Le pouvoir des travailleurs sous Allende [partie 2/2]

Pendant le gouvernement Allende, la stratégie de la droite est d’organiser le blocus de la société. En réponse, des collectifs ouvriers, appelés « cordons industriels », sont créés. Ils réunissent des travailleurs des fabriques d’une même zone géographique, qui échangent du matériel, ou des travailleurs, pour tenter de pallier le manque d’ingénieurs et de cadres, souvent en grève. Leur développement s’accélère lors de la grève patronale de 1972, avec l’arrêt des transports collectifs : l’une des premières tâches était de résoudre le problème du transport jusqu’au lieu de travail. De nombreuses usines sont alors reprises par les ouvriers après le départ des patrons et avec l’intention de continuer à produire. Les camions de l’entreprise sont utilisés pour remplacer les bus (70 % étaient aux mains du secteur privé). La défense de l’outil de travail est aussi organisée contre le sabotage des groupes armés réactionnaires.

Manifestation du 1er mai 1973 à Santiago (Chili). « Crée un pouvoir populaire » ; Unis mais sans armes, les travailleurs chiliens subirons la violence de la dictature de Pinochet.

Le contrôle de la distribution et des prix

Pour contrecarrer la pénurie et l’inflation, des juntes d’approvisionnement (et de contrôle) des prix, les JAP, sont lancées par le gouvernement pour assurer la distribution et établir un pont entre les producteurs, les consommateurs et les petits commerçants. Ces organisations, administrées par la population, étaient plus encadrées que les cordons par le Ministère de l’économie.

Pour affronter l’opposition, certains cordons industriels, souvent animés par des militants marxistes, comme Benjamín Vicuña MacKenna à Cerrillos, reprennent leurs usines. Les ouvriers de la société Soprole assurent la distribution du lait. Chaque semaine, une foire gratuite a lieu, de cordon à cordon : un système de troc. Dans quelques entreprises, des crèches et des garderies pour les travailleuses sont ouvertes.
Des commandements communaux agricoles existaient aussi pour assurer la continuité de la production. Les ouvriers représentés par leurs syndicats, les habitants, les associations de femmes, les syndicats agricoles, les centres d’étudiants et les partis de gauche y participent.

Le pouvoir populaire et les cordons

À mesure que la lutte des classes s’approfondit, la perspective d’un coup d’État devient évidente. Les cordons dans différents secteurs prennent de plus de plus conscience d’eux-mêmes et de leur rôle décisif, d’autant que les ouvriers ont été les protagonistes de la résistance victorieuse à la grève réactionnaire d’octobre, en garantissant du travail et de la nourriture. Ils développent leurs propres revendications et discutent des moyens de défendre leurs intérêts.

Ils sont donc de plus en plus en désaccord avec le gouvernement Allende, qui voulait concilier avec la droite. Certaines initiatives les amenèrent à affronter le gouvernement, comme la grève des mineurs de El Teniente en mai 1973, ou contre les représentants syndicaux de la centrale syndicale CUT. Ils subissent la répression.

On comptait 31 cordons en septembre 1973, dont 8 dans la capitale Santiago du Chili. Leur nombre était donc encore limité et leur force politique était disparate. Mais une chose est sûre : le refus d’Allende et des partis de gauche (PS, PC, et MIR) d’en appeler à la mobilisation des travailleurs et de la population, ainsi qu’à la défense armée, a permis une féroce répression contre les cordons, qui résistèrent néanmoins à la contre-révolution de Pinochet.

Six jours avant le coup d’État du 11 septembre 1973, la coordination des cordons industriels écrivait au « camarade président » Allende, une lettre d’une lucidité politique dramatiquement implacable :

« Nous vous avertissons, camarade, avec le respect et la confiance que nous avons encore, que si vous n’accomplissez pas le programme de l’Unité Populaire, si vous ne faites pas confiance aux masses, vous perdrez le seul soutien réel que vous avez comme personne et comme gouvernant, et vous serez responsable d’avoir mené le pays non pas à la guerre civile qui est déjà en plein développement, mais au massacre froid, planifié de la classe ouvrière la plus consciente et la plus organisée d’Amérique latine. »

Par Diana, article paru dans l’Égalité n° 218