L’aide humanitaire et les capitalistes

Depuis la catastrophe du 26 décembre, la solidarité avec la population d’Asie du Sud-Est ne cesse pas. Chaque jour les travailleurs, touchés par les images de désolation et l’ampleur de la misère qu’elle a générée, donnent de l’argent aux associations. Ces dons ne sont pas toujours importants mais ils représentent, pour chaque famille, une part non négligeable d’un revenu parfois faible. Ceci n’est dû qu’à la générosité et à l’envie d’être solidaire avec les peuples asiatiques qui souffrent.

Article paru dans l’Egalité n°111

Bien sûr, ce mouvement a été déclenché par les images abondantes et terribles qui ont été diffusées mais ces mêmes images ont beaucoup moins ému les différents gouvernements capitalistes. Chaque pays a été forcé d’augmenter rapidement sa contribution initiale devant la générosité formidable de son peuple, et la peur du ridicule. L’aide américaine s’élève à 350 millions de dollars. Rien à côté des 148 milliards dépensés pour la guerre contre l’Irak. De la même façon la commission européenne a augmenté ses dons avant le sommet de Jakarta du 6 janvier. Les patrons ont eux aussi été emportés par la solidarité que témoignent les travailleurs. De nombreuses entreprises se vantent de faire quelque chose pour les sinistrés du tsunami : ce sont des journaux vendus un euro de plus au profit de l’Asie, des opérateurs téléphoniques qui proposent un numéro de SMS spécial pour des dons, en oubliant tout d’abord de reverser aux associations le coût de l’envoi. Autant la générosité des particuliers est évidente et sincère, autant il est difficile d’être sûr que les sociétés en question n’en retireront aucun bénéfice.

Mais encore faut-il que la « générosité » que chaque état ou entreprise affiche, aille bien jusqu’au bout et que les promesses soient tenues. Poussés par la générosité des gens, les pays riches se doivent d’annoncer des dons conséquents : six milliards de dollars ont été promis. Mais le précédent du séisme de Bam, en Iran, est inquiétant : seuls 15 millions de dollars ont été réellement donnés, au lieu des 117 promis. Que feront les chefs d’état quand l’impact médiatique sera retombé ?

Une « aide » impérialiste et inégalitaire !

Cependant, même si les promesses sont tenues, il ne faut pas oublier que le principe du capitalisme est de faire du profit, et que tout est soumis à cette condition. Les gouvernements capitalistes, malgré leurs belles paroles, n’aident pas mais investissent. En donnant ou en intervenant sur place chaque pays sert ses intérêts. De plus, une certaine partie de cette aide se fait sous forme de crédits sans intérêt que les pays touchés par la catastrophe devront rembourser venant accroître la dette du pays. Et au moment de reconstruire les régions dévastées, chaque pays donateur imposera ses entreprises pour la construction ou la gestion des nouvelles infrastructures. Certains pays comptabilisent dans l’aide humanitaire la solde des militaires qu’ils envoyent sur ces missions.

Plusieurs endroits touchés par le tsunami sont des zones de guerre (plus ou moins ouverte) entre l’Etat et un mouvement indépendantiste : c’est le cas de la région d’Aceh au Nord de Sumatra avec le Gerakan Aceh Merdeka, (GAM) et pour le Nord et une partie de l’Est du Sri Lanka avec les Tigres Tamouls. Peut-on raisonnablement croire que les Etats nationalistes sri lankais et indonésien, peu connus pour leur compassion, vont distribuer de façon égalitaire l’aide humanitaire ? On entend dans les médias que cette aide arrive difficilement dans ces régions : si les difficultés de transport sur des routes pour l’instant quasiment inexistantes sont une chose, une autre est la mauvaise volonté des autorités, voire des groupes indépendantistes et nationalistes qui protègent leur chasse gardée. Déjà, l’armée indonésienne a repris ses patrouilles pour repérer les rebelles du GAM Lors de ces guerres, l’armée régulière des Etats a utilisé fréquemment l’enlèvement, le meurtre, la torture… Ce raz-de-marée arrive à point nommé pour reprendre le contrôle de ces régions. Déjà l’armée et la police indonésienne arrivent en force à Banda Aceh. Pourtant les exemples d’aide entre différentes populations sont nombreux. Ils ont réussi immédiatement à dépasser les conflits, là où les Etats sont en guerre depuis des décennies.

Et que dire des armées impérialistes des pays occidentaux, en particulier l’armée américaine venue aujourd’hui faire de l’humanitaire ? Demain, sera-t-elle toujours là pour l’humanitaire ? La région d’Aceh est la première exportatrice de gaz naturel liquide sous le contrôle de la société américaine Exxon-Mobil.

Pour l’aide humanitaire qui arrivera sur les zones sinistrées, même l’ONU craint un détournement des dons. A Sumatra ceux qui sont au pouvoir (les anciens militaires de la dictature de Suharto) ne rateront sans doute pas une occasion de s’en mettre plein les poches. Le tourisme de luxe en Thaïlande ou en Indonésie est la propriété de groupes ou de familles liées au pouvoir qui pourront facilement détourner de l’argent pour reconstruire des hôtels sur des terrains à bas prix. Et les contrôles de l’ONU sont illusoires. C’est aux habitants des régions sinistrées d’effectuer un contrôle démocratique des sommes qui sont données pour leur venir en aide. C’est à cette seule condition qu’elles seront utilisées pour la reconstruction d’hôpitaux, d’écoles, de routes et pour le relogement de ceux qui ont tout perdu. Mais cette solution, les capitalistes n’en veulent surtout pas ; seul le socialisme la met au centre de l’organisation d’une véritable aide humanitaire.

Par Luc de Chivré