Le 3 février 2024, l’actuel président du Sénégal, Macky Sall, avait annoncé le report de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février. Le Conseil constitutionnel a refusé ce report le 15 février, après l’avoir correctement qualifié de « tentative de coup d’Etat institutionnel », le pouvoir ayant annoncé sa volonté de repousser l’élection au 15 décembre ! Depuis, la crise politique se durcit et le pouvoir enchaîne les zig-zags et manœuvres. Finalement, tentant de prendre ses adversaires de vitesse, Macky Sall a annoncé, ce mercredi 6 mars, l’organisation express de l’élection… deux semaines après, le 24 mars. Entretenant la confusion, Macky Sall a dissout le gouvernement pour permettre à son ancien premier ministre et candidat Amadou Bâ de faire campagne.
Les manifestants, qui se mobilisent contre le régime de Macky Sall, sa corruption, sa politique répressive et sa dévotion sans limites aux intérêts des multinationales capitalistes (françaises en particulier, de Kéolis-SNCF à Colas-Bouygues en passant par Auchan, etc.) n’ont pas dit leur dernier mot.
Le flop de la « réconciliation nationale » de Macky Sall
Macky Sall avait annoncé une « concertation nationale » fin février. Mais dès l’annonce, 17 des 19 candidats à la présidentielle ont refusé de participer à cette « réconciliation » les 26 et 27 février. Dans l’urgence, Sall a sorti de son chapeau une loi d’« amnistie générale ». Cela ressemble surtout à une « auto-amnistie », pour effacer les exactions du pouvoir, et à une tactique pour garder la main et donner l’impression de vouloir tourner la page.
De façon peu surprenante, le texte a été approuvé par l’Assemblée où le parti du président est majoritaire, à 94 voix pour et 49 contre. L’opposition dénonce ce texte qui veut mettre à l’abri les auteurs de faits graves, dont des homicides commis contre des opposants… pourtant, il est probable que les figures de l’opposition à Macky Sall ne soient pas libérés de prison avant l’élection ; Ousmane Sonko en particulier, mais aussi Bassirou Diomaye Fay, son candidat de substitution, qui est enfermé depuis avril sans avoir été jugé. Le député du Frapp Guy Marius Sagna a correctement dénoncé : « La loi n’est pas pour les détenus politiques, elle n’est pas pour Ousmane Sonko, elle est pour Macky Sall, son fils, ses hommes et ses femmes de main ». Le pouvoir continue de mentir éhontément, affirmant que « Le président Macky Sall ne cache aucune mauvaise intention » ; bien naïf ceux qui le croiraient !
La majorité de la population ne veut plus de ce pouvoir qui se croit au-dessus de tout !
Des plateformes de mobilisations
Plusieurs plateformes existent dans le pays regroupant les nombreuses oppositions. La plateforme citoyenne regroupant des syndicats et des mouvements citoyens, Aar Sunu Election « protéger notre élection », le FC25 (Front des Candidats à l’élection présidentielle du 25-Février) – un front de 16 candidats à l’élection présidentielle sur les 19 validés par le Conseil constitutionnel. Mais il existe aussi d’autres plateformes ou regroupements. C’est le cas du F24 ou encore du Front pour la défense de la démocratie. Il y a aussi des mouvements plus anciens comme le mouvement « Y’en a marre », créé en 2011 après des coupures d’électricité et des hausses des prix.
Ces regroupements se sont créés au cours de ces trois années de répression du gouvernement. L’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Ucad) est fermée depuis juin 2023, après les importantes manifestations et affrontements qui ont éclaté à l’Ucad après la condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison pour diffamation.
Amnesty international confirme plus de 60 morts et des cas de torture autour de ces mouvements de soutien à Ousmane Sonko, sans qu’aucune enquête ni encore moins condamnation n’aient eu lieu. La loi d’amnistie confirme que justice ne sera rendue qu’en ayant dégagé ce pouvoir et en l’ayant remplacé par un gouvernement qui ne soit pas composé de politiciens issus des élites mais réellement au service des intérêts de la population ! Quatre personnes sont mortes en février dans les manifestations contre le report de l’élection.
Un front commun se met en place
Une grande partie de la population a l’impression de se faire voler l’élection et que Macky Sall joue avec le feu. L’opposition au report des élections est grande. Et la majorité des organisations réclament les élections avant le 2 avril, date de fin de mandat officiel du président. Le report de l’élection a rajouté de l’huile sur le feu alors que Macky Sall n’a que la répression et les magouilles pour tenir. Les mobilisations se sont encore accentuées contre le report. Cette ambiance pousse les structures existantes à travailler ensemble.
Le 27 février 2024, Aar Sunu Election avait organisé une journée morte à Dakar qui a touché les établissements scolaires, les enseignants ne s’étant pas rendus au travail ; ou encore des élections symboliques à la date initiale du scrutin le 25 février dernier.
La plateforme Aar Sunu Election a annoncé, le 29 février, sa jonction avec le FC-25, avec la coalition d’opposition F24 et avec le Front pour la défense de la démocratie. Un front commun de l’opposition se forme sur la tenue de l’élection afin de coordonner leurs actions. C’est un pas important, la question est désormais de savoir sur quelles bases la mobilisation va t-elle se faire ?
Des élections pour quel changement dans la société ?
La colère contre Sall a pris forme sur la question électorale mais on le sait, elle est bien plus profonde face à la dégradation des conditions de vie quotidiennes. Or, beaucoup de candidats à l’élection, par exemple dans le FC-25, veulent juste l’élection mais ne sont pas des opposants au régime ni à la corruption. On ne peut pas compter sur eux : ils feraient la même politique.
C’est l’implication des travailleurs, des femmes, des jeunes, et de leurs organisations qui garantira la tenue d’élections démocratiques et la fin du pouvoir arbitraire de Macky Sall/Amadou Bâ. Il est donc essentiel que les syndicats de travailleurs se mobilisent et prennent la tête de la résistance à Macky Sall. C’est aussi le seul moyen pour empêcher que tel ou tel politicien ne puisse pas s’accaparer le pouvoir et juste remplacer Sall par un autre.
Un premier appel à la grève comme une étape
Un appel commun à cesser partout le travail par une grève sera une étape déterminante pour dire non aux magouilles de Sall et à toute tentative de récupérer la colère profonde des Sénégalais. Le pouvoir est faible et fébrile, c’est le moment ! Il faut une mobilisation qui marque fortement la situation autour des élections. Une mobilisation de masse qui dise : on n’acceptera plus cette politique, on veut des droits démocratiques et la fin de la corruption oui, mais aussi l’amélioration de nos conditions de vie, maintenant ! Des salaires qui permettent de vivre, une éducation gratuite pour tout le monde et des emplois bien payés…
Les travailleurs et la population doivent s’organiser indépendamment des magouilleurs et politiciens qui défendent le même système que le gouvernement sénégalais actuel. Avec l’organisation d’une première journée de grève, cela sera l’occasion pour les travailleurs et la population de discuter cette nécessité d’avoir leur propre parti et du programme qu’il devrait avoir pour amorcer un réel changement. Un nouveau parti qui organise massivement les travailleurs, les étudiants, qui mette au cœur de son programme : les richesses sont à nous et pas aux impérialistes (qu’ils soient français ou autres), les principales entreprises doivent être nationalisées/expropriées et sans compensation, notamment le système bancaire pour sortir du CFA et annuler la dette. Un parti qui lutte contre le capitalisme et pour le remplacer par le socialisme démocratique, aux mains des travailleurs et de la population, le seul système qui peut donner permettre de s’émanciper des impérialistes et de réellement développer le pays en planifiant la production économique en fonction des besoins, et ainsi en finir avec le chômage, la pauvreté…
En Afrique de l’ouest et ailleurs, les dictateurs ont du souci à se faire !
Cela serait un exemple et une inspiration pour toutes les populations qui sont en lutte contre des régimes corrompus et des dictatures militaires (qui se prétendent anti-impérialistes alors qu’ils gardent toutes les richesses pour eux et magouillent tout autant avec les multinationales que leurs prédécesseurs, juste d’autres pays). La plupart des médias parlent de l’Afrique de l’Ouest seulement en terme de risques terroristes dans la région et de difficultés qu’il y aurait depuis que les liens avec le pouvoir en France sont moins forts. C’est une vision coloniale. Tous les dirigeants qui s’accrochent au pouvoir ont du souci à se faire en Afrique (et ailleurs !). Les travailleurs, les femmes et les jeunes en Afrique cherchent à lutter et à se débarrasser de l’injustice, d’un soi-disant développement social guidé par les profits et de l’absence de droits démocratiques. Le combat pour une société socialiste est à nouveau à l’ordre du jour !
Leila & Ryan
Article tiré de L’Égalité n°221 (mars-avril) mis à jour le 9 mars 2024 par CR