Ecole : une «refondation» pour les capitalistes
Par Luc de ChivréL’éducation est une priorité affichée par le gouvernement et le ministre de l’éducation Vincent Peillon met en place une loi «d’orientation» pour l’école. Pourtant le système éducatif continuera avec la même logique de rentabilité et de sélection des jeunes.
Le ministre allège à sa sauce les rythmes scolaires mais rien n’est fait contre la surcharge des classes qui est une vraie source de fatigue, ni contre les programmes souvent indigestes. Réduire la journée d’école d’un enfant ne résoudra pas l’échec scolaire si les structures d’aide à tous niveaux (RASED …) torpillées par Fillon ne sont pas remises en place partout et renforcées.
Le plan pluriannuel de recrutement ne répond pas aux besoins mais rafistole. Les 60 000 «postes» promis sont loin d’égaler les 80 000 supprimés en 5 ans, surtout au regard des chiffres: les créations réelles pour l’enseignement sont de 21 000 postes, sans savoir si ce seront des temps plein, le reste étant pour le privé (6000), l’accueil indispensable des enfants handicapés sans connaître le statut du personnel recruté, et pour compenser les départs en retraite. Les conditions réelles d’enseignement ne vont pas s’améliorer, voire se dégraderont dans certains secteurs.
Le «changement» dans la continuité
La loi de refondation ne s’attaque ni à la vision rentabiliste de l’école publique ni à la qualité d’enseignement. Pour les capitalistes l’échec scolaire est la base d’une sélection vitale pour rentabiliser la formation des futurs travailleurs. Le socle commun et le livret de compétences, deux outils créés par la droite pour déterminer rapidement et subjectivement sur quels enfants il est inutile d’investir sont confirmés. L’objectif du livret de compétences est même éclairci par les accords de compétitivité qui mettent au cœur des procédures de licenciement et de mobilité interne la notion subjective de compétences professionnelles.
La formation professionnelle est transférée aux régions qui maintiendront les seules formations offrant une employabilité locale immédiate et qui ne seront pas concurrentes de l’apprentissage. Si les besoins des entreprises changent, les jeunes se retrouveront avec des formations inadaptées au marché de l’emploi. Idem pour le service d’orientation scolaire de l’éducation avec un marché juteux pour le privé, mais aussi des conseillers d’orientation des collèges et lycées menacés.
Vincent Peillon n’améliore en rien les conditions de travail des enseignants, voire fait des déclarations sous entendant une augmentation du temps de travail. Il se satisfait clairement des tâches multiples accumulées depuis plusieurs années, des pressions qu’exercent les directeurs ou les chefs d’établissement pour imposer une augmentation de travail. Les accords de compétitivité ne s’appliquent pas aux enseignants mais dans un souci de rentabilité, le temps de travail a augmenté, le salaire est gelé, et la «mobilité interne» a explosé avec des personnels sous contrat d’objectif à 2 ou 3 ans, d’autres qui se partagent sur différents postes de travail ou qui vivent dans la crainte de perdre leur poste d’une année sur l’autre.
Pour un autre système éducatif !
Un gouvernement défendant vraiment les intérêts des jeunes et des travailleurs se serait attaqué aux capitalistes par des premières mesures concrètes :
►Un véritable plan d’embauche d’au moins 80 000 postes qui permet d’abonder toutes les missions indispensables de l’éducation et de titulariser les contractuels
►Le renforcement des lycées professionnels publics, véritable acquis ouvrier et la fin de l’apprentissage privé
►La suppression du socle commun, du livret de compétences, le renforcement de la mixité sociale dans les établissements
►Des classes à 20 élèves maximum
►L’augmentation des salaires
Ces premières mesures sont vitales pour stopper la dégradation. Pour avancer vers un système éducatif avec comme seul objectif l’émancipation et le bien être des enfants et des jeunes, il faudra s’attaquer définitivement à la mainmise des capitalistes sur l’éducation et l’ensemble des besoins humains.
Non, les rythmes scolaires ne sont pas faits pour le bien des enfants !
Par Faustine OttinLe ministre justifie la réforme du rythme scolaire par le fait que la France obtient de piètres résultats aux enquêtes internationales sur les résultats scolaires et qu’elle fait partie des pays où il y a le moins de jours d’école. Comme si la question des résultats scolaires dépendait seulement du moment où on enseigne aux enfants ! C’est pourquoi les enseignants du primaire se sont mis en grève le 31 janvier puis majoritairement le 12 février.
Cette réforme n’est que poudre aux yeux pressant davantage le rythme des élèves et les conditions de travail des enseignants. Rien n’est réfléchi globalement pour une équité sur tout le territoire et remédier aux difficultés des élèves. Pour faire passer cette réforme, le gouvernement laisse allonger la pause du midi, non pas pour des raisons chronobiologiques mais parce que le taux d’encadrement (c’est à dire le nombre d’adultes par groupe d’enfants) y est moins contraignant que le soir !
Avoir une politique ambitieuse pour une école plus juste passe par une autre politique de la ville, un autre aménagement du territoire, moins d’élèves par classe, de la formation pour les enseignants, plus de professeurs que de classe, un RASED efficace et suffisant et ce partout, car aujourd’hui un élève en difficulté hors ZEP n’a plus d’aide et les aides sont si faibles en ZEP qu’on arrive à un saupoudrage ! Pour cela il faut défendre un réel service public d’éducation où la partie enseignement ne serait qu’un pan. C’est pourquoi les enseignants du primaire doivent se tourner vers les parents d’élèves, les collègues des services publics, les travailleurs en grève afin de montrer qu’une réforme ambitieuse de l’éducation passe par :
►Un emploi pour tous
►Un autre aménagement du territoire et une solidarité dans le territoire basés sur les besoins décidés par les habitants
►Des effectifs restreints dans les classes
►Un réseau d’aide (RASED) suffisant
►Une réelle formation des enseignants
►Plus de maîtres que de classes
►Une professionnalisation des aides aux enfants en situation de handicap avec embauche et formation des personnes embauchées sur ces emplois aujourd’hui (AVS)
Pour obtenir tout cela, il faut une autre société, où on arrêtera de bricoler avec la vie des enfants et qui permettra à chacun de se former à son rythme. Pour mener les politiques sociales et économiques nécessaires à cette société, nous devons construire nos luttes. Le 25 mars, les enseignants du primaire de Paris seront d’ailleurs en grève. D’ici le samedi 6 avril, date annoncée par la FSU comme une journée nationale de manifestation sur la question des rythmes, il nous faudra construire un rapport de force.
Stagiaires en colère à Rouen
Par Olaf van Aken, stagiaireMalgré les annonces du nouveau gouvernement de vouloir faire de l’Éducation une priorité les conditions de travail pour les professeurs stagiaires restent catastrophiques cette année. Un temps complet de prof est de 18 heures hebdo face élèves. Les stagiaires, eux, sont à 15 heures et il y a 8 heures de cours à l’IUFM en plus quasiment toutes les semaines. La charge de travail est écrasante (entre 50 et 60 heures par semaine) et beaucoup de stagiaires sont complètement épuisés. Le gouvernement n’a pas rompu avec la politique du précédent. Les stagiaires occupent des milliers de vrais postes de gens partis en retraite.
Le CLES et le C2i2e – des certificats qui font rager
Les stagiaires ex-contractuels sont davantage pénalisés. Ils sont souvent à 18h de cours et sont en plus censés passer le CLES (un certificat d’Anglais) et/ou le C2i2e (un certificat d’informatique). Pour beaucoup, le CLES posait de gros problèmes car le niveau d’anglais exigé est très haut (niveau B2) et ils risquent de ne pas être titularisés. Le C2i2e demande beaucoup de travail, entre 20 et 30 heures qui ne sont pas faciles à trouver.
Une approche collective des stagiaires
La colère chez les stagiaires, notamment chez les ex-contractuels, montait de plus en plus à cause de la surcharge du travail et de l’exigence des deux certificats. Fin novembre, la CGT Educ’action à Rouen a pris l’initiative de mobiliser les stagiaires et a organisé des heures syndicales à l’IUFM. Les syndicats SNES, FO, Sud Education et CFDT ont rejoint cette initiative. Depuis mi-décembre, plus de 100 stagiaires (sur 200) y ont participé et nous avons décidé de nous battre pour nos revendications: non au CLES et au C2i2e, non à la surcharge de travail, arrêt de la formation à distance (FOAD), arrêt des pressions et du harcèlement de certains tuteurs. Des rassemblements devant l’IUFM, relayés par la presse, ont eu lieu en janvier et une audience au Rectorat début février.
Le Ministère recule – une victoire partielle
C’est à cette occasion que les responsables du Rectorat ont annoncé à la délégation des stagiaires et des syndicats que le CLES et le C2i2e ne seront officiellement plus un critère pour la titularisation des stagiaires. Mais il faudra les faire dans un délai de 3 ans après la titularisation. Annonce confirmée par la directrice générale des ressources humaines du Ministère lors du Comité technique ministériel du 19 février. C’est une victoire, même partielle, pour nous et les autres stagiaires mobilisés dans d’autres académies. Le besoin réel de nouveaux professeurs est également sûrement une motivation pour ce recul du gouvernement. C’est un très grand soulagement pour les stagiaires concernés par ces certificats.
Notre mobilisation a payé, elle nous a permis de sortir de la galère individuelle (surcharge de travail, harcèlement de certains tuteurs, pressions des inspecteurs,…) et de discuter collectivement de nos revendications et des actions à mener. Avoir gagné cette avancée est un encouragement pour beaucoup de stagiaires à Rouen et ailleurs.
Lycées : quels changements pour la jeunesse et les personnels ?
Par Olivier RuetPeillon, ministre de l’Education Nationale, a répondu pour les lycéens et leurs profs. Les mesures touchant les lycées généraux, technologiques et professionnels seront appliquées intégralement tel que cela était prévu par ses prédecesseurs Darcos et Chatel.
Et effectivement, dans les lycées, tout le monde doit continuer de faire fonctionner les mesures prises sous Sarkozy, alors que leur dénonciation avait marqué la période passée.
Sous prétexte d’une future évaluation, il faut donc patienter. Ainsi, on a pu voir la filière technologique industrielle démantelée et réduite à seulement quatre options (au lieu de quatorze spécialités). Les enseignants de ces spécialités ont été reconvertis de force dans des disciplines type techno collège ou dans des matières qu’ils n’ont jamais enseignées (et sans formation préalable).
Dans les lycées pro, le BEP n’a pas été rétabli. Les places de CAP manquent. Et dans la filière bac pro 3 ans, les élèves en difficulté sont nombreux en raison d’une forte réduction des horaires d’enseignement professionnel qui elle non plus,n’a pas été corrigéé.
Et en dépit de la propagande gouvernementale, lycéens et profs voient désormais la réalité de la préparation de la rentrée. De plus en plus d’établissements se mobilisent car ce qui leur est annoncé, c’est à nouveau suppressions de postes, d’options, de filières, augmentation des effectifs par classe… Les règles n’ont absolument pas changé et s’il y a création de postes, c’est notamment car il y a une augmentation du nombre d’élèves (en lycée comme en collège).
Et face aux difficultés des élèves,aux problèmes de chômage des jeunes, d’accès aux qualifications, le gouvernement a la réponse facile et originale : l’apprentissage ! Ce serait la solution à tout dans la crise actuelle. C’est dire concrètement, que Repentin le successeur de Morano a l’intention d’y faire basculer une partie toujours plus importante des jeunes en entretenant l’illusion d’une échappatoire à la crise. Il faut en fait s’attaquer aux difficultés sociales qui imposent à de plus en plus de jeunes de tenter de signer ce type de contrat pour gratter un petit salaire.
Le patronat évidemment est aux anges avec un tel gouvernement qui relaie ses thèses sur l’adaptation de la main d’œuvre, la compétitivité : «Le président croit beaucoup au rôle que peut jouer la formation professionnelle dans l’amélioration de la compétitivité hors coût de notre pays» (AEF 17 janvier 2013).
Concrètement, Hollande, Ayrault et Peillon ont lancé une nouvelle étape de démolition des diplômes et qualifications reconnus nationalement au profit d’une formation locale, soumise aux féodalités régionales, dans le cadre notamment de la nouvelle loi d’orientation sur l’école et de l’acte 3 de la décentralisation.
La lutte ne peut être évidemment locale et ne peut se contenter des réponses syndicales actuelles. Il nous faut travailler à l’unité des jeunes scolarisés, apprentis, et travailleurs pour la défense des qualifications nationales reconnues et combattre l’apprentissage de l’exploitation que deviennent les systèmes d’éducation et de formation deviennent sous les coups répétés des gouvernements successifs.
Dossier paru dans le n° 160 de l’Égalité (mai-juin 2013)