Guerre et capitalisme

Nombre d’opposants « officiels » à la guerre contre l’Irak veulent placer cette lutte sur le terrain de l’opposition à Bush Jr. qu’ils rendent responsable unique du conflit en préparation et l’affublent de tous les épithètes discourtois. Mais la question de la guerre n’est pas liée essentiellement à la personnalité de tel ou tel individu, même si celle-ci colore la politique menée dans un sens plus ou moins odieux et cynique.

Article paru dans l’Egalité n°100

En s’opposant à la guerre, et en l’espèce à la guerre contre l’Irak, on ne s’oppose pas uniquement à Bush Jr. et à ses alliés, mais aussi et surtout au capitalisme en lui-même. Cela signifie qu’il n’y a pas de capitalisme sans guerre. Evidemment la guerre a existé préalablement au système capitaliste. L’Empire romain ne s’est pas construit la fleur au pilum. Mais chaque période possède des caractéristiques propres. Il s’agit donc de comprendre quels liens précis entretient le capitalisme – période historique donnée – avec la guerre. Autrement dit, quels sont les mécanismes et les causes qui aboutissent inéluctablement à des conflits dans le système capitaliste, au-delà des apparences et de contingences que sont les caractères des dirigeants de ce type de société.

Crises, dominations et guerres

La crise économique est avant tout une difficulté croissante à réaliser des profits à cause des contradictions internes du système. Elle peut être décrite comme une incapacité à écouler la production, et donc à réaliser les profits escomptés, à cause d’un marché intérieur ou extérieur saturé ou non solvable (ce qui revient au même). C’est alors la crise de surproduction. Dans « Le manifeste du Parti communiste », Marx et Engels écrivaient en 1847 : « Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l’existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société, – l’épidémie de la surproduction. […] Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. – Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives ; de l’autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. A quoi cela aboutit-il ? A préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir ». Cette incapacité a réaliser les profits escomptés de la productions les poussent, lorsque les marchés intérieurs sont saturés, à en ouvrir d’autres et de se procurer de la matière première moins chère à l’étranger. Et lorsque tous les marchés sont saturés, à détruire la production, les outils et les individus qui la produisent par des guerres.”
On le voit, les capitalistes d’une nation donnée n’ont d’autres choix, d’une part, que de s’ouvrir d’autres marchés en étendant leurs zones d’influence économique et politique – ce qui correspond à la colonisation ou à la domination économique. Et d’autre part de détruire la capacité de production par la guerre – pour mieux reprendre leur course effrénée vers le profit immédiat par la suite. A la fin du 19ème siècle, à l’époque durant laquel le capitalisme de « libre concurrence » a cédé la place au capitalisme de monopole – que Lénine appelait stade impérialiste – globalement il n’y avait plus de territoires vierges à conquérir. Par conséquent, le partage du « gâteau » ne peut se faire qu’au détriment des autres nations ; d’abord les plus faibles, mais lorsque les crises s’approfondissent, les capitalistes des pays dominants en viennent obligatoirement à s’opposer directement les uns aux autres.
Les gouvernements bourgeois mènent leurs politiques principalement en fonction des ces déterminations économiques. Aux nécessités impérialistes économiques correspondent des nécessités géopolitiques impérialistes. Ainsi le capitalisme génère deux types de guerres : la guerre de colonisation et la guerre inter impérialistes qui peut aboutir à une déflagration mondiale, telle que l’a connu le 20ème siècle en 1914 et 1939.

Les raisons de politique intérieure

Cecil Rhodes, un politicien bourgeois du 19ème siècle, disait : « J’étais hier dans l’East-End (quartier ouvrier de Londres), et j’ai assisté à une réunion de sans-travail. J’y ai entendu des discours forcenés. Ce n’était qu’un cri : Du pain ! Du pain ! Revivant toute la scène en rentrant chez moi, je me sentis encore plus convaincu qu’avant de l’importance de l’impérialisme… L’idée qui me tient le plus à cœur, c’est la solution du problème social, à savoir : pour sauver les quarante millions d’habitants du Royaume-Uni d’une guerre civile meurtrière, nous, les colonisateurs, devons conquérir des terres nouvelles afin d’y installer l’excédent de notre population, d’y trouver de nouveaux débouchés pour les produits de nos fabriques et de nos mines. L’Empire, ai-je toujours dit, est une question de ventre. Si vous voulez éviter la guerre civile, il vous faut devenir impérialistes ». On ne peut être plus clair quant aux motivations des politiciens à nous faire faire la guerre. La guerre est un moyen d’acheter la paix sociale, au moins temporairement, en faisant porter l’incurie capitaliste sur les autres peuples et de détourner la colère des exploités vers un but soi-disant commun entre les patrons et les travailleurs. Il permet en outre de restreindre les libertés publiques et de casser le mouvement social dans les périodes de crises. Il n’est dès lors pas étonnant que toutes nos lois liberticides – celles de Vaillant ou de Sarkosy – apparaissent en période de crise et de tensions internationales.

D’Afghanistan en Irak

La période que nous sommes en train de vivre découle de deux déterminations majeures : la crise économique récurrente (crise énergétique, crise industrielle, boursière et financière) depuis les années 1970 et qui s’aggrave depuis la fin des années 1990, et la chute des régimes bureaucratiques staliniens des pays de l’Est. Lors de la première guerre du Golfe, Bush senior avait proclamé le nouvel ordre mondial : celui d’un capitalisme triomphant et qui devait amener liberté et fortune au monde entier. Une sorte de Pax Americana. En réalité de Pax, c’était déjà le redécoupage du monde et son partage entre les puissances mondiales en difficulté (USA, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Japon ainsi que la Russie). Mais le mirage a vite disparu, faisant place à la froide réalité des crises asiatiques qui se sont étendues par la suite à tous les pays dominés. Les pays capitalistes ont résisté temporairement à la crise, mais ils ont fini par être touchés à leur tour. Le nouvel ordre mondial a failli comme nous l’avions prédit. Alors nous sommes entrés dans une phase d’accroissement des tensions. Les pays capitalistes avancés ont repris d’une façon plus ostensible leur politique de rapines, et nous assistons au redéploiement de leurs forces armées (Afghanistan, Philippines, etc. pour les USA, Côte d’Ivoire pour la France…), et à l’exacerbation des tensions entre pays impérialistes : si les Etats-Unis veulent contrôler le Moyen-Orient c’est pour des raisons économiques (crise pétrolière et énergétique des USA ayant un retentissement sur l’industrie américaine…). Cela est clair. Mais si la France, l’Allemagne et la Russie semblent s’y opposer c’est que leurs intérêts dans la région (ce sont ces trois pays qui ont le plus d’intérêts économiques en Irak) sont menacés.
En définitive, dans le capitalisme, la guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens.

Par Yann Venier