Au moins 23 personnes sont mortes dans l’attaque perpétrée par des hommes armés au Musée du Bardo à Tunis, une attaque maintenant revendiquée par le groupe auto-proclamé «Etat Islamique». Nous condamnons fermement cette attaque lâche et atroce. Une vague d’effroi et de colère a traversé le pays tout entier, et des milliers de Tunisiens sont descendus dans les rues spontanément pour manifester leur solidarité avec les victimes de cette attaque terroriste, arrachant la vie à des innocents, y compris une travailleuse tunisienne appartenant au personnel du musée.
Déclaration d’Alternative Socialiste, CIO-Tunisie
Ce type d’attaques n’a malheureusement rien de très surprenant. Les activités de recrutement et l’endoctrinement par des groupes djihadistes sont à la hausse depuis un certain temps en Tunisie, aidés entre autres par la crise sociale grandissante, ainsi que par la désintégration complète de la Libye voisine suite à l’intervention militaire des puissances impérialistes, qui a laissé ce pays en ruine. Ces dernières années, des milliers de Tunisiens ont afflué pour rejoindre des groupes djihadistes en Syrie et en Irak, y compris au sein de l’«État Islamique», faisant de notre pays l’une des principales sources de combattants étrangers dans ces conflits.
Non à l’unité nationale avec Essebsi et compagnie !
Le gouvernement essaie maintenant d’exploiter les évènements récents en appelant à « l’unité nationale» face au terrorisme. Les Tunisiens doivent certes se serrer les coudes, mais surement pas avec un gouvernement pourri comme celui-ci, qui comprend un parti dont les racines remontent à l’ancienne dictature, et un autre dont les racines remontent à la droite fondamentaliste religieuse.
Plus de la moitié des députés de Nidaa Tounes sont des anciens membres ou sympathisants du RCD, un parti qui a exploité pendant des années la «lutte contre le terrorisme» pour anéantir les libertés publiques et museler toute forme d’opposition dans le pays. L’attentat meurtrier de Djerba en 2002, qui avait fait 19 morts, montre par ailleurs qu’un régime dictatorial n’est en aucun cas un «rempart» contre le terrorisme, contrairement à ce que certains essaient de nous resservir aujourd’hui.
Quant aux dirigeants d’Ennahda, leurs accointances idéologiques avec certaines franges du salafisme radical ne sont plus à démontrer. C’est pourquoi la moindre illusion dans n’importe quelle aile de la classe dirigeante capitaliste actuelle doit être rejetée à tout prix. Le président Essebsi, qui parle de mener la «guerre au terrorisme», a lui-même récemment offert ses condoléances au despote saoudien Abdullah, et invité le prince Alwaleed à venir visiter la Tunisie, un prince dont le régime a exporté à coups de milliards le poison de l’idéologie wahhabite dans toute la région et au-delà. De plus, la récente attaque est en partie une conséquence des guerres catastrophiques menées par les puissances impérialistes au Moyen-Orient, avec qui les deux partis au pouvoir ont systématiquement collaboré.
Non au terrorisme, non au retour à un état policier!
Des troupes de l’armée ont été déployées dans les rues des principales villes tunisiennes. Après ce qui est arrivé, de nombreux Tunisiens pourraient voir d’un bon œil une telle démarche. Mais ce déploiement de forces ne répond pas aux problèmes de fond, et pourrait bien être utilisé pour réprimer d’autres formes d’opposition au gouvernement actuel, et pour empêcher la population d’investir les rues d’une manière qui remettrait en cause le pouvoir en place.
Le gouvernement va essayer d’instrumentaliser le choc et l’émotion suscitée par l’attaque du Bardo afin de tenter d’imposer un retour en arrière sur nos droits démocratiques et de restaurer un appareil policier étouffant – tout en continuant les mêmes politiques antisociales qui aliènent de larges pans de la population et creusent le lit des extrémistes religieux. La nécessité de mettre «tous les efforts de la nation» dans la lutte contre la terreur pourrait aussi servir de prétexte bien utile pour en finir avec les actions de grève et de protestations sociales, lesquelles commencent à ressurgir dans de nombreux secteurs.
Le gouvernement actuel n’a aucune réponse sérieuse à offrir à la violence terroriste, et risque seulement d’engranger le pays dans un cycle de violences dont on ne verra pas la fin, tout en usant du prétexte de la guerre à la terreur pour en finir avec l’héritage de la révolution, et pour restaurer un régime basé sur la terreur d’Etat.
Car la terreur n’a pas qu’un seul visage : la terreur, c’est aussi la continuation de la torture dans les commissariats, les manifestants abattus par la police comme cela s’est encore passé à Dehiba en février dernier… Et cette terreur-là, la majorité des Tunisiens n’en veulent plus non plus !
La lutte contre le terrorisme doit aussi être une lutte contre les politiques capitalistes
La plupart des Tunisiens ont une aspiration légitime à la sécurité. Mais la première sécurité est celle d’avoir un boulot et un revenu stables, pour pouvoir mener une vie décente. Ce droit est refusé à un nombre croissant de personnes dans notre pays. La Tunisie a un des taux les plus élevés de chômage des jeunes dans le monde, les prix ont considérablement grimpé, et aujourd’hui trois fois plus de Tunisiens jugent l’état de l’économie « très mauvais » comparé à l’époque de Ben Ali. Les politiques du nouveau gouvernement, prévoyant de nouvelles coupes dans les subventions publiques et d’autres réformes néo-libérales, ne vont faire qu’empirer les choses.
Il y a deux ans, dans le cadre du Forum Social Mondial 2013 à Tunis, le CIO-Tunisie avait distribué un tract avec les mots suivants: « La misère grandissante dans les quartiers pauvres nourrit le terreau à partir duquel les salafistes et djihadistes embrigadent, surtout parmi des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Les couches de la population pauvre les plus désespérées, si elles ne voient pas d’issue du côté du mouvement syndical et de la gauche, pourraient devenir la proie de ces démagogues réactionnaires. La seule façon dont la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire peuvent gagner à elles la masse des laissés-pour-compte est de créer un mouvement national puissant capable de lutter pour les revendications de tous les opprimés. »
A l’heure ou s’ouvre l’édition 2015 du Forum Social Mondial, ces mots pourraient être réimprimés dans leur intégralité. En effet, les tergiversations incessantes de la direction du mouvement ouvrier et son incapacité à fournir une alternative révolutionnaire radicale face à l’impasse de la crise capitaliste en Tunisie a fourni un vide que des groupes extrémistes s’efforcent de combler. Des organisations salafistes et jihadistes investissent les zones délaissées (desquelles les deux assaillants du Bardo étaient d’ailleurs tous deux issus) où le désespoir et le chômage de masse font déjà pour elles la moitié du travail.
Reprenons l’initiative des mains du pouvoir!
Comme le résumait si bien Chokri Belaid : «Vous craignez de descendre dans la rue? Si seulement vous saviez ce qui vous attend si vous restez chez vous! »
La responsabilité de sauver le pays de la terreur, quelque soient ses formes, se trouve entièrement dans les mains des masses laborieuses et de la jeunesse, lesquelles partagent un intérêt et un désir réels de changer radicalement les choses.
Comme ce fut le cas en 2013 après l’assassinat de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, qui furent immédiatement suivies de deux grèves générales d’ampleur historique, l’UGTT, le Front populaire et toutes les sections militantes de la gauche tunisienne devraient prendre l’initiative de déployer leur pouvoir -potentiellement considérable- et d’unifier le pays derrière un programme d’action clair, indépendant du gouvernement en place: un programme s’appuyant résolument sur la force de la classe ouvrière et sur la ferveur révolutionnaire toujours vive de la jeunesse, en vue de pousser à une transformation économique, sociale et politique profonde du pays.
La clique au pouvoir prétend se soucier de notre sécurité, alors que son propre appareil d’Etat est toujours infesté de partisans de l’ancien régime, dont certains nagent toujours dans l’impunité pour des montagnes de meurtres et de tortures. En fait, les temps les plus « sûrs » de l’histoire récente de la Tunisie étaient lorsque les masses occupaient les rues et donnaient directement le pouls à la politique du pays. Les meilleures traditions de notre révolution, comme la construction de comités révolutionnaires de défense dans les quartiers, devraient être remises au goût du jour, afin d’éviter de laisser l’initiative de la lutte contre le terrorisme et le djihadisme dans les mains de l’élite dirigeante. Les terribles souffrances que nos frères et sœurs algériens ont traversées dans les années 1990 doivent servir d’avertissement sur où ce type de méthodes peuvent conduire.
L’heure est à la mobilisation de masse ! Il ne faut pas laisser l’initiative et la rue aux classes dirigeantes! Le mouvement syndical, l’UGET, les organisations de chômeurs, la gauche et la jeunesse révolutionnaire doivent appeler à l’action de masse, mais sur leurs propres bases. Un appel pour une grève générale de 24h serait un bon premier pas dans ce sens : pour l’unité de tous les travailleurs, des jeunes et de la majorité du peuple tunisien contre le terrorisme et l’obscurantisme -mais aussi pour la défense résolue de nos droits démocratiques, et pour la construction d’une lutte contre les politiques capitalistes de misère sociale et de répression, qui ont contribué à la situation actuelle.
Une telle grève, couplée à des mobilisations de rue à travers tout le pays, aiderait à la reconstruction d’une lutte de masse remettant au cœur des évènements les objectifs initiaux de la révolution pour «le pain, les emplois, et la dignité» : une lutte qui ne pourra trouver son expression véritable que dans la construction d’une société socialiste et démocratique, basée sur la propriété publique et la planification démocratique des richesses.