La victoire de Lula aux élections présidentielles brésiliennes est un réel événement et une victoire de la classe ouvrière dans un pays où 52 millions de personnes sont considérées comme étant extrêmement pauvres, où les gros propriétaires terriens possèdent parfois des territoires grands comme des départements français et peuvent en toute impunité faire exécuter par leurs pistolleros des syndicalistes et des dirigeants du Mouvement des sans-terre.
Article paru dans l’Egalité n°98
Les 61,7 % d’électeurs en faveur du PT et de son candidat, ont pu ainsi se compter et mettre en avant leur poids politique en votant pour un ancien ouvrier métallo qui appartient non pas à l’élite brésilienne mais au monde ouvrier.
Contrairement à ce que prétendent certains analystes, la raison des 52,7 millions de voix pour Lula est à chercher, non pas dans la modération et le tournant à droite du programme du parti des travailleurs, mais dans le rejet de la politique néolibérale qu’a suivi le dirigeant bourgeois Cardoso depuis huit ans. Le bilan de ce dernier est éloquent : un chômage exponentiel, des services publics réduits à une peau de chagrin (le scandale récent des bébés échangés à la maternité n’en est qu’une grotesque mais dramatique illustration.), une série de privatisations catastrophiques, une violence sociale en pleine expansion…Le PT est le seul parti qui d’une part n’est pas impliqué d’une manière ou d’une autre dans la corruption et la collusion avec les mafieux locaux, et d’autre part le seul qui se soit constamment opposé à la politique néolibérale de la bourgeoisie brésilienne en défendant la classe ouvrière et organisant les luttes telle la grève des métallos en 1978, menée par Lula.
L’échec annoncé de la méthode « Lula »
La victoire du candidat du PT est donc la marque d’une avancée dans le domaine de la conscience de classe. En ce sens elle représente une nouvelle étape dans l’histoire du mouvement ouvrier brésilien. Elle est aussi le lieu d’expression et de création de nouvelles aspirations et attentes des travailleurs. Or c’est là que le bas blesse : si le candidat se démarque des autres dirigeants par son origine sociale, il n’est pas certain que sa politique soit, elle aussi, nettement démarquée de celle de ses prédécesseurs. Avoir un président qui se réclame du peuple n’est pas la solution miracle. Au contraire ceux qui attendent un changement radical de système risquent d’être profondément désillusionnés. Car le programme de Lula n’est pas en rupture avec le système actuel. Il a ainsi voulu constamment rassurer les investisseurs et le Fmi en déclarant qu’il ne remettrait pas en cause les accords effectués. Son maître mot est » négociation « . Son projet politique se résume en un concept, la collaboration de classe, à travers un processus de négociation entre gouvernement, patronat et travailleurs. Donner au capitalisme un visage humain et acceptable pour la majeure partie des Brésiliens, tel est le projet de Lula. Se présenter aux capitalistes comme le seul capable de maintenir le système en place, telle est la volonté politique du nouveau président. C’est pourquoi Lula n’a eu de cesse de répéter qu’il n’était pas communiste et qu’il n’avait pas de programme socialiste. Il en est ainsi venu, par exemple, à critiquer le mouvement des sans-terre et à s’en démarquer.
Or dans la situation politique mondiale actuelle, où la crise économique, par exemple, a plongé dans le marasme l’Argentine et menace très sérieusement le Brésil (sous le gouvernement Cardoso, la dette publique brésilienne est passée de 30% à 60 % du produit national brut), il est clair que le patronat n’aura ni la volonté ni les moyens d’acheter la paix sociale. S’ils prétendre vouloir remonter l’économie du pays, c’est sans remettre en cause leurs profits et en faisant peser le poids des « ajustements » une fois de plus sur le dos des travailleurs. Comment « négocier » alors ? Comment arriver à répondre aux revendications de justice sociale ? Porté par le mouvement ouvrier qui attend la concrétisation de ses aspirations et refusant de remettre en cause le système pour préserver la susceptibilité des capitalistes, Lula fait un grand écart qui risque bien de le voir perdre à la fois le soutien de classe ouvrière et la confiance d’une partie du patronat.
Par Geneviève Favre