Vers une nouvelle grève des pompiers ?

Depuis quelques semaines les pompiers sont bien souvent au centre de l’actualité : des sauveteurs aux USA jusqu’à nos sapeurs à Toulouse. Nous avons rencontré Jean-Michel Toullelan, sapeur-pompier professionnel à Rouen, membre de la CGT et délégué du personnel.

Article paru dans l’Egalité n°92

L’Egalité : Vous êtes en conflit actuellement avec votre direction (le Conseil général) à propos de la réduction du temps de travail. Où en sont les négociations ?

J.-M. Toullelan : La réduction du temps de travail prévoit théoriquement une diminution de 10%. Nous travaillons actuellement 102 gardes de 24 heures par an. Une diminution de 10% devrait donc entraîner théoriquement une durée de temps de travail égale à 92 gardes de 24 heures. Or le projet de la direction propose 100 gardes de 24 heures avec 72 heures de repos durant 9 mois et 48 heures de repos durant les trois mois d’été, dont 9 gardes à disposition de l’employeur. Ce système qui arrange l’administration n’améliore en rien les conditions de vie des pompiers comme l’affirmait Charles Revet (président du Conseil général de Seine-Maritime). A la suite de cette proposition une 1ère assemblée générale des personnels s’est réunie début novembre, qui a rejeté totalement le principe des gardes à disposition de l’employeur. En revanche, en ce qui concerne le rythme de travail (proportion 24 heures de travail – repos de 48 heures / 24 heures de travail – repos de 72 heures) les avis étaient partagés. L’administration a répondu favorablement quant à ces gardes mais reste positionnée sur le 24-72, en proposant une étude à propos des 95 gardes en 24-48. Nous avons réuni une seconde AG le 29 novembre dernier afin de régler les divergences. Cette AG fut un réel succès puisque deux cent cinquante pompiers y étaient présents, soit un tiers du personnel de la Seine-Maritime hors officiers. Cette AG s’est prononcée à 80% pour le roulement en 24-48 sur 95 gardes plus le maintien des gardes d’ancienneté, qui permettent de diminuer le nombre de gardes.

L’Egalité : Du point de vue de l’embauche, que vous est-il proposé ?

J.-M. Toullelan : Le président Revet nous propose une réduction du temps de travail mais sans jamais proposer des embauches, sous le prétexte fallacieux qu’il est garant des deniers publics et qu’il ne peut pas faire de dépenses inconsidérées. Il faut savoir qu’un pompier coûte à chaque Français 280 francs par an prélevés sur les impôts. En Suisse, il coûte 400 francs, en Autriche 600 francs et aux USA, 800 francs. Il faut aussi savoir qu’il y a 2,7 pompiers pour mille habitants en Seine-Maritime, alors que nous sommes le second département en ce qui concerne les sites industriels dangereux (56 sites classés Seveso). Certains départements ont 4, voire 8 ou 10 pompiers pour mille habitants. Depuis six mois nous travaillons chaque jour avec l’effectif minimum, soit 41 pompiers par jour (12 rive gauche où se trouve la plupart des sites dangereux, 29 pour la rive droite) plus 15 pompiers à Canteleu à cause des congés, des malades et des formations. Une intervention pour une alarme incendie, qu’elle soit justifiée ou non, ce qui est très fréquent, mobilise 33 pompiers pour au moins 1 heure. Un accident Seveso, comme il nous est arrivé récemment, mobilise 45 pompiers minimum. Vous imaginez qu’il ne reste plus grand monde à la caserne pour faire le boulot. Les Rouennais sont très mal protégés. Charles Revet se repose sur les pompiers volontaires : 2 400 personnes sur toute la Seine-Maritime. Malheureusement, les pompiers volontaires travaillent durant la journée et ne sont pas toujours disponible, et finalement c’est sur nous que retombent les appels mais avec 15 à 20 minutes de retard. Nous, nous réclamons 300 nouveaux pompiers professionnels pour toute la Seine-Maritime.

L’Egalité : Si l’administration répond défavorablement à vos revendications, jusqu’où êtes vous prêts à aller ?

J.-M. Toullelan : Le 4 décembre prochain se réunira le Comité technique paritaire – consultatif – dans lequel siège Revet. Si nos revendications ne sont pas acceptées, la dernière AG a accepté le principe de la grève totale, contrairement à nos grèves précédentes qui ne concernaient que la partie administrative. Le préfet sera donc dans l’obligation de faire des réquisitions de personnel. Mais il faudra qu’il négocie au cas par cas avec nous selon les jurisprudences en cours.

L’Egalité : Tu as évoqué le problème des sites Seveso. Les entreprises s’occupent-elles de leur propre sécurité ?

J.-M. Toullelan : il y a 20 ans, les entreprises avaient leurs propres pompiers. Maintenant, ils utilisent des salariés de leurs usines pour effectuer ce travail. Mais malgré leur formation interne, ce personnel n’est pas assez expérimenté. En la matière, entre la théorie et la pratique, il y a une grande différence. De plus, ils ne connaissent souvent pas tous les secteurs du site et le temps qu’ils quittent le poste de travail est une véritable perte de temps pour l’intervention.

L’Egalité : êtes assez équipés pour répondre à tous les types d’interventions ?

J.-M. Toullelan : Nous sommes équipés uniquement de 6 combinaisons étanches NPC pour répondre aux risques technologiques majeurs. C’est vraiment insuffisant pour répondre à toutes les situations. De plus depuis les menaces de lettres à l’anthrax, ce qui est arrivé fréquemment (une dizaine d’interventions par jour) on nous montre de belles images à la télévision de pompiers en combinaison. Mais on oublie de dire que les lettres sont entreposées à la cave de la caserne des pompiers ainsi que dans un fût dans la cour de la caserne qui n’est absolument pas prévu pour ce genre de stockage de produit potentiellement dangereux, en attendant d’être amenés au laboratoire d’Yvetot puis à Saint Brieuc en Bretagne par un pompier non formé à ce genre de transport dangereux dans une voiture banalisée non-escortée, qui n’offre pas tous les critères de sécurité pour ce type de transport (compartimentage, logo prévenant du type de transport etc.). Et je dois dire que la départementalisation des services de pompiers n’a pas arrangé les choses en matière de renouvellement de matériel.

Propos recueillis par Yann Venier