Droite : Quand la mariée est trop belle

Au lendemain des premières élections législatives de la 5ème République, en novembre 58, le parti gaulliste et ses alliés obtenaient la majorité absolue à l’Assemblée. Commentant cette situation alors inédite, Le Monde titre « Quand la mariée est trop belle ».

Article paru dans l’Egalité n°103

4 ans après, le parti du Président est à lui seul hégémonique. Et 44 ans plus tard, si Chirac n’est réélu que pour 5 ans, il bénéficie non seulement d’une UMP ultra majoritaire au Palais Bourbon mais aussi d’un Sénat à sa botte. Cette fois, pour la Droite, la mariée est beaucoup, beaucoup trop belle. La rançon de cet excès de félicité, c’est qu’en l’absence d’un contre-pouvoir institutionnel de poids, le danger vient de  » la rue  » et de sa propension à vouloir prendre les choses en main : on l’a vu au printemps dernier. C’est aussi que les divisions internes prennent trop d’ampleur, la discipline n’étant pas aussi contraignante que lorsque majorité et opposition sont bord à bord.

Phagocytage des alliés

Pour le moment le renforcement de l’hégémonie de l’UMP l’emporte sur les tiraillements qui apparaissent. Le parti du Président grignote peu à peu l’UDF. Le dernier rallié en date est le très giscardien Alain Lamassoure qui a fait allégeance en échange de la tête de liste pour les européennes de juin prochain dans le grand Sud-ouest. Quant aux autres miettes de la Droite, Raffarin s’emploie à les neutraliser par différents moyens. Charles Millon, qui avait été pendant un temps Président de la Région Rhône-Alpes avec l’aide du FN et qui restait à la charnière de la majorité et de l’opposition d’Extrême-Droite, va laisser péricliter son groupuscule de Droite chrétienne pour aller à Rome non en pèlerin mais en ambassadeur auprès de la FAO, la filiale de l’ONU chargée de l’agriculture et de l’alimentation, ce qui scandalise notamment nombre de rhône-alpins et de tiers-mondistes. Le RPF de Charles Pasqua, de plus en plus englué dans les affaires, lâché par beaucoup de ses lieutenants, n’est plus que l’ombre de lui-même. Sur un créneau voisin, le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers continue sa chouannerie avec comme cheval de bataille l’opposition à la constitution européenne et à l’entrée de la Turquie dans l’Europe élargie.

De toute façon, les souverainistes risquent de souffrir des accents démagogiquement anti-européens de Raffarin contre les « chiffres » et les « bureaux « , ce qu’on appelle chez eux les « critères de Maastricht ». De même que la poursuite de la baisse des impôts tend à couper l’herbe sous le pied de Nicolas Miguet à qui le fisc n’a pas tout pris à en juger par le nombre d’affiches qu’il fait coller au nom de son Rassemblement des Contribuables…

Grenouillages à l’intérieur

Philippe Séguin est bien discret depuis son échec aux municipales à Paris mais son fidèle Roger Karoutchi pourrait être la tête de liste de l’UMP pour les régionales en Ile-de-France (puisque Sarkozy renonce à briguer la place de Président de la région-capitale, préférant rester au gouvernement pour préparer sa candidature à l’Elysée). Cela implique qu’il compense son manque de notoriété par beaucoup de ménagement vis à vis des différents courants de la Droite francilienne. Celui-là ne devrait donc pas faire trop de vagues. Au contraire, d’autres s’agitent. Le plus atypique étant Jean-Louis Debré, le traqueur de Sans-Papiers, 4ème personnage de l’Etat en tant que Président de l’Assemblée Nationale, qui a agacé beaucoup de ses amis politiques pendant les débats sur les retraites et la décentralisation en montrant trop de compréhension pour les opposants et tout particulièrement pour le PCF… Mais il y a aussi des divergences sur le statut de la Corse, sur les réductions d’impôts, sur la prise de participation de l’état dans le capital d’Alstom, sur la suppression du lundi de Pentecôte et sur l’abrogation de la loi Aubry sans parler de la question capitale de la participation éventuelle des ministres aux 36 heures d’immersion d’un politicien dans la vie privée d’une famille de la France d’en bas sous l’œil des caméras.

Et puis il y a l’esquisse de constitution des prrochaines écuries présidentielles. Si Chirac consent à redevenir simple citoyen en 2007 (c’est à dire à devoir répondre de ses actes devant la justice), faut-il soutenir Juppé, Raffarin, Sarkozy, un autre ou une autre ?

Pour donner un cerveau à cette Droite qui le plus souvent se contente d’appliquer à 90, 95 ou 100% le programme du MEDEF, il est question de créer une fondation (reconnue d’utilité publique, c’est nouveau en France en matière politique, ça vient de sortir, même le PCF prépare la sienne autour de Robert Hue !)

Mais, ce nouveau laboratoire d’idées travaillant sur les mêmes ingrédients, les nouvelles molécules risquent d’indisposer le peuple autant que les anciennes.

La rue continuera donc à intervenir dans le débat et à gâcher le bonheur idyllique du Président et de sa trop belle Marianne.

Par Jacques Capet