Le coup d’état nigérien et le potentiel de guerre et d’instabilité régionale.

Les travailleurs et les masses pauvres doivent rejeter le coup d’état et une intervention militaire étrangère.
Pour une assemblée constituante basée sur un programme socialiste lié à la solidarité régionale de la classe ouvrière !

Par Chinedu Bosah , membre du comité exécutif national, Democratic socialist movement (Mouvement socialiste démocratique – CIO/CWI au Nigeria)
Traduit par Gauche révolutionnaire – CIO France-

Le Niger est devenu un centre d’intérêt et de discussion international depuis que l’élite militaire de la garde présidentielle a pris le pouvoir de Mohamed Bazoum et l’a assigné à résidence le mercredi 26 juillet 2023. Le général Abdourahmane Tchiani, chef de la garde présidentielle d’élite du Niger, s’est autoproclamé chef du pays.
Le Niger a connu des manifestations massives de colère contre les longues années de domination et de pillage français, mais certains se font des illusions sur la Russie : des drapeaux russes ont été brandis au milieu de slogans anti-français devant l’ambassade de France à Niamey. Bien que le général Tchiani ait invoqué la « détérioration de la sécurité » et la gestion de la guerre contre le terrorisme par Bazoum, le coup d’État était en réalité une réponse à la menace du président de le démettre de ses fonctions de chef de la garde présidentielle. La véritable raison de la lutte pour le pouvoir au sein des cercles de l’élite reste incertaine.

Les travailleurs et les jeunes doivent condamner le coup d’État et s’opposer à toute agression étrangère, qu’il s’agisse de la CEDEAO ou des puissances impérialistes.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dirigée par le Nigeria, a rejeté le coup d’État et exigé le retour à un régime civil et la réintégration de Mohamed Bazoum avant le dimanche 25 août 2023, sous peine d’une intervention militaire. Un certain nombre de sanctions ont déjà été imposées au Niger. Par exemple, les frontières terrestres dans la partie sud ont été fermées et le gouvernement nigérian a coupé l’approvisionnement en électricité du Niger. Le pays dépend à 70 % du Nigeria pour son électricité.

Le Niger est le plus grand pays enclavé d’Afrique de l’Ouest et est bordé par la Libye (nord-est), le Tchad (est), le Nigeria (sud), le Burkina Faso et la République du Bénin (sud-ouest) et le Tchad (est), l’Algérie (nord-est) et le Mali (ouest), ce qui signifie qu’il dépend des frontières terrestres voisines pour ses importations. Les sanctions de la CEDEAO ont entraîné une forte augmentation des prix des denrées alimentaires et des produits de base, avec des conséquences désastreuses pour la classe ouvrière et les pauvres du pays. La France a déjà suspendu toute son aide et d’autres pays donateurs, comme l’Allemagne et les États-Unis, ont suspendu certains de leurs programmes d’aide, ce qui ne manquera pas d’aggraver les conditions de vie au Niger. Cependant, une grande partie de l’aide est pillée de manière corrompue par l’élite dirigeante capitaliste et son aile militaire.

À l’instar de nombreux pays africains, le Niger a connu quatre coups d’État réussis et plusieurs autres tentatives infructueuses depuis son indépendance de la France en 1960, après avoir été sous domination coloniale depuis les années 1890. Les dirigeants de la CEDEAO craignent la multiplication des coups d’État en Afrique de l’Ouest, comme on a pu le constater au Mali, en Guinée et au Burkina Faso au cours des trois dernières années, et qui pourraient se reproduire dans d’autres pays de cette région instable. Le président nigérian Bola Tinubu, qui dirige le bloc régional de la CEDEAO, veut profiter de cette occasion pour convaincre les puissances impérialistes occidentales qu’il est un homme fort et qu’il peut leur obéir comme une marionnette. Avant les récentes élections générales de 2023 au Nigeria, le président Tinubu n’était pas le candidat choisi par les impérialistes occidentaux. Mais depuis son émergence, il a mis en œuvre des politiques anti-pauvres drastiques dictées par le FMI et la Banque mondiale, telles que la suppression des subventions à l’essence, la dévaluation de la monnaie le naira, la commercialisation croissante de l’éducation, l’augmentation prévue des tarifs de l’électricité, l’augmentation des impôts, etc.

La crise économique au Niger est énorme, bien que le pays soit riche en uranium, en charbon et en or. Avec une population de 25 millions d’habitants, le Niger est classé par les Nations unies comme le deuxième pays le moins développé sur 188. Trois millions de personnes sont confrontées à une pauvreté aiguë et à la faim, et le taux d’analphabétisme est de 37 %. L’impérialisme français et d’autres pays européens dépendent du Niger pour l’uranium, dont il est le 7e producteur mondial et dont la France a besoin pour son énergie nucléaire. Afin de soutenir le pillage des ressources en minerais du Niger et l’intérêt de limiter l’immigration vers l’Europe, l’impérialisme français a stationné 1 500 soldats ainsi qu’une base aérienne au Niger et exerce un fort contrôle financier. Cette force énorme dans un petit pays n’est qu’un rappel de la période sanglante et pilleuse de la colonisation. C’est une force prête à être libérée pour soutenir le néocolonialisme et la défense continue d’intérêts puissants aux dépens du peuple nigérien ordinaire. Ces puissances étrangères, en collaboration avec l’élite dirigeante capitaliste nigérienne, ont tellement ruiné le pays que celui-ci dépend de l’aide économique et sécuritaire étrangère et qu’environ 45 % de son budget provient de cette aide, soit plus d’un milliard de dollars par an.

Un désaccord croissant entre l’élite dirigeante et militaire capitaliste malhonnête et les impérialistes français au sujet des ressources est à l’œuvre dans la région et les élites russes et chinoises l’exploitent. De nombreux habitants de ces pays ne voient aucun espoir d’amélioration de leurs conditions de vie sous la domination française et sont devenus hostiles à l’intervention étrangère continue. Poutine s’est opposé au coup d’État au Niger par le biais d’une déclaration du ministère des affaires étrangères, mais Prigozhin, le chef du groupe Wagner, la force mercenaire privée russe qui entretient des liens étroits avec le régime du Kremlin, a fait l’éloge du coup d’État. Se présentant comme un anti-impérialiste, Prigozhin a déclaré : « Ce qui s’est passé au Niger n’est rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre ses colonisateurs… [Le peuple nigérien] est en train d’acquérir effectivement son indépendance. La suite dépendra sans doute des citoyens nigériens et de l’efficacité de la gouvernance, mais l’essentiel est là : ils se sont débarrassés des colonisateurs ». Les forces Wagner sont déjà au Mali.

La France a naturellement soutenu la volonté de la CEDEAO de rétablir un régime civil, tandis que le Mali et le Burkina Faso ont déclaré leur soutien au Niger et se sont engagés à déployer un soutien militaire pour le Niger. Le chef du groupe Wagner, Yevgeny Prigozhin, tout en soutenant le coup d’État, a également déclaré qu’il était prêt à offrir un soutien militaire, comme au Mali. C’est la recette d’une guerre régionale dangereuse avec un énorme potentiel de déstabilisation, de déplacement de civils et d’exploitation de cette situation par le soi disant État Islamique au Grand Sahara et d’autres organisations terroristes djihadistes pour se renforcer et créer plus de ravages au Sahel.

Par exemple, la révolte au Nigéria pourrait s’aggraver car le pays sera embourbé dans différents théâtres d’interventions militaires et pourrait être débordé. En outre, la situation au Niger n’est pas la même qu’au Libéria et en Sierra Leone dans les années 1990 et en Gambie en 2017, lorsque la CEDEAO est intervenue militairement pour évincer les dirigeants. Depuis lors, nous avons assisté à une intensification de la concurrence entre les grandes puissances et de la rivalité impérialiste en Afrique, ce qui a conduit à un nouveau découpage des zones d’influence entre l’Occident, mené par la France et les États-Unis, mais aussi la Chine et la Russie. En conséquence, le bloc des 15 membres de la CEDEAO est désormais divisé ; le Burkina Faso et le Mali soutiennent le Niger en déclarant qu’ils considéreraient toute intervention étrangère au Niger comme « une déclaration de guerre » à leur égard. Cela ouvre la voie à une confrontation sanglante potentielle entre les pays ayant accueilli des mercenaires russes et une force de la CEDEAO. Cette possibilité reflète elle-même le déclin de l’impérialisme américain et la fin de son monopole sur la scène mondiale.

Les militaires nigériens pourraient vouloir conclure un accord avec la CEDEAO pour s’engager à revenir à un régime civil à l’avenir, à l’instar des promesses faites par les putschistes du Mali et du Burkina Faso, qu’ils n’ont jamais tenues, et essayer de gagner du temps pour consolider le pouvoir et manœuvrer ou oser aller à la confrontation en espérant le soutien du Mali et du Burkina Faso pour résister aux forces de la CEDEAO.

Le Nigeria, qui fournira le plus de fonds, d’équipements et d’hommes si une invasion est décidée, est entravé par l’opposition nationale, comme en témoigne le refus du Sénat d’approuver l’intervention militaire. Les sénateurs du Nord ont ouvertement critiqué l’approche du gouvernement et appelé au dialogue avec les dirigeants nigériens. Cette attitude n’est pas surprenante. Les frontières étrangères imposées par les impérialistes européens lorsqu’ils se sont partagé l’Afrique traversent les tribus et les nations. Les combats au Niger auraient inévitablement un impact sur le nord du Nigeria, car une grande partie de la population du nord du Nigeria est composée de Haoussas, qui constituent également le deuxième groupe ethnique le plus important au Niger. Une intervention militaire de la CEDEAO menée par le Nigeria, qui sera en réalité une guerre entre frères compte tenu du fait que les Nordistes constituent une grande partie de l’armée nigériane, peut facilement entraîner des protestations dans le pays. Alors que l’ultimatum de la CEDEAO touche à sa fin, une solution diplomatique de dernière minute n’est pas à exclure, avec la possibilité que le président Bazoum, détenu, soit libéré en signe de bonne foi.

Malheureusement, le mouvement syndical est non seulement faible mais aussi divisé sur les crises au Niger. La population active organisée dans les syndicats s’élève à 60 000 personnes, soit à peine 5 % de la population active totale. La Confédération démocratique des travailleurs du Niger, la plus grande centrale syndicale du pays, a condamné le coup d’État et exigé le rétablissement de l’ordre constitutionnel civil, tandis que l’Unité d’action syndicale (UAS Niger), composée de centrales syndicales plus petites, a publié une déclaration soutenant le coup d’État et appelant les Nigériens et les travailleurs à se lever pour défendre le pays contre toute agression étrangère. Les confédérations syndicales, autrefois unies, qui ont réagi au plan de prolongation du mandat de l’ancien président Mamadou Tandja et à la révision constitutionnelle radicale qui concentrait davantage de pouvoirs au président, par une grève générale de 24 heures en 2009 qui a ébranlé le régime de Tandja, sont aujourd’hui en plein désarroi. Aucune centrale syndicale du bloc régional n’a réagi de quelque manière que ce soit. Cela permet aux dirigeants capitalistes corrompus d’intervenir librement pour protéger certains intérêts puissants.

Le Mouvement socialiste démocratique (DSM, le CWI au Nigeria) appelle les syndicats et les masses laborieuses à s’unir pour rejeter le coup d’État militaire, défendre les droits démocratiques et rejeter l’agression et l’intervention étrangères. Le mouvement ouvrier doit exiger et se mobiliser en faveur d’une assemblée constituante dominée par des représentants élus des travailleurs, afin d’élaborer une constitution qui place les ressources du pays sous le contrôle démocratique des travailleurs nigériens. Les travailleurs et les pauvres doivent s’organiser, leur avenir ne peut être décidé ni par des chefs militaires ni par une intervention étrangère. Des comités de défense du peuple devraient être formés sur les lieux de travail et dans les communautés, qui pourraient constituer la base d’un gouvernement populaire dirigé par la classe ouvrière et les opprimés. Parallèlement aux appels lancés à la base des forces armées nigériennes pour qu’elles soutiennent un tel gouvernement, les travailleurs de la région devraient être invités à faire preuve d’une solidarité active avec les travailleurs du Niger, y compris, si nécessaire, en coordonnant des manifestations et des grèves générales contre leurs pays respectifs qui les agressent.

Bien que nous soyons d’accord avec les manifestants nigériens qui demandent à la France de quitter le Niger, nous devons dire que l’acceptation d’une autre puissance impérialiste comme la Russie n’est pas la solution. Le régime despotique actuel de Poutine n’est pas le même que l’ancienne Union soviétique des années 1970 et 1980 qui, pour ses propres raisons, a soutenu la lutte anticoloniale en Afrique jusqu’à un certain point. Issue de la révolution socialiste d’octobre 1917, l’Union soviétique, bien que bureaucratisée pour l’essentiel, était un État ouvrier dégénéré qui reposait sur une classe sociale et une base économique différentes de celles du régime capitaliste de Poutine aujourd’hui. Le régime de Poutine est un régime capitaliste basé sur les oligarques russes qui sont arrivés au pouvoir après le démantèlement de l’Union soviétique à la fin des années 80 et au début des années 90. Son intérêt pour l’Afrique est aussi impérialiste que celui des États-Unis ou de la France. C’est pourquoi Poutine n’a jamais soutenu et ne soutiendra jamais une véritable révolte anti-impérialiste et anticapitaliste en Afrique.

Ce dont le Niger a besoin, tout comme le Nigeria et l’ensemble du continent africain, c’est d’une révolution socialiste qui mette en place un gouvernement de travailleurs et de pauvres armé de politiques socialistes pour mettre fin au capitalisme et à la propriété foncière. Une telle révolution partira probablement d’un seul pays, mais elle peut rapidement s’étendre et devenir un mouvement de masse régional et continental pour un véritable changement dans la façon dont la société est gérée. Les travailleurs et les peuples pauvres prendront en propriété publique le sommet de l’économie, comme les banques, les industries, le pétrole et le gaz, les mines, et les placeront sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs afin de s’assurer que l’économie fonctionne dans l’intérêt de la majorité de la population et non pour le profit d’une minorité.

Par Chinedu Bosah, membre du NEC, Democratic Socialist Movement (CIO au Nigeria)