40 ans de l’élection de Mitterrand (1/3) : il fallait changer la vie, vraiment !

Le 10 mai 1981, François Mitterrand, candidat du Parti socialiste et soutenu par le Parti communiste, était élu président avec 15,7 millions de voix, 51,76 % des votes. Ayant échoué de peu en 1974 face au candidat de la droite, Giscard d’Estaing, Mitterrand avait augmenté de plus de 2,5 millions de voix entre ces deux élections, tandis que Giscard n’en gagnait qu’1,3 millions. La joie de millions de travailleur-se-s le 10 mai au soir, les manifestations spontanées aux cris de « on a gagné » témoignaient de ce sentiment de victoire sur le candidat de la bourgeoisie. Dans cette euphorie, beaucoup plaçaient leurs espoirs dans ce socialisme qui devait « changer la vie », comme disait le programme de gouvernement du PS.

Il y a 40 ans François Mitterrand était élu président de la république française. La Gauche Révolutionnaire revient sur cet événement et ces conséquences dans son dossier spécial paru dans l’Egalité n°205. C’est ici la première partie, 2 autres suivront.

Mitterrand, dont le parcours politique l’avait fait être un temps à droite, ministre de l’Intérieur (déclarant « l’Algérie, c’est la France ») puis ministre de la Justice qui signera la condamnation à mort de plusieurs dizaines de militants pour l’indépendance de l’Algérie, avait opéré un revirement à gauche de plus en plus marqué au cours des années 1960 et 1970. Défendant ouvertement une forme de socialisme et de rupture avec le capitalisme, sa candidature est portée par les « 110 propositions » avec de nombreuses mesures, certes réformistes, mais qui sont perçues alors comme très combatives : nationalisation du crédit et de l’assurance et de certaines grandes entreprises, 35 heures, 5ème semaine de congés payés, augmentation du Smic et instauration d’un impôt sur les grandes fortunes, retraite à 60 ans, abolition de la peine de mort, dépénalisation de l’homosexualité…

Aux élections législatives qui vont suivre, en juin 1981, la droite, démoralisée, s’effondre et le PS remporte une majorité absolue (266 députés sur 491). Le PCF, qui avait déjà eu un score en dessous de ses espérances au 1er tour de la présidentielle (son candidat Georges Marchais avait obtenu 15,35 % des voix arrivant 4ème, loin de Mitterrand) perdit la moitié de ses sièges (passant de 86 à 44).

La victoire de Mitterrand à l’élection présidentielle fêtée dans les rues d’Agen le 10 mai 1981

Avoir saisi les aspirations du moment

Mai 68 avait montré la grande puissance de la classe ouvrière, unie dans l’action et la grève générale de près de 10 millions de travailleurs qui avait fait trembler la bourgeoisie et De Gaulle. Le congrès d’Épinay, en 1971, est organisé pour procéder à l’unification des socialistes, et Mitterrand en prend la tête : « la révolution, c’est d’abord une rupture avec l’ordre établi. Celui-qui n’accepte pas cette rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste ». D’une part, il crée ainsi un lien avec les aspirations profondes révélées par Mai 68, et d’autre part, il propose de faire l’unité avec le PCF pour créer un véritable rapport de force dans le pays face à la droite.

Le programme commun de gouvernement sera signé en 1972 et permettra à la gauche de progresser à chaque élection. Mais cette unité est surtout électorale, au sommet ; elle n’implique que très peu une bataille en front commun des travailleurs contre la politique capitaliste de Giscard. En 1977, les élections municipales profitent beaucoup plus au PS qu’au PCF qui décide de rompre le programme commun. Dans un premier temps, le PCF croit que cette rupture lui est profitable puisqu’il progresse aux élections législatives de 78 faisant quasiment jeu égal avec le PS. Grisés, comme souvent, par ce succès éphémère, les dirigeants du PCF n’ont pas vu que ce dernier correspondait plus à une demande de combativité de la part des travailleurs face à la politique de Giscard et à l’accélération de l’exploitation exercée par les capitalistes depuis le déclenchement de la crise économique de 74-77. Combinant arrogance de ses dirigeants et repli sur ses bastions électoraux (où, il est vrai, de nombreuses avancées sociales existaient), et ayant définitivement abandonné ses derniers éléments révolutionnaires, le PCF a été dans l’incapacité de formuler un programme d’unité de la classe ouvrière pour pousser le PS à clarifier son propre programme. De fait, il a laissé les mains libres à Mitterrand et s’est retrouvé obligé de le suivre dès que celui-ci a repris l’ascendant.

Quelle victoire ?

Mitterrand n’avait fait que suivre l’esprit de l’époque en se gardant bien de développer une politique de rupture complète avec le capitalisme. Il gouverna à l’identique, une fois la vague de l’enthousiasme gigantesque de l’année 1981 passée, dont on verra encore les bienfait dans la lutte antiraciste initiée par la marche pour l’Égalité de 1983, il mènera une politique visant d’une part à gérer le capitalisme au détriment des travailleurs et de la population, et d’autre part à faire du PS un parti libéré de ses attaches « socialistes », pour devenir un parti bourgeois classique. En 1988, il profitera du profond sentiment anti droite pour être réélu mais en disant clairement que « son projet n’était pas socialiste ».

Pour autant, on ne peut ignorer ce formidable espoir que représentait la présidentielle de 1981, et la possibilité à cette époque de mener une politique de mobilisation des travailleurs et de la jeunesse pour mettre en pratique un programme qui obligerait à une rupture avec le capitalisme et ouvrirait la voie vers le socialisme. On sait que les réformistes finissent toujours par accepter la dictature du capital, mais cette évidence a besoin de se traduire non pas par la seule dénonciation mais bien par l’activité des larges masses dans leur lutte et dans le débat politique, pour qu’elles ne subissent pas la démoralisation qu’a entraîné la trahison de Mitterrand et des alliés PS-PCF, démoralisation qui a largement ouvert un espace pour l’apparition du Front National de Le Pen.