Algérie : entre guerres de pouvoir et insurrections populaires

Cet été, l’Algérie a connu des massacres et des faux barrages dans l’ouest du pays. Selon la presse algérienne, près de 200 morts, attribués par le gouvernement aux GIA. Après quelques moments de répit la population algéroise a connu un attentat dans la basse Casbah, au marché El Kama.

Article paru dans l’Egalité n°89

Durant l’été, un rapport de la commission d’enquête nationale, rédigé par un avocat et professeur de droit, Mohand Isaad a révélé des points gênants pour le pouvoir. Les conclusions accusent la gendarmerie algérienne des violences. Le rapport est clair sur les causes : « Les causes profondes résident ailleurs : sociales économiques, politiques identitaires et abus de toute sorte ». Une peur plus profonde émerge du texte, celle d’un véritable soulèvement populaire de la région :  » le directeur général de la Sûreté nationale a même laissé prévoir une insurrection « .

Retour au pouvoir des « éradicateurs » de 1992…

D’ex-ministres et des généraux s’activent depuis quelques temps contre un retour du  » péril islamiste « . Khaled Nezzar et Larbi Belkheir, respectivement ministre de la Défense et de l’Intérieur en janvier 1992, étaient les fers de lance, à l’époque, de l’arrêt du processus électoral face au FIS. Aujourd’hui ils reprennent cette campagne. K. Nezzar a reçu le soutien, face à la presse, de deux personnalités du régime qui accréditent implicitement la menace intégriste. Ces hommes entourent de plus en plus officiellement le président. Aujourd’hui Larbi Belkheir est l’homme-clé du pouvoir, il est directeur de cabinet de Bouteflika.

…au service d’une politique ultra-libérale !

Depuis août 2001, on note une nette accélération des privatisations dans le pays. La situation économique est peu favorable : 200 000 emplois et 60 entreprises publiques sont menacés. Surprenant ! Il y a un an à peine, Ahmed Benbitour, chef du gouvernement, démissionnait en raison des projets de casse des holdings publics et de la réforme de la gestion des capitaux marchands !

Aujourd’hui, L. Belkheir peut, sans problème, prendre l’initiative de l’achèvement du programme de privatisations et de démantèlement des services et des entreprises d’Etat. Les projets passent comme une lettre à la poste : Bouteflika a signé les ordonnances permettant d’appliquer ces casses dans les plus brefs délais.

Bouteflika rencontrait, début juillet 2001, les responsables économiques américains pour acheter de l’armement et vendre du pétrole, alors même qu’en Kabylie, les algériens luttaient pour une meilleure vie. Quelle ironie ! Sa visite occasionne une interview, le 7 juillet 2001 par Algéria Interface du président du groupe américain de travail Maghreb. C’est assez instructif sur les projets capitalistes pour le pays et bien loin des questions humanitaires…

Selon lui, le gouvernement Bouteflika « ne présente pas l’image d’une équipe cohérente et soudée ». Mais « Je vois [la] visite [de Bouteflika] plutôt comme le feu vert pour une relance des échanges et des investissements en direction de l’Algérie et comme un symbole du soutien du gouvernement américain ». Il finance, en fait, les réformes par un plan spécial appelé Eisenstat.

Le représentant US achève son entretien avec une clairvoyance empreinte de cynisme. A la question de savoir si les événements en Kabylie pourraient « infléchir les relations » entre les deux pays, il répond : « Je ne le crois pas. Je ne crois pas que le sort des Berbères puisse se détériorer davantage, la situation ne peut que s’améliorer » ! Les investissements américains ne cessent de croître dans la région et semblent avoir de l’avenir avec la politique de Bouteflika.

L’Algérie des luttes toujours vivante !

Face aux privatisations, le syndicalisme algérien est secoué. L’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA) ne réagit pas. Le plus souvent de connivence avec le gouvernement, le syndicat hégémonique – et unique pendant longtemps – lorsqu’il mobilise, est très vite débordé par sa base. Sa crédibilité en tant qu’outil de défense des salariés est plus que remise en cause. D’autres syndicats existent. Le Syndicat National des personnels de l’Administration publique (SNAPAP) a d’ailleurs lancé un mot d’ordre de grève de la faim de 15 jours afin de faire respecter le droit au pluralisme syndical inscrit dans la Constitution.

Les grèves de salariés existent mais ne sont pas coordonnées. Le fort taux de chômage dans le pays et le désœuvrement qu’il engendre notamment dans la jeunesse nombreuse explique les mouvements qui ont secoué le pays cet été. Le gouvernement aujourd’hui ne peut donc plus taire certaines vérités.

Quant à la mobilisation en Kabylie , elle ne s’est pas tue. En août, le très médiatisé Festival de la Jeunesse, à Alger, n’a pas pu la cacher. A Idri, le 20 du même mois, une manifestation bloquait l’ensemble de la ville regroupant 100 000 personnes selon la police et 1 million selon les organisateurs.

La population algérienne connaît une situation politique sociale et économique sans précédent et dramatique. Dans la nouvelle période de crise économique qui s’ouvre, les capitalistes mondiaux seront encore moins scrupuleux face à Bouteflika. Les menaces du tribunal de La Haye font pâle figure face aux enjeux politiques du Sahara occidental et au pétrole.

Seule la population algérienne peut changer la donne. Les revendications issues de la jeunesse, celle du peuple kabyle et celles des salariés qui luttent contre les privatisations vont dans le même sens. Mais aucune force politique dans le pays ne présente une alternative crédible face à Bouteflika, et les capitalistes le savent !
Il faut construire une force clairement anticapitaliste, démocratique. Cette force doit permettre d’armer politiquement les jeunes et les travailleurs d’Algérie qui ont aujourd’hui repris le combat. Elle doit s’appuyer sur les structures de lutte qui existent déjà en les démocratisant. Débarrassés de la caricature du modèle stalinien, les algériens peuvent décider, contrôler la production. Se battre pour une alternative résolument socialiste n’est pas une utopie en Algérie. La Gauche révolutionnaire, section française du Comité pour une Internationale ouvrière est prête à participer à toute initiative permettant la création de cette force.
Algéria-interface@com , rapport de la commission d’enquête nationale sur les événements en Kabylie en juin 2001