé responsable du confinement (et des mesures de putsch sanitaire qu’il l’ont accompagnées, comme les amendes à 135 euros, les dérogations pour obliger les employés à aller travailler parfois plus de 48 heures…) puis du déconfinement (qui s’est fait dans le chaos, en imposant par exemple la reprise massive des cours dans les écoles sans qu’aucune mesure de dépistage systématique ne soit mise en place).

La manœuvre de Macron consiste en fait à recruter une fois de plus au sein de Les Républicains (Castex a d’ailleurs quitté LR pour rejoindre LaRem) afin de continuer de profiter de la crise de la droite en vue des élections de 2022. Son gouvernement n’est formé que de bien dociles ministres et sans capacité à réellement élargir sa base vers des figures issues de la mouvance dite écologiste d’EELV (mis à part Barbara Pompili dont l’arrivisme n’est plus à démontrer, elle qui est passée de soutien à Hollande à soutien à Macron).

Macron 2 : soutien aux licenciements et casse des services publics et de la protection sociale

Mais le numéro d’équilibriste de Macron ne va pas résister à la réalité. Toutes les mesures prises (et ça vaut pour lui comme pour l’ensemble des gouvernements des pays capitalistes) l’ont été sans toucher une seule seconde aux intérêts des multinationales. Pire, les plans d’aide de plusieurs milliards d’euros comme pour Renault ou la SNCF sont assortis de l’obligation de supprimer des emplois (sous le mot d’ordre de retrouver une plus grande rentabilité) : c’est presque de la subvention aux licenciements.

Le plan « Segur » pour les hôpitaux, annoncé à 7 milliards, à grand renfort de bruit médiatique, est présenté comme une avancée, du fait que les soignants et personnels non cadre recevraient, en deux fois, une augmentation de 180 euros. C’est loin donc des 300 euros réclamés (y compris par la CFDT) et ça ne compense pas le gel des salaires de ces dix dernières années. En fait, le gouvernement a acheté le silence de la CFDT qui a signé l’accord. Ce ne sont que 7500 embauches réelles qui devraient avoir lieu, quand il en faut des dizaines de milliers. Sans parler de l’absence complète de mesures pour les maisons de retraites et les auxiliaires de vie sociale (assistantes à domicile, qui ont souvent été les seules à continuer de s’occuper des anciens et des personnes fragiles… sans aucune protection sanitaire). Il y aura la suppression d’une heure de repos entre deux gardes (de 12 à 11h), mesure qui à elle toute seule va encore augmenter l’épuisement du personnel soignant et réduire le nombre d’embauches.

D’autres annonces sont faites, comme le report de la contre-réforme de l’assurance chômage ou de celle des retraites. Mais avec une annonce de chute de 11 % du PIB pour 2019 du fait du confinement et de la crise économique qui arrivait, Macron va aller chercher des milliards dans les poches des travailleurs.

Or comme pour la crise de 2007-2008, ce sont précisément ces protections sociales qui ont évité la misère à des millions de travailleurs, mais chaque « réforme » du gouvernement est une occasion de les remettre en cause. Il n’a évidemment ni touché aux profits, ni aux fortunes des ultra-riches, alors que par exemple, les seules 40 premières entreprises françaises ont versé plus de 49 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2019, la plus forte somme jamais atteinte. Et alors que beaucoup de petites et moyennes entreprises sont déjà en difficulté, les multinationales de la distribution, les banques etc. ont continué à faire leurs profits.

Préparer des luttes de masse

Il est vraiment difficile de savoir comment les choses vont continuer. La crainte d’une vaste colère sociale fait que lors de son discours du 14 juillet, Macron a annoncé toute une série de mesures qui ressemblent aux annonces sans lendemain auxquelles nous avait habitué Hollande (dont Macron était ministre et inspirateur de la détestée loi « travail »). Dans la réalité, il n’y a rien de fiable et on ne voit vraiment pas comment ce gouvernement peut espérer retrouver 500 milliards d’euros (le montant des annonces depuis le début du confinement, aux dires de Macron) alors que l’économie mondiale va rester en crise et qu’à aucun moment, la mise à contribution des plus riches et des multinationales n’est envisagée.

Les luttes locales, les manifestations de colère, l’hostilité à Macron qu’on rencontre lors de nos activités militantes laissent à penser qu’une certaine colère fermente et qu’elle peut à tout moment s’exprimer en révolte de masse.

Un programme pour les travailleurs et la population

La crise économique risque de faire exploser le plan de Macron qui espère une certaine passivité des directions syndicales, notamment de la CGT. Alors que les militant-e-s de la CGT sont impliqués dans beaucoup de grèves locales, que dans beaucoup d’hôpitaux la CGT et Solidaires ont refusé de signer les accords Ségur, la direction nationale est beaucoup plus silencieuse, et les autres syndicats n’ont guère montré d’opposition. Néanmoins, la proposition de la CGT d’organiser une première journée de lutte et de grève le 17 septembre prochain peut servir de point de départ à une remise en cause de la politique catastrophique et criminelle du gouvernement.

En fait, Macron est plus isolé que jamais mais ne tient que parce qu’aucune opposition politique n’est réellement structurée face à lui. Autant que les luttes de masse des travailleurs et de la jeunesse, c’est une tâche fondamentale de poser aujourd’hui la question d’une force politique de masse contre Macron et le capitalisme, un nouveau parti démocratique des travailleurs qui permettrait de défendre un autre programme de gouvernement qui remette en cause la dictature du profit sur la société.

Malgré toutes les attaques et les manœuvres du pouvoir contre la FI et Mélenchon, ce dernier est toujours troisième dans les sondages en cas de candidature à la présidentielle de 2022 – derrière le RN et Macron, mais devant la droite et le PS. Le potentiel pour construire un parti de masse est donc bien là.

Une large majorité des travailleurs et de la population soutient sans réserve un programme qui défendrait, entre autres, l’augmentation des salaires, la défense des services publics, et tant d’autres mesures sociales comme la gratuité de la Santé. Mais ce programme doit s’incarner dans une force politique pour montrer à Macron et aux autres partis au service du capitalisme qu’ils ne sont pas les maitres du jeu. Car à chaque fois, du PS au Rassemblement National de Le Pen, de Macron à la droite, ce sont les mêmes idées de ne pas s’en prendre aux capitalistes et aux multinationales qui dominent.

Il n’y a pas d’un côté les luttes de résistance des travailleurs, des habitants des quartiers populaires, et de l’autre les campagnes électorales. Il faut au contraire une force politique de masse, qui discute et propose collectivement, avec tout-e-s ses militant-e-s, pour intervenir sur tous les terrains de la lutte. La France Insoumise pourrait être un des instruments pour cela.

Mais c’est aussi en préparant les prochaines mobilisations, en soutenant les grèves en cours, avec un programme qui lie la lutte de défense des intérêts des travailleurs, des jeunes et des couches populaires à celle contre le capitalisme et pour le socialisme, que beaucoup peuvent jouer un rôle.

À tout moment, une situation de crise et de lutte peut désormais apparaître, et des centaines de milliers de personnes peuvent s’y joindre tant elles en ont assez de ce système qui détruit tout : nos services publics, nos conditions de vie, notre environnement et jusqu’à l’avenir des jeunes.

Un programme socialiste révolutionnaire se doit de prendre en compte les luttes immédiates et les lier à la lutte pour le socialisme. Dans cette période qui lie crise sanitaire, crise économique, et isolement des forces qui défendent le capitalisme, c’est la tâche de mettre en avant un tel programme et de construire un parti révolutionnaire pour le défendre. C’est ce qui motive l’enthousiasme de la Gauche révolutionnaire et son organisation internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière. Rejoignez-nous pour lutter avec nous !

Alex Rouillard