La déclaration suivante du Secrétariat international (SI) du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), analyse les principales tendances mondiales actuelles – économiques, politiques, environnementales, géopolitiques et les relations de classe – dans la perspective de l’école d’été de cadres du CIO qui se tiendra en physique dans le nord de l’Europe, à la fin du mois de juillet.
Le monde est entré dans une nouvelle ère de bouleversements et de soulèvements ans précédent depuis des générations. Cela pose de nouvelles tâches et de nouveaux défis à la classe ouvrière et aux marxistes. L’explosion révolutionnaire insurrectionnelle qui a eu lieu au Sri Lanka a montré le potentiel pouvoir des masses à balayer les vieux tyrans et a illustré les possibilités de grands mouvements révolutionnaires à l’époque actuelle. De tels soulèvements peuvent avoir lieu et auront lieu dans d’autres pays, comme nous commençons à le voir au Kenya et ailleurs. L’impérialisme est terrifié par les événements au Sri Lanka, tout comme le sont les despotes au pouvoir en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et les autres régimes de la région, qui craignent de subir le même sort.
De nouvelles manifestations de la crise capitaliste sont apparues, tandis que d’autres se sont intensifiées. Les relations géopolitiques sont en pleine mutation. La situation mondiale est marquée par une polarisation et une inégalité accrues qui auront des conséquences énormes pour la lutte des classes et qui se voient déjà dans de nombreux pays. Ces événements ont des conséquences politiques majeures pour le capitalisme et la classe ouvrière. Il y a une crise de la direction politique de la classe ouvrière et une crise dans son organisation, au niveau mondial. Il y a également une crise de la direction politique de la bourgeoisie qui se voit dans de nombreux pays.
Les années 2020 marquent une époque de crises permanentes : économiques, politiques, environnementales, géopolitiques et de rapports de classe. À cette étape, l’équilibre capitaliste est rompu. Les piliers de l’équilibre capitaliste sont l’économie, les relations entre les classes et les relations entre les États. Les équilibres du capitalisme sont complexes. Le capitalisme n’établit son équilibre que pour le perturber à nouveau. Dans la sphère économique, cela prend la forme de récessions et de booms. Dans les relations entre les classes, il prend la forme de grèves, de lock-out et de révolutions lorsqu’il se rompt. Dans les relations entre États, elle se traduit par la guerre tarifaire, les blocus et la guerre.
Aujourd’hui, tous ces équilibres sont ébranlés dans leurs fondements-mêmes et ne seront pas réparables à court terme. S’il est possible pour le capitalisme de surmonter temporairement les crises dans ces domaines, de nouvelles crises éclateront rapidement pour les faire s’effondrer à nouveau. Nous vivons actuellement l’agonie douloureuse et prolongée du capitalisme. L’ancien leader du Parti travailliste britannique, Gordon Brown, un conseiller de la classe bourgeoise, a surnommé cette époque la « décennie du diable ». C’est le système capitaliste qu’il défend, ce qui signifie que nous vivons une époque où les monstres renaissent des cendres de leur agonie prolongée.
Cette agonie se prolonge à cause de l’absence de partis révolutionnaires de masse de la classe ouvrière et des conséquences négatives sur la conscience politique et l’organisation de la classe ouvrière de l’effondrement des anciens États staliniens dans les années 1990. La lutte entre la révolution et la contre-révolution à notre époque prend déjà une forme aiguë et brutale. La profondeur de la crise qui se déroule actuellement peut entraîner des bonds dans la conscience politique et amener un soutien à l’idée d’en finir avec le capitalisme dans de nombreux pays. Les inégalités et le gouffre sans précédent qui existent aujourd’hui entre les riches et les pauvres constituent un élément déterminant. Ce processus sera plein de contradictions et ne se fera pas en ligne droite. Les caractéristiques de révolution/contre-révolution seront présentes de manière permanente durant cette décennie. D’importants mouvements de masse et des luttes de travailleurs ont lieu. La hausse importante du nombre de grèves en Grande-Bretagne et les luttes importantes aux États-Unis, en Espagne et dans d’autres pays marquent un tournant. En parallèle, un sentiment accru d’aliénation et de désespoir existe dans une couche de la population, en particulier chez les jeunes. Des flambées d’émeutes et même de formes terroristes de lutte peuvent émerger étant donné les conditions désespérées auxquelles sont confrontées des millions de personnes.
De nombreuses caractéristiques d’une époque passée, notamment pré-1914, des années 1920 et 1930, ressortent déjà lors de cette crise. Notamment la polarisation sociale et politique massive, les inégalités, les troubles économiques et les conflits entre États et les guerres. Cependant, ces phénomènes prendront une forme différente, reflétant les différences importantes avec les périodes historiques précédentes.
Les relations entre États et la guerre en Ukraine
Le conflit sanglant qui fait rage en Ukraine incarne parfaitement la nature de cette période au niveau des relations entre États et des relations géopolitiques. Un conflit prolongé, d’importance mondiale, est en cours. Il a entraîné des effusions de sang et des horreurs pour les personnes impliquées, a reconfiguré les relations entre États et a eu un impact crucial sur l’économie mondiale, avec des conséquences désastreuses pour des millions de personnes, aggravant la crise mondiale de l’approvisionnement alimentaire. Elle a exacerbé la crise de la production alimentaire, poussant des millions de personnes au bord de la famine, notamment en Afrique et en Asie.
Poutine a largement mésestimé la situation et anticipé une victoire rapide, dont l’occupation de la capitale ukrainienne, Kyiv. L’échec des forces russes à y parvenir a contraint l’armée russe à changer de tactique et à concentrer ses objectifs sur la prise de toute l’Ukraine orientale, dont Donetsk, où se concentre une grande partie de l’industrie ukrainienne. Même à l’est, l’avancée russe a été très lente, ne progressant que de 10 kilomètres par mois, ce qui est comparable à certaines batailles de la guerre de 1914-18. Aujourd’hui, cependant, la Russie a pris la totalité de Louhansk et vise à prendre la totalité du Donbass. Dans le même temps, ailleurs, les forces russes ont continué à rencontrer des difficultés, comme la perte de la très importante île des Serpents dans la mer Noire.
Si Poutine parvient à s’emparer de l’ensemble du Donbass, un certain cessez-le-feu serait possible. Toutefois, un tel accord n’empêchera pas que des combats de moindre intensité se poursuivent dans l’est et peut-être ailleurs. Toutefois, il ne sera pas facile pour le régime ukrainien de parvenir à un accord sur les modalités d’un cessez-le-feu. Toute tentative de parvenir à un cessez-le-feu pourrait également provoquer des divisions entre les puissances capitalistes et les classes dirigeantes occidentales. Certains d’entre eux veulent aller de l’avant et espèrent obtenir la fin du régime de Poutine en provoquant des troubles en Russie à cause du nombre croissant de victimes et de la crise économique et des sanctions qui frappent la population russe. L’issue exacte de ce conflit reste incertaine. La Russie dispose d’un avantage considérable en matière d’armes et de munitions. Mais elle a également un problème de moral et de déploiement des troupes. L’Ukraine, malgré un approvisionnement massif en armes par les puissances occidentales, ne dispose toujours pas de suffisamment d’armes et de munitions. Les puissances occidentales ont conservé certaines armes puissantes et disposent d’arsenaux limités.
Ce long conflit façonne les relations mondiales depuis février 2022. L’avancée lente mais régulière de Poutine dans l’est de l’Ukraine a désormais réduit le risque qu’il tente, par désespoir, de déployer des ogives nucléaires tactiques ou des armes chimiques. Cela pourrait changer s’il rencontrait des problèmes plus graves. Toutefois, sa menace implicite d’y avoir recours a remis cette question à l’ordre du jour dans d’autres conflits futurs impliquant des régimes despotiques. Cela reflète la fébrilité du monde multipolaire tel qu’il est aujourd’hui.
Destruction des rêves de croissance économique et nouvel ordre mondial
L’impérialisme US a utilisé ce conflit pour tenter de se réaffirmer en tant que « leader mondial ». Pourtant, derrière l’apparente « unité » des puissances occidentales, de profondes divisions demeurent et ont été révélées par la crise. La Hongrie, la Pologne et d’autres pays ont révélé les divisions qui existent au sein de l’UE. Il est certain que ces tensions éclateront à un niveau plus élevé avec la récession économique qui se profile.
Les espoirs de la classe dirigeante d’une période de reprise et de croissance économiques après le choc de la pandémie ont été déçus. Tous les pays connaissent un ralentissement économique, une récession ou une dépression économique. La crise du coût de la vie et la baisse ou l’effondrement du niveau de vie touchent tous les pays impérialistes occidentaux, avec des conséquences terribles pour le monde néocolonial. Depuis le krach de 2007-2008, le capitalisme, malgré un court intermède, traverse l’une des crises les plus longues de son existence. Aujourd’hui, la poussée inflationniste qui a lieu ajoute une dimension supplémentaire à la crise systémique de l’économie mondiale. La stagnation et la baisse des salaires réels contredisent la propagande de la classe dirigeante selon laquelle les augmentations de salaires seraient la principale cause de l’inflation.
Les classes dirigeantes et leurs économistes sont divisés et incertains sur la réponse à donner à la crise actuelle. À ce stade, la majorité des banques centrales veulent augmenter les taux d’intérêt, ce qui déprimerait davantage le marché et l’économie. Elles ne savent pas comment aborder l’assouplissement quantitatif entre autre. D’autres préconisent des mesures de relance, qui ajouteraient à la spirale inflationniste et aggraveraient les pressions inflationnistes, avec les conséquences qui en découlent. Dans cette situation, il est peu probable qu’une approche uniforme soit appliquée par le capitalisme occidental qui naviguera à vue en fonction de la situation politique et sociale à court terme de chaque pays.
L’augmentation massive de la dette mondiale est une bombe à retardement planétaire, qui a déjà explosé dans certains pays. La dette de 51 milliards de dollars du Sri Lanka et l’incapacité à la rembourser ont été un facteur crucial dans l’implosion et l’effondrement total de l’économie, avec une inflation de plus de 100%, dépassée seulement par le Zimbabwe. Ce scénario catastrophe est appelé à se répéter dans d’autres pays du monde néo-colonial. La Russie a récemment fait défaut sur le remboursement de sa dette, en partie à cause des sanctions occidentales qui lui ont été imposées. La revendication de l’annulation de la dette est l’un des aspects les plus importants du programme nécessaire, en particulier dans le monde néo-colonial.
La nouvelle situation mondiale est marquée par le déclin de l’impérialisme US et la montée de la Chine. Et ce, bien que la crise actuelle soit centrée sur la Russie et l’Ukraine. Les stratèges du capital sont conscients des changements décisifs dans la situation mondiale et se préparent à tenter de faire face à ce que cette nouvelle situation mondiale implique. Certains stratèges du capital, comme l’ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l’OTAN, Ivo H. Daalder, avancent la nécessité d’élargir le G7 à un G12 incluant l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud, plus l’OTAN et l’UE. Un G12 aurait une population de près d’un milliard d’habitants et représenterait plus de 60 % du PIB mondial et des dépenses militaires. La Chine et la Russie combinées sont plus peuplées mais représentent 20% de la production économique mondiale et 17% des dépenses militaires. Cependant, l’expansion des dépenses militaires de la Chine est spectaculaire, tandis que l’accumulation d’armement dans la mer de Chine méridionale se poursuit, faisant planer la perspective d’un affrontement entre l’impérialisme US et les forces occidentales à un certain stade.
Derrière les idées soulevées par Daalder se profile une tentative de former un bloc impérialiste occidental prêt à concurrencer la Chine et ceux qui se trouvent dans son orbite. Deux blocs principaux sont en train de se développer, mais ni ces blocs ni aucun autre ne sont stables. Selon Daalder, il s’agit là du « dernier espoir » pour éviter que le « monde ne se délite », comme ce fut le cas, selon lui, lors de la pandémie de COVID. « L’ordre créé après la Seconde Guerre mondiale, basé sur les gouvernements, risque de s’effondrer », prévient-il. Il affirme à juste titre qu’un « nouvel ordre mondial » est en train de naître. Toutefois, la forme exacte que celui-ci prendra est incertaine, il connaîtra de nombreuses mutations et sera intrinsèquement instable. Les divisions flagrantes lors du récent sommet du G20 reflètent les clivages et les troubles qui existent dans les relations entre États.
La tendance à l’émergence de deux blocs est prononcée et se reflète dans le conflit Russie-Ukraine, car des pays comme la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde, le Brésil et d’autres ne sont pas prêts à marcher simplement au pas de l’impérialisme US et de l’OTAN. Alors que le sommet de l’OTAN s’ouvrait à Madrid et annonçait des changements stratégiques majeurs, le sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se réunissait pour élaborer ses propres plans. L’Argentine et l’Iran attendent aussi de rejoindre cette alliance économique et politique, plus petite mais significative.
Nécessité fait loi ! L’Inde, pour ses propres raisons économiques et stratégiques, a augmenté ses importations de pétrole russe. Le Sri Lanka, en proie à une situation désespérée, se tourne vers Poutine pour tenter d’obtenir des importations de pétrole russe moins chères. Les revenus pétroliers russes ont retrouvé leur niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine en augmentant les exportations vers la Chine, l’Inde et d’autres pays.
L’OTAN, réagissant rapidement, a convenu d’un déploiement stratégique majeur de 300 000 soldats en Europe orientale et a adopté son nouveau « Concept stratégique ». Celui-ci déclare explicitement que « la Fédération de Russie constitue la menace la plus importante et la plus directe pour les alliés », et que la Chine pose des « défis systémiques » à la sécurité euro-atlantique. Cela illustre clairement comment les puissances occidentales impérialistes se préparent pour la période à venir. Toutefois, la cohésion de cette alliance occidentale face aux tsunamis économiques et politiques est une autre question. Il en va de même pour les alliés de tout bloc Russie-Chine qui émergerait. Tous les blocs émergents sont intrinsèquement instables. Cela est encore plus vrai dans le monde arabe et au Moyen-Orient. Le développement par Israël de liens avec l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis et d’autres pays contre l’Iran constitue un changement historique majeur. Les changements stratégiques qui se produisent dans toute la région signifient que les peuples palestinien, kurde et autres paieront le prix fort. L’évolution de ce réalignement est loin d’être certaine.
Une caractéristique de ce monde multipolaire est l’explosion des dépenses militaires qui a eu lieu et qui s’est accélérée pendant la guerre Russie-Ukraine. L’évolution historique de l’Allemagne, qui a désormais le troisième programme d’armement le plus important au monde, illustre les changements en cours. Le Japon envisage également de doubler ses dépenses militaires. L’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe et la victoire électorale de son Parti libéral démocrate laissent entrevoir la possibilité que son protégé, Kishida, révise la constitution « pacifiste » du Japon. Le total des dépenses militaires mondiales a augmenté de 0,7 % en 2021 pour atteindre plus de 2 113 milliards de dollars. C’est un record et cela reflète l’augmentation spectaculaire des rivalités nationales entre États capitalistes.
La nouvelle période qui a commencé signifie qu’il faut se préparer à des bouleversements sur tous les fronts : économique, relations inter-États (avec des conflits tant économiques que militaires), et des relations de classe et sociales. Dans une ère d’incertitude et d’agitation, il est essentiel de ne pas répéter simplement les « vieilles formules » qui ne sont pas adaptées à la nouvelle situation. La situation politique et sociale qui a éclaté dans une série de pays en est une illustration. Ce qui, à une époque antérieure, était considéré comme impensable devient aujourd’hui possible, voire probable.
Les « États-Désunis d’Amérique », une place centrale dans les événements mondiaux
La crise politique et sociale aux États « Désunis » d’Amérique est au cœur des événements mondiaux des mois et années à venir. L’ampleur de la crise politique et sociale est le reflet du déclin actuel de l’impérialisme US. Une profonde polarisation de classe existe, associée à une profonde aliénation sociale, reflétée par la série de fusillades qui ont eu lieu lors de la fête nationale. Le spectacle des audiences parlementaires [dans le cadre de la commission d’enquête sur l’envahissement du capitole par les soutiens de Trump] du 6 janvier [2021] n’est comparable à aucune autre lutte historique pour le pouvoir politique aux États-Unis. Les tentatives désespérées de Trump pour s’accrocher au pouvoir et sa tentative de coup d’État ratée font passer le casse du Watergate de Nixon et sa destitution ultérieure pour un crime mineur en comparaison. La dernière tentative de Trump a servi de modèle à des régimes de droite, populistes et nationalistes comme Bolsonaro, Rajapaksa, Modi et Johnson. La crise politique sans précédent en Grande-Bretagne autour de l’implosion du gouvernement en est le reflet. Johnson n’avait cependant pas la base sociale dont disposait Trump et ne pouvait pas mobiliser des soutiens comme lui, même si cela n’a pas suffi à Trump pour réussir sa tentative de coup d’État. Cependant, la guerre ouverte au sein du parti conservateur revêt une importance historique, reflétant le déclin à long terme du parti et de l’impérialisme britannique.
Trump était incontrôlable pour les principales sections de la classe dirigeante. On peut observer ce phénomène dans d’autres pays où des populistes nationalistes de droite ont atterri au pouvoir par le vide politique, mais qui ne représentent pas de manière fiable les intérêts de la bourgeoisie. L’effondrement dans certains pays de la base des partis bourgeois traditionnels a facilité ce processus, par exemple pour Bolsonaro au Brésil. Le spectacle explosif des audiences parlementaires reflète la guerre civile politique qui se déroule aux États-Unis. Il semble que les démocrates et la classe dirigeante soient déterminés à écarter Trump du champ de bataille politique. Au sein du Parti républicain, d’autres populistes d’extrême droite, comme DeSantis en Floride, se bousculent pour se positionner comme une alternative de droite à Trump. Une partie de la classe dirigeante, reflétée par Cheney, tente également de mener une lutte pour reprendre le contrôle du Parti républicain, dont elle a largement perdu le contrôle. Toutefois, il est loin d’être certain qu’ils y parviendront.
La polarisation massive qui existe dans les États-Désunis a été accentuée par les récentes décisions explosives de la Cour suprême à la solde de Trump sur l’avortement, le contrôle des armes et l’environnement. Les implications de ces décisions sont potentiellement dévastatrices. Jusqu’à la moitié des États des USA sont maintenant prêts à interdire l’avortement ou à le rendre plus difficile. Ces décisions peuvent maintenant être suivies par d’autres, portant éventuellement sur le mariage homosexuel, l’inscription sur les listes électorales et les délimitations des circonscriptions électorales, donnant ainsi le contrôle du processus électoral aux États, ce qui favoriserait les Républicains. Ces décisions peuvent provoquer des mouvements sociaux massifs. Elles ont déjà sapé la crédibilité de la Cour suprême. Elles ouvrent potentiellement la voie à des États-Unis qui seraient deux pays en un, un élément déjà présent dans la situation.
La perspective d’un candidat républicain trumpiste perdant le vote populaire mais l’emportant grâce au Collège électoral et à des inscriptions électorales truquées laisse présager un bouleversement encore plus important que celui qui a secoué le pays le 6 janvier 2021. Cela plongerait les États-Unis dans une crise politique et constitutionnelle.
L’ensemble de la situation appelle à grand cri un nouveau parti de masse de la classe ouvrière. Cependant, les démocrates de « gauche » ne montrent aucun signe d’évolution dans cette direction. Sanders a clairement indiqué qu’il ne se présentera pas contre Biden, mais au contraire qu’il soutient sa candidature à un second mandat. Biden, malgré le fiasco entourant Trump, n’a pas réussi à satisfaire les aspirations de millions de personnes et sa cote de popularité est en chute. Les Républicains pourraient prendre le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat lors des élections de mi-mandat. Toutefois, les décisions de la Cour suprême pourraient changer la donne.
Cette crise s’est accompagnée d’une augmentation significative des grèves et des luttes ouvrières de la classe des travailleurs. Elle a également vu des victoires importantes de nouvelles sections de la classe ouvrière pour obtenir la reconnaissance de leur syndicat : chez Starbucks, Amazon et Apple. Dans certains cas, les travailleurs ont contourné l’appareil syndical officiel et ont formé de nouveaux syndicats à la suite d’initiatives prises par les travailleurs eux-mêmes. Ce processus est riche d’enseignements au niveau international.
Les contradictions s’accumulent en Chine
La crise sociale et politique dans la principale puissance impérialiste aura un impact croissant sur les événements mondiaux, y compris sur la lutte des classes. À cet égard, c’est l’un des domaines de lutte les plus importants pour la classe ouvrière. Ceci peut se retrouver chez le principal rival de l’impérialisme occidental : la Chine. De grandes contradictions sociales s’accumulent dans toute la Chine. Xi renforce l’État et concentre de plus en plus de pouvoir autour de sa faction qui contrôle le parti et l’appareil d’État. Un appareil d’État massif et brutalement répressif a été construit. Une révolte contre cet appareil peut éclater à une certaine étape. Elle pourrait commencer initialement parmi les sections des vastes couches petites-bourgeoises dans les villes sur des questions démocratiques et sociales. Cela peut être le prélude à des batailles menées par la classe ouvrière potentiellement la plus puissante du monde. Les manifestations contre les mesures utopiques de « Zéro COVID » prises par le régime laissent entrevoir les soulèvements plus importants qui éclateront.
La crise a déjà eu un effet dévastateur sur le monde néo-colonial. L’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et le monde arabe sont dévastés par de multiples tsunamis. En plus de la pandémie de COVID, ces économies sont ravagées et, dans certains cas, se sont effondrées. Non seulement l’inflation mais aussi certains aspects d’hyperinflation frappent de nombreux pays. La crise alimentaire et agricole dans des pays comme l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde est aggravée par les effets d’une onde de choc climatique qui s’accélère. Des millions de personnes souffrent aujourd’hui d’une famine inédite depuis des générations. Les conséquences sont dévastatrices. Les Nations unies mettent en garde contre une « vague sans précédent de faim et de misère ». Cette situation, conjuguée à la crise environnementale, met à l’ordre du jour la perspective de guerres pour l’accès à la nourriture et à l’eau. La situation horrible dans ces pays aura des conséquences planétaires, notamment une catastrophe migratoire grandissante.
L’effondrement qui a eu lieu souligne la justesse de la théorie de la révolution permanente et l’impossibilité pour les pays du monde néocolonial de se développer en grandes puissances impérialistes industrialisées. Au contraire, le développement inégal et combiné en Asie, en Amérique latine et dans certaines parties de l’Afrique est en train de s’inverser dans certains pays. Certaines sociétés régressent et plongent dans des conflits ethniques et religieux, l’effondrement et la désintégration. Des éléments de ce phénomène sont présents au Nigeria, au Yémen et ailleurs, même si le Nigeria, comme beaucoup d’autres pays, voit également grandir la haine envers son élite corrompue et spoliatrice.
Le développement de la Chine, qui défie aujourd’hui les puissances impérialistes occidentales, résulte de la propriété d’État et de l’économie planifiée déformée qui existaient dans l’ancien État ouvrier déformé, puis de la forme particulière de capitalisme d’État dans laquelle il a muté. Comme l’a dit assez crûment un bourgeois chinois : « En Occident, les capitalistes contrôlent l’État. En Chine, l’État contrôle les capitalistes ». L’Inde et d’autres pays ne pourront pas répéter le développement chinois, comme certains le prétendent.
Révolution et contre-révolution dans le monde néo-colonial
La crise dans le monde néo-colonial a fait émerger deux éléments marquants : des éléments de révolution et de contre-révolution. Une classe ouvrière forte et potentiellement puissante existe. En même temps, dans beaucoup de ces pays, il existe une vaste petite bourgeoisie et une couche sociale lumpenisée. Ces forces peuvent constituer une certaine réserve sociale pour le capitalisme et l’extrême droite. Dans les années 1930, ces couches ont constitué la principale base du fascisme. Aujourd’hui, elles peuvent servir de base aux mouvements populistes d’extrême droite, qui peuvent inclure des éléments fascistes. C’est particulièrement le cas lorsqu’il n’existe pas de puissante alternative socialiste de masse de la classe ouvrière.
On voit également des tendances répressives et bonapartistes dans les pays impérialistes occidentaux, où la classe dirigeante se prépare aux explosions sociales qu’elle sait imminentes. La classe ouvrière, dans tous les pays, doit être prête à ce que la lutte prenne un caractère plus brutal.
Des soulèvements de masse ont eu lieu dans une série de pays présentant de puissants éléments de caractère révolutionnaire, dont le plus récent a été le soulèvement révolutionnaire massif au Sri Lanka. Cela a surtout été une démonstration du pouvoir des masses. Avant l’explosion sociale au Sri Lanka, les autres mouvements avaient le potentiel de renverser les régimes en place. Cependant, l’absence d’un mouvement organisé, avec un objectif politique clair, un programme et un parti, en général, a permis à certains régimes de défier la gravité et de s’accrocher au pouvoir en réorganisant les transats sur le pont du Titanic. Toutefois, les mouvements qui ont éclatés ont eu tendance à accomplir des progrès importants par rapport aux mouvements qui les ont précédés dans d’autres pays. L’existence de « comités de résistance » au Soudan représente une avancée importante. Les événements au Sri Lanka sont allés plus loin et ont renversé deux gouvernements.
L’incapacité de la démocratie bourgeoise dans ces pays à correspondre à la situation économique et politique se traduit par une forte militarisation de l’État et de puissantes tendances bonapartistes. L’Inde, le Pakistan, le Brésil et maintenant le Sri Lanka montrent tous cette tendance. Les systèmes démocratiques bourgeois extrêmement limités de nombreux pays ont fait naître la revendication d’une assemblée constituante ou d’une nouvelle constitution. Le cas échéant, il est important de donner à ce sentiment une expression révolutionnaire par la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire et d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres.
Le soutien au « moindre mal » (au Sri Lanka, à un « gouvernement provisoire ») et l’absence d’une alternative socialiste de masse ont permis aux partis et aux individus capitalistes et pro-capitalistes de remplir le vide. Cependant, lors des soulèvements de masse, des bonds dans la conscience politique peuvent avoir lieu et ont eu lieu. Au Sri Lanka, le mouvement est passé de la revendication de la démission de Rajapaksa à la revendication de la chute du gouvernement. La revendication de l’annulation de la dette, que les camarades de l’USP n’ont cessé de défendre, a maintenant été largement reprise au sein du mouvement de masse.
Les mouvements de masse qui ont éclatés, inévitablement, sans être menés à terme, peuvent refluer et se fracturer, comme nous l’avons vu au Liban.
Amérique latine : une deuxième « vague rose »
Cependant, toutes les contradictions sociales sous-jacentes qui ont entraîné les soulèvements de masse dans tous ces pays ne sont toujours pas résolues. De nouvelles explosions sociales et luttes politiques émergent inévitablement. En Amérique latine, les mouvements et soulèvements de masse qui ont eu lieu en 2019-2020 au Chili, en Colombie, au Pérou et en Équateur n’ont pas abouti au renversement des régimes, bien que cela fût objectivement possible. Ces mouvements se sont déroulés contre des gouvernements de droite et ont illustré l’absence d’une base de soutien solide dont ces gouvernements disposaient après leurs victoires électorales.
Toutefois, le produit de ces mouvements de masse a été la victoire électorale d’une série de gouvernements de gauche : Boric au Chili, Castillo au Pérou et, plus récemment, Petro en Colombie. Une deuxième « vague rose » déferle sur l’Amérique latine dans le sillage de nombreux soulèvements de masse. Les victoires électorales de la gauche dans ces pays ont représenté un coup dur pour la classe dirigeante. Ces gouvernements sont arrivés au pouvoir dans un contexte de crise bien plus profonde que lorsque la première « vague rose » a balayé le continent. Pourtant, leur programme est bien plus faible. Malgré la faiblesse de Chavez au Venezuela et de Morales en Bolivie, sous la pression du mouvement de masse, ils ont pris une direction plus radicale et ont mordu sur le capitalisme. À ce stade, les nouveaux gouvernements ne se sont pas encore radicalisés de la sorte. La trahison est inhérente au réformisme. Mais rarement le virage à droite et les concessions au capitalisme de Boric au Chili et de Castillo au Pérou n’a été aussi rapide. En conséquence, leur cote de popularité a chuté ; Petro, en Colombie, emprunte la même voie.
L’une des caractéristiques de cette époque est l’absence d’une alternative socialiste radicale mise en avant par les nouvelles forces de gauche. En général, à mesure que la crise s’est aggravée, elles se sont adaptées au « moindre mal » et n’ont pas posé la nécessité d’une rupture systémique avec le capitalisme et du besoin du socialisme. Cela se traduit en Europe par la crise de PODEMOS en Espagne, de Die Linke en Allemagne et du PSOL au Brésil. Le succès électoral de l’alliance de Mélenchon, NUPES, aux élections françaises a potentiellement représenté un grand pas en avant. Cependant, le programme du NUPES n’était qu’un pâle reflet du programme de Mitterrand lorsqu’il dirigeait le gouvernement socialiste-communiste en 1981. De plus, le refus de Mélenchon d’utiliser les élections pour transformer la France Insoumise en un parti de lutte pour la classe ouvrière, mais de la maintenir comme un » mouvement » peu structuré, est une occasion perdue.
Une caractéristique générale de la situation actuellement est la participation très faible aux élections – y compris en France, où moins de 50 % des électeurs ont voté lors des élections législatives. Il y a quelques exceptions à cette situation, mais c’est une caractéristique de la situation. Elle reflète l’absence d’une alternative socialiste de masse et une profonde méfiance envers tous les partis établis et les institutions capitalistes en général. La combativité qui se développe dans certains pays peut, dans un premier temps, se traduire par un certain anarcho-syndicalisme dans les syndicats et parmi des sections de la classe ouvrière et de la jeunesse.
La lutte pour le socialisme en cette époque
Dans de nombreux pays, les conditions objectives exigent la création d’un nouveau parti ouvrier de masse. Il y a une opposition croissante au « système ». Cependant, les forces qui ont conduit à la formation de nouveaux partis de travailleurs ne sont pas encore apparues. L’absence de tels partis constitue un obstacle et freine les mouvements qui se sont développés. Il est erroné d’en conclure que l’absence de parti à ce stade aura pour conséquence que les mouvements de masse resteront « statiques » ou « figés » en termes de conscience politique. L’expérience d’une série de vagues de lutte, combinée aux effets des multiples crises existantes, peut entraîner de profonds changements dans la conscience politique.
Lors de ce processus, des bonds en avant dans la conscience politique peuvent avoir lieu et auront lieu même sans parti de masse. Les mouvements eux-mêmes peuvent créer les forces et les individus autour desquels de nouveaux partis de masse peuvent émerger. Ce processus peut également signifier que, dans certains pays, des sections importantes de travailleurs peuvent parvenir à des conclusions socialistes révolutionnaires et rejoindre directement un parti ou un groupe socialiste révolutionnaire. Dans de telles conditions, les petits groupes socialistes révolutionnaires peuvent se transformer en de grands groupes ou partis sur une courte période et, sur cette base, se battre pour gagner le soutien majoritaire pour la transformation socialiste de la société parmi la classe ouvrière et les pauvres. Le soutien à l’idée du socialisme comme alternative aux cendres du capitalisme pourrissant peut être et sera repris, en particulier par la nouvelle génération plus jeune. Le rythme auquel les événements se sont déroulés dans la période précédente ne sera pas le même que celui de la période actuelle.
Les marxistes doivent être prêts à faire face à des chocs et des explosions sociales tels qu’on n’en a pas vu depuis des générations. Le CIO peut avoir un grand impact et soutiendra de tels événements en intervenant avec audace et en défendant notre programme et nos idées. Cela ne signifie pas une répétition routinière et rigide de formules, mais une défense audacieuse du programme et de la méthode marxistes d’une manière adaptée à cette époque. Le CIO peut jouer un rôle central en intervenant dans ces événements et en reconstruisant le soutien aux idées et aux méthodes du socialisme révolutionnaire, qui sont le moyen ultime de mettre fin à l’agonie prolongée du capitalisme.