Contribution du CIO à la réunion internationale de Milan « La crise de l’ordre mondial impérialiste et la réponse du prolétariat »

Les 15 et 16 juillet, une réunion internationale a été organisée par un certain nombre d’organisations de gauche à Milan, en Italie. Vingt-quatre organisations de diverses tendances politiques se sont réunies et ont débattu de la situation internationale. Des trotskistes, des anarchistes et des personnes déclarant adhérer au léninisme étaient présents.

Le CIO était représenté par deux camarades et a participé aux débats et discussions. Les débats ont porté sur la situation mondiale actuelle et les tâches des révolutionnaires dans cette période. Le Comité pour une internationale ouvrière, CIO, dont la Gauche révolutionnaire est la section française, a soumis la déclaration ci-dessous comme contribution au débat, comme l’ont fait toutes les autres organisations. Ces documents seront publiés dans un bulletin édité par les organisateurs.

Tir de missiles. Photo : ministère de la défense Ukrainienne/ CC

Déclaration du Comité pour une internationale ouvrière (CIO)

Note : Le texte suivant est constitué d’extraits d’un document publié par le Comité exécutif international du CIO (« La société capitaliste convulsée et dans la tourmente : nouveaux défis et tâches pour les marxistes et la classe ouvrière »), qui a été publié le 30 janvier 2023.

La société capitaliste est agitée et en pleine tourmente. Les marxistes et la classe ouvrière sont confrontés à l’une des périodes les plus exigeantes de l’histoire.
L’équilibre capitaliste est brisé dans tous ses aspects : économique, géopolitique, social et dans les rapports de classe. Il en résulte des convulsions et des troubles qui se traduisent par une forte polarisation sur tous les continents. On assiste à une reprise de la lutte des classes dans certains pays, mais aussi à des conflits nationaux et interethniques, à des guerres (tant militaires que tarifaires) et, dans certains cas, à de fortes caractéristiques de désintégration sociale, voire d’effondrement.
L’optimisme et l’espoir suscités par le capitalisme au milieu du 20e siècle, puis promis à nouveau après l’effondrement des anciens États staliniens en 1990-1991, ont été brisés. Toute perspective de retour à ces époques de relative stabilité capitaliste est un rêve utopique. Les caractéristiques de la révolution et de la contre-révolution sont maintenant en prise les unes avec les autres dans une lutte de longue haleine. Le défi auquel sont confrontés la classe ouvrière et les marxistes est de trouver le moyen d’avancer grâce à une alternative socialiste révolutionnaire.

Comme le CIO l’a expliqué dans ses thèses précédentes, le capitalisme est confronté à une série de crises multiples et interconnectées.

La nature de cette phase du capitalisme est caractérisée par le déclin relatif de l’impérialisme US, qui reste encore la plus grande puissance, et la montée du capitalisme d’État chinois, ainsi que par une crise prolongée de l’économie mondiale.

La crise économique et financière qui a frappé en 2007-2008 a marqué un tournant dans l’histoire du capitalisme. Malgré quelques reprises courtes et superficielles, une nouvelle période de crise prolongée a commencé. Toutes les tendances et indications majeures montrent une série prolongée de crises plus profondes, entrecoupées de reprises courtes, superficielles et faibles. Cela signifie des niveaux plus élevés d’exploitation et de misère pour la classe ouvrière et la classe moyenne dans le monde entier.
Une agonie prolongée du capitalisme ne signifie pas que de courtes périodes de croissance du PIB ne peuvent pas avoir lieu. La menace de récession ou de dépression est liée à l’explosion de la dette dans les principaux pays impérialistes.

La flambée de l’inflation, causée non pas par la hausse des salaires, mais par les politiques monétaires précédentes et alimentée par la montée en flèche des dépenses/de la dette publique pendant la pandémie, les problèmes de chaînes d’approvisionnement, la guerre en Ukraine et par d’autres facteurs, ne sera pas un problème de court terme pour la classe capitaliste. Alors que les niveaux de vie ont plongé ou chuté pour la masse de la population mondiale, les bénéfices des entreprises et la richesse des super-riches ont explosé.

On observe un développement accéléré et une concurrence intense dans de nouveaux domaines tels que l’IA, la robotique, l’informatique quantique et les nanotechnologies, par exemple. Les conséquences de ces développements, s’ils sont appliqués, auront des conséquences explosives puisque des millions d’emplois, y compris dans les secteurs d’emploi de la classe moyenne, seront remplacés par les nouvelles technologies. Les avancées techniques et scientifiques en cours peuvent entrer en collision avec la capacité du capitalisme à les appliquer de manière généralisée.

Elles ne constitueront pas la base d’une 4e révolution industrielle ouvrant une porte de sortie au capitalisme mondial. Pourtant, même lorsqu’elles seront appliquées, elles ne pourront pas surmonter les contradictions fondamentales du système. Au contraire, elles ne feront qu’aggraver les problèmes auxquels le capitalisme est confronté. Les pertes d’emplois massives, les perturbations et les bouleversements qui découlent de l’introduction de la technologie provoqueront des développements explosifs et potentiellement révolutionnaires. Cela posera également des questions cruciales pour la construction et l’organisation des syndicats et du mouvement ouvrier.

Les avancées scientifiques et technologiques qui ont eu lieu peuvent potentiellement avoir un effet extrêmement bénéfique pour l’humanité. Mais le capitalisme ne sera pas en mesure de l’appliquer au profit de la masse de la population. Un plan socialiste mondial démocratique serait énormément amélioré et bénéficierait du développement potentiel de la science et de la technique.

Ces machines mondiales, à une époque de protectionnisme et de réglementation nationale croissants, ne seront pas enclines à accepter les restrictions et les limitations qui leur sont imposées par les gouvernements ou les États nationaux. C’est une indication extrême de la manière dont le développement du capitalisme est entré en contradiction avec les limitations imposées par l’État-nation. Cela ne veut pas dire qu’un nouveau « super-impérialisme » prend forme, mais cela peut conduire à de nouveaux revirements de situation.

Les classes dirigeantes n’ont pas eu de politique ou de programme cohérent pour trouver une issue à la crise. Par le biais d’interventions et de dépenses publiques massives, notamment pendant la pandémie, elles ont pris des mesures pour empêcher l’effondrement de l’économie et, en fait, adopté une politique attentiste. Toutefois, cette politique a ses limites et n’empêche pas la crise qui sévit actuellement. Même en augmentant dépenses et intervention de l’État, en définitive, ils ne peuvent pas surmonter la contradiction entre la baisse du niveau de vie et la nécessité de créer un énorme marché supplémentaire pour préparer la voie à un boom économique, ce qu’ils ne peuvent faire.

Le processus de « démondialisation » se poursuit avec l’augmentation des conflits commerciaux et tarifaires. L’économie américaine est de plus en plus protectionniste. La limite de la « démondialisation » est incertaine au vu de l’interdépendance qui existe dans l’économie mondiale. Cependant, il existe une tendance prononcée dans cette direction. On voit une tendance à la balkanisation de l’économie mondiale. Des blocs instables et des réalignements se forment sur le plan géopolitique à la suite de la fin d’un monde unipolaire. Mais ils peuvent également s’effondrer en raison des tensions et divisions internes qui se développent.

La profondeur et la nature prolongée de la crise systémique dans laquelle le capitalisme se trouve maintenant signifient que la classe ouvrière et les marxistes doivent être préparés à des chocs et des bouleversements majeurs.

Une crise de direction politique existe au niveau mondial pour la classe ouvrière. Il y a également une crise de direction de la classe capitaliste.

Le déclin de l’impérialisme US et la montée de la Chine, ainsi que l’affrontement entre les deux, dominent la situation géopolitique mondiale.

Un caractère de l’époque se reflète dans la guerre en Ukraine qui est un produit de la nouvelle situation mondiale. Plus la guerre se prolonge, sans que l’on puisse en voir la fin, et plus les pertes russes augmentent, plus la montée de l’opposition à cette guerre et au régime de Poutine devient certaine. À un certain stade, elle peut constituer une menace existentielle pour le régime bonapartiste mafieux de Poutine. L’opposition la plus audible à ce stade provient d’éléments nationalistes extrêmes favorables à la guerre. La crainte de nombreux dirigeants occidentaux est que si Poutine tombe, à ce stade, son remplaçant ne soit pas plus pro-occidental mais plus nationaliste russe. Si un accord de paix est conclu, ce n’est pas seulement Poutine qui devra faire face à une crise. Zelensky devra également faire face à une opposition croissante en Ukraine à un certain stade.

L’opposition à Poutine se renforcera si la guerre s’éternise et si les cadavres s’accumulent. Alors que les deux parties se préparent à une offensive de printemps en 2023, une nouvelle phase plus sanglante du conflit est désormais possible. Il n’est pas exclu que, dans un scénario où Poutine serait confronté à de nouveaux revers et à une situation désespérée, il puisse tout de même sévir et utiliser une arme nucléaire tactique ou une autre arme de destruction massive. S’il le faisait, cela provoquerait des protestations massives et un mouvement anti-guerre de grande ampleur au niveau international. Le fait que Poutine ait mis cette question sur la table est le reflet de la nouvelle ère. Il n’est pas exclu qu’une telle arme soit déployée par un autre régime, encore plus despotique, comme la Corée du Nord, ou d’autres régimes «  scélérats «  qui pourraient prendre le pouvoir dans les années à venir.

La prolongation de la guerre entraîne déjà une certaine « lassitude de la guerre » dans certains pays. Les dirigeants occidentaux bourgeois vont augmenter la pression sur Zelensky pour négocier un « accord ». Ce ne sera pas facile et ce n’est pas la perspective la plus probable à court terme. Cependant, même si un accord est finalement signé officiellement, en pratique, sur le terrain, un conflit sanglant sous une forme ou une autre se poursuivra, surtout à l’est.

La guerre et son évolution ont eu un impact sur les relations géopolitiques. L’impérialisme US l’a utilisée pour tenter de se réaffirmer au niveau international. Cependant, les tensions et les divisions entre les puissances impérialistes occidentales se sont également ouvertes et deviendront plus grandes au fur et à mesure que la guerre se prolonge. Le rôle international réaffirmé des États-Unis pendant la crise est toutefois relativement limité et ne signale pas un retour au monde unipolaire du passé.

Les revers russes sur le champ de bataille ont conduit la Chine, l’Inde et d’autres États à adopter une approche plus prudente quant à leur soutien total à Poutine dans la guerre. Cependant, ils ne l’ont pas non plus condamné. Sur le plan économique, les liens entre la Russie et la Chine se sont renforcés.
Le Congrès du Parti communiste chinois a marqué le paroxysme de la concentration du pouvoir entre les mains de Xi Jinping. La Chine a mis en place une forme particulière de capitalisme d’État. Cependant, cela a entraîné ses propres contradictions. La croissance d’une élite capitaliste, mais où l’État pouvait encore intervenir et prendre le contrôle d’entreprises en difficulté pour préserver ses propres intérêts, a inévitablement entraîné un conflit d’intérêts dans certains secteurs. Le degré d’intervention de l’État peut osciller, et le fera, en fonction de la situation.

Le développement de la crise intérieure en Chine peut avoir des conséquences majeures sur le plan international, notamment par rapport à la montée des tensions en mer de Chine méridionale. L’impérialisme US et occidental et la Chine se sont tous deux lancés dans un important renforcement militaire. Le Japon augmente également considérablement sa capacité militaire. Les tensions mondiales accrues, combinées à une crise intérieure en Chine, peuvent pousser Xi à intervenir et à tenter de ramener Taïwan dans le giron de la Chine continentale, ce qui attiserait le nationalisme chinois et provoquerait une collision militaire avec les États-Unis et l’impérialisme occidental.

La présidence de Biden a été marquée par des taux d’approbation très bas, car il n’a pas pris de mesures pour atténuer les conséquences de la crise sociale et économique. Les élections de mi-mandat, bien qu’elles aient donné une petite majorité aux Républicains à la Chambre des représentants, se sont soldées par un match nul entre les Démocrates et les Républicains. Biden a été présenté comme le président le plus pro-travailleur depuis Roosevelt. Pourtant, l’imposition d’un accord entre les syndicats et le patronat du Fret ainsi que l’interdiction d’une grève des chemins de fer montrent à quel point c’était creux. La soi-disant « gauche » des démocrates, comme Alexandra Occasio-Cortez, Sanders et d’autres, a capitulé et soutenu cette attaque contre les droits des travailleurs, révélant ainsi la vraie lâcheté de leur caractère.
L’augmentation du nombre de grèves et de victoires significatives dans les votes pour que les syndicats soient reconnus, y compris à l’usine automobile EV General Motors, indiquent le début d’un nouveau chapitre dans la reconstruction du mouvement ouvrier et une reprise de la lutte des classes.
Des régions du monde néo-colonial font face à un carnage. Les guerres se poursuivent en Éthiopie, en Syrie et ailleurs. Le Nigeria voit des affrontements ethniques et une tendance croissante à la désintégration sociale.

De manière cruciale, il y a eu des caractéristiques révolutionnaires extrêmement puissantes dans les multiples soulèvements de masse qui ont eu lieu, en particulier depuis 2019. Les mouvements en Équateur, au Chili, en Colombie et dans toute l’Amérique latine ont été accompagnés de soulèvements en Irak, au Soudan, au Liban et ailleurs.

Ceux-ci ont maintenant été rejoints par les soulèvements de masse, sans précédent par leur ampleur, au Sri Lanka, puis en Iran. Au Sri Lanka, l’appel à la grève générale a marqué une étape cruciale, tout comme les grèves qui ont eu lieu en Iran.

Cependant, ils ont tous également révélé les obstacles qui doivent être surmontés en matière d’organisation, de parti et de conscience politique. Ils ont tous revêtu un caractère spontané, ou semi-spontané, et n’avaient pas d’objectif politique clair. Les éléments spontanés ont d’abord eu un effet positif, dans la mesure où les anciennes organisations et les anciens dirigeants ne pouvaient pas retenir le mouvement. Cependant, dialectiquement, cela s’est transformé en son contraire, car les limites de la spontanéité ont permis à la classe dirigeante de garder le contrôle et de se maintenir au pouvoir.
Cependant, aucune des causes sociales et économiques sous-jacentes des crises qui ont provoqué ces mouvements n’ont été résolues. À un certain stade, les mouvements peuvent resurgir à un niveau encore plus élevé.

 

L’absence de direction socialiste révolutionnaire et d’organisation socialiste, et le rôle des dirigeants qui ont émergé, est un facteur décisif. Cependant, le caractère de ces mouvements reflète également le recul de la conscience politique en général qui a eu lieu. Ils se situaient à un niveau politique bien inférieur à celui des mouvements révolutionnaires qui ont eu lieu historiquement, par exemple dans les années 1920, 1930 ou 1970. Pendant ces mouvements, la conscience politique a progressé sur des questions spécifiques. La conscience politique n’est pas fixe ou statique et passera par de nombreux flux et reflux en fonction de la situation.

Les masses apprennent par l’expérience de la lutte, aidées par l’intervention du parti révolutionnaire. La couardise idéologique et programmatique de la soi-disant « gauche » dans cette période est flagrante. Ils n’ont présenté aucune contestation du capitalisme et ont en fait capitulé, souvent avec une politique du moindre mal.

L’Amérique latine en est l’exemple le plus frappant, avec de nombreuses leçons pour la situation internationale. Les soulèvements de masse qui ont balayé le continent ont fait place à une deuxième « vague rose » avec l’élection d’une série de gouvernements de « gauche » au Chili, au Pérou, en Colombie et maintenant Lula au Brésil. Les victoires électorales sont un sous-produit des soulèvements révolutionnaires qui les ont précédées. Cependant, sans exception, les nouveaux gouvernements de « gauche » sont moins radicaux que ceux de la première « vague rose ». Et ce, bien que la crise soit plus profonde et plus grave. Une plus grande désillusion à l’égard de ces nouveaux gouvernements de « gauche » comporte un avertissement que la droite et l’extrême droite peuvent rebondir ou faire de nouveaux progrès, ce à quoi le mouvement ouvrier doit se préparer.

Ces trahisons de la « gauche » en Amérique Latine sont une répétition de celles de la soi-disant « nouvelle gauche » en Europe mais à une échelle plus large. On le voit clairement avec SYRIZA en Grèce en 2015, puis la capitulation de PODEMOS en Espagne, du Bloc de Gauche au Portugal et ailleurs. Cela a conduit à la disparition de ces partis et, en Grande-Bretagne, à une déroute des corbynistes au sein du parti travailliste à cause de leur recul et de leur incapacité à mener une lutte jusqu’au bout et à leur recherche d’un compromis avec la droitisation du parti.

La nécessité de nouveaux partis ouvriers de masse et la double tâche de les construire, et en même temps de construire des partis révolutionnaires, est plus actuelle que jamais étant donné la profondeur de la crise. Cependant, ce processus est extrêmement long jusqu’à présent et peut continuer à l’être, reflétant l’effondrement idéologique de la gauche. Lorsque les « nouveaux partis » ont échoué – comme en Grèce ou en Espagne – cela peut rendre plus compliquée l’idée de construire un autre nouveau parti. Le refus de la « gauche » de vouloir le faire – Corbyn en Grande-Bretagne, Mélenchon en France, Sanders aux États-Unis – complique également le processus. Pourtant, une couche peut tirer des leçons de ces expériences et aider à préparer le terrain pour que de nouveaux partis se développent à un certain stade.

Cependant, la construction d’un parti révolutionnaire ne dépend pas de cela. Nous ne devons pas attendre que de nouveaux partis de masse se développent. Pendant cette crise, une couche peut être gagnée directement au programme et aux idées du socialisme révolutionnaire. En définitive, le destin de l’humanité repose désormais sur la réalisation de la révolution socialiste. C’est la seule voie pour éviter la barbarie que le capitalisme offrira dans les décennies à venir.