Afrique du Sud : Bilan des élections de 2014

WASP-Logo-Final_postPar Weizman Hamilton, Secrétaire Général du WASP

L’ANC, le Congrès national africain, a remporté les élections avec 62% des voix. Cela représente une légère baisse de soutien, une perte de 3,5% qui représente quelques centaines de milliers de voix en chiffres absolus. Étant donné le mandat de 5 ans rempli de scandales du président Zuma, dont le massacre de Marikana (où la police avait tiré sur des mineurs en grève, causant plus de 30 morts) et le Nkandla-gate (autour de la résidence privée du président Jacob Zuma), les stratèges de l’ANC doivent pousser un grand soupir de soulagement.

Cela masque toutefois que l’ANC fait face à un rejet important. Plus de dix millions d’électeurs ne se sont pas inscrits pour aller voter et six millions de personnes s’étaient bien enregistrées mais ne se sont pas rendues aux urnes. 16 millions de personnes n’ont donc pas pris part à ces élections. Les données correspondantes pour les années 2004 et 2009 étaient respectivement de 12 millions et de 12,4 millions. L’ANC, dans les faits, est sur le point de composer un gouvernement minoritaire qui n’a reçu le soutien que de 11 millions d’électeurs, à peine 32%.

L’ANC n’a pas abordé ces élections avec la même complaisance que les fois précédentes. Ils ont tardivement réalisé que leur position dominante, particulier parmi la classe ouvrière et les pauvres, ne devait pas tout simplement être tenue pour acquise. La machine électorale de l’ANC a été huilée et est passée à la vitesse supérieure. Même s’il n’y a pas eu de corruption généralisée, cela ne signifie pas que l’ANC a joué le jeu de manière honnête durant la campagne électorale. L’ANC confond volontairement son rôle de parti politique et son contrôle gouvernemental de l’appareil des services sociaux. Le budget pour les colis alimentaires aux plus démunis a été fortement augmenté les mois ayant précédé les élections, et les bénéficiaires ont bien sûr entendu qu’il s’agissait d’un cadeau de l’ANC, qui a passé sous silence que cela provenait en fait des caisses de la collectivité. Les 12 millions de personnes qui reçoivent des subventions sociales (retraites, pensions d’invalidité, aide à l’enfance) entendent régulièrement que ces allocations leur sont versées  »par l’ANC ». L’ANC répand aussi le mensonge selon lequel un échec électoral pour l’ANC signifierait le retour du système de ségrégation raciste de l’apartheid. Particulièrement parmi les aînés, beaucoup n’ont pas voté pour Zuma mais bien pour le « parti » de la libération qui a mis fin à l’apartheid .

Le réseau de patronage de l’ANC a été utilisé à plein rendement. La chaîne publique SABC a d’ailleurs retiré à la dernière minute deux publicités télévisées de l’opposition – de l’Alliance démocratique (DA) et des Economic Freedom Fighters (EFF) – au motif fallacieux qu’elles « inciteraient à la violence ». Le jour du scrutin, aux stations de vote, il a été rapporté que l’ANC distribuait de la nourriture gratuite et des t-shirts afin de corrompre les pauvres et les désespérés. En Afrique du Sud, de vastes sommes d’argent sont dépensées pour les élections, sans qu’aucune règle n’existe sur la publication des finances des partis. Nous pouvons raisonnablement supposer que d’importantes sections de la classe capitaliste ont versé des sommes gigantesques dans la campagne de l’ANC. La direction de l’ANC est en réalité un comité exécutif de la nouvelle classe capitaliste noire. Plus de 50% des membres du Comité exécutif national de l’ANC sont des administrateurs de sociétés importantes, et un tiers sont administrateurs de plus d’une entreprise, un sur dix ayant des mandats à la direction de cinq entreprises ou plus. 72 % des membres de la direction de l’ANC sont détenteurs d’actions, 50 % possèdent des actions dans plus d’une entreprise et 18 % détiennent des actions de plus de cinq sociétés. Quinze membres de la famille Zuma sont impliqués dans la gestion de 134 entreprises, dont 83 ont été mises en place après l’arrivée de Jacob Zuma à la présidence. Le Vice-président de l’ANC, Cyril Ramaphosa, possède une fortune estimée à plus de 6 milliards de rands sud-africains (573 millions de dollars).

Le Workers and Socialist Party (WASP) avait relevé l’énorme défi de se présenter contre ce mastodonte avant même d’avoir eu son premier anniversaire en tant que parti. Nous sommes bien sûr déçus du nombre de voix limité que nous avons obtenu, et qui se situe en deçà de nos attentes. Nous avons reçu un peu plus de 8000 voix (0,05%). Ce faible résultat électoral ne saurait toutefois mettre de côté les énormes progrès réalisés par le WASP dans sa courte existence, notamment avec la construction de poches de soutien parmi la classe ouvrière. Peu de gens ont voté pour nous, mais cela représente la couche la plus consciente des travailleurs. Nous avons déjà reçu des appels téléphoniques de délégations de travailleurs qui voulaient rassurer la direction du WASP et encourager le parti à poursuivre la tâche de construire «leur» parti.

Le manque de ressources pour mener la campagne a constitué un problème fondamental. Le combat destiné à réunir les fonds nécessaires à payer les énormes dépôts électoraux afin de pouvoir déposer une liste a signifié que nous avons passé plus d’un mois sans un sou avant de lancer la deuxième phase de collecte de fonds pour le matériel électoral et notre fonds de campagne. Il ne fait aucun doute que si nous avions eu les ressources nécessaires pour atteindre plus de gens, notre soutien électoral aurait été plus élevé. En outre, les médias dominants ont décidé dès ce début d’année que le récit des élections se limiterait à une course à trois chevaux entre l’ANC, la DA et EFF. Le WASP a été exclu de toute couverture médiatique sérieuse. Même le lancement de notre manifeste politique n’a pas été couvert, ce qui n’a pas empêché les médias de parler du lancement de la campagne d’un petit parti religieux qui a au final reçu bien moins de voix que le WASP.

Mais il y a d’autres facteurs politiques importants à prendre en considération. Malheureusement, le WASP n’a pas été en mesure de consolider sa position parmi les mineurs. Malgré le rôle crucial joué par les fondateurs du WASP – le Democratic Socialist Movement (section sud-africaine du Comité pour une Internationale Ouvrière) – dans le mouvement des mineurs contre le syndicat national des mineurs affilié à l’ANC (le NUM) et qui les a fait rejoindre le syndicat des mineurs auparavant marginal AMCU, la direction de l’AMCU a tout fait pour éliminer notre influence parmi les mineurs. Des membres et sympathisants du DSM et du WASP ont été attaqués et expulsés du syndicat, ce qui a fréquemment conduit à la perte de leur emploi. Les dirigeants de l’AMCU ont diffusé le mensonge que le WASP est derrière le nouveau syndicat jaune et anti-grève, et ils ont honteusement été aidés dans cette tâche par de minuscules forces de  »gauche » jalouses. L’Union Workers Association (WAU) a tenté de profiter de la démoralisation parmi les mineurs dans le cadre d’une grève de trois mois sans salaire. Le WASP s’est donc retrouvé face à l’hostilité de la direction de l’AMCU et au  »resserrement des rangs » bien compréhensible des mineurs au beau milieu d’une grève à la vie à la mort. Le WASP a eu très difficile de mener campagne dans le secteur des mines de platine, quelques camarades ont même dû faire face à des menaces de mort.

La position du National Union of Metalworkers of South Africa (NUMSA, Union nationale des métallurgistes d’Afrique du Sud) a également entraîné une situation compliquée. Après avoir pris la décision audacieuse et historique en décembre dernier de ne pas faire campagne pour l’ANC, décision prise lors d’un Congrès extraordinaire, la direction du NUMSA, malheureusement, n’a pas réussi à développer cette position en une alternative positive au-delà de la promesse de fonder un parti des travailleurs d’ici 2016. Cela a ouvert un espace important pour que le WASP parvienne à gagner des militants clés des métallos, des délégués syndicaux et des responsables régionaux dont certains ont été parmi nos militants les plus actifs, mais la faiblesse de la direction a eu un impact sur l’ensemble des membres. Beaucoup ont différé leurs attentes pour une alternative de la classe ouvrière jusqu’à après ces élections. Malheureusement, la direction du NUMSA n’a fait aucune recommandation de vote à ses membres.

Pendant des mois, le WASP a fait campagne pour que le NUMSA ne manque pas l’occasion historique que les élections de 2014 représentaient dans le cadre de la construction d’une tête de pont pour le véritable socialisme en essayant d’obtenir une poignée de sièges au parlement. Nous avons invité le NUMSA à prendre place à la direction du WASP et à présenter ses propres candidats aux élections. Malheureusement, la direction du NUMSA n’a pas retenu cette offre. Le WASP a néanmoins établi une base importante parmi les membres de ce syndicat.

L’hésitation de la direction du NUMSA a également fourni une excuse au reste de la gauche sud-africaine pour ne pas soutenir le WASP pour  »soutenir le NUMSA ». Le Democratic Left Front, un  »mouvement » d’intellectuels de la classe moyenne, a fait écho au NUMSA et s’est abstenu de donner une consigne de vote claire aux électeurs en préférant  »soutenir ceux qui veulent jeter leur bulletin de vote, le sauvegarder pour un futur parti des travailleurs de masse et / ou voter pour des forces anticapitalistes comme première étape vers la construction d’une plate-forme électorale anticapitaliste pour les élections de 2016. » Ce groupuscule parle d’anticapitalisme là où il faut parler de socialisme et de plateforme là où il faut parler de parti!

Pour concrétiser cette position confuse jusqu’à sa conclusion logique, les forces académiques sympathisantes de ce groupuscule ont lancé en avril une campagne de boycott pour voter « Non », malheureusement soutenue par Ronnie Kasrils et d’autres vétérans respectés des luttes qui ont rompu avec l’ANC. Cette campagne a appelé les électeurs à s’abstenir ou à voter pour un petit parti. Le WASP a discuté avec Ronnie Kasrils et a averti que cette campagne était source de confusion et n’aurait pas d’effet au-delà d’une  »victoire morale », les bulletins annulés ne faisant en fait que magnifier le poids des suffrages exprimés pour l’ANC.

Les critique de tels  »socialistes » de salon ne peuvent pas être prises au sérieux. Même s’ils chantent aujourd’hui au sujet de leur prophétie auto-réalisatrice, cela ne peut passer sous silence le rôle audacieux et héroïque de ceux qui ont agi plutôt que de s’effacer.

Ces critiques ont trouvé un écho, y compris à l’échelle internationale, chez de petits groupes qui se sont emparés du faible résultat du WASP pour l’attaquer ainsi que le Comité pour une Internationale Ouvrière. Ces petits groupes se sont mis de côté dans la lutte pour construire un nouveau parti des travailleurs et beaucoup d’entre eux n’ont fait aucun appel de vote clair dans ces élections.

Enfin, le WASP avait une concurrence sérieuse avec les Economic Freedom Fighters (EFF). L’EFF a engrangé un bon résultat et gagné plus d’un million de voix, soit près de 30 députés, sans mentionner un nombre similaire de députés provinciaux. Ce parti de gauche populiste ayant un programme de gauche portant sur la nationalisation et l’expropriation des terres, a lancé un appel à la jeunesse et aux pauvres. Son chef, Julius Malema, est un ancien dirigeant de la ligue des jeunes de l’ANC qui a été expulsé, et il a été en mesure d’attirer à lui d’importantes sections de la ligue de la jeunesse. Ses réseaux au sein de la nouvelle élite noire à l’intérieur de l’ANC lui a fourni les ressources nécessaires pour mener une campagne efficace. Le WASP appelle les membres de l’EFF à être ouverts à discuter du programme de l’EFF, des tâches qui font face à la classe ouvrière et du rôle des dirigeants de l’EFF au sein du parlement et face à la pression incessante de la classe capitaliste.

Des discussions ont eu lieu en août dernier entre le WASP et l’EFF, où nous avions proposé de constituer un bloc électoral, de déposer des listes communes de candidats et d’unifier le vote anti-ANC, un objectif stratégique clé. D’importantes différences existaient toutefois entre le WASP et l’EFF au sujet de la nationalisation, du socialisme et d’autres questions cruciales et nous défendons notre droit de débattre de ces questions avec la classe ouvrière et les pauvres. Dans le sillage du massacre de Marikana, il faut aider la classe ouvrière dans la clarification des tâches nécessaires à la transformation socialiste de la société.

Malheureusement, l’EFF a rejeté notre proposition d’un bloc électoral, a exigé la liquidation effective du WASP au sein de l’EFF et qu’aucune discussion ne porte sur questions programmatiques et politiques. Le WASP n’avait pas d’autre choix que de se présenter indépendamment suite à cette réponse de la direction de l’EFF.

L’EFF a réalisé un important pas en avant, sans avoir cependant fait aussi que ce qu’ils avaient espéré. Cela s’explique en partie par les attentes exagérées semées par mes dirigeants parmi leurs membres, mais cela reflète aussi le scepticisme de la classe ouvrière envers l’EFF. Le NUMSA par exemple, a explicitement rejeté l’EFF à son congrès extraordinaire de décembre en raison de son incapacité à appeler au contrôle des travailleurs de l’industrie nationalisée et à leur position équivoque sur la nécessité du socialisme. Si le WASP et l’EFF avaient pu parvenir à un accord de principe, un tel bloc électoral aurait pu agir comme un pont pour la classe ouvrière et cela aurait donné à l’ANC une correction sanglante. Malheureusement, cette occasion a été gaspillée.
Même si nous n’avons pas réussi à combler le vide à la gauche de l’ANC, nous avions raison de nous présenter dans ces élections. Nous avons joué un rôle de pionnier et posé les fondations du développement d’un parti des travailleurs parti basé sur un programme socialiste. Ce processus se poursuivra dans la période à venir.

Nous avons gagné des positions de soutien cruciales pour les idées du socialisme révolutionnaire parmi la classe ouvrière, les communautés locales et les jeunes, et allons consolider ces positions à la suite des élections. Nous avons toujours dit que le WASP est d’abord et avant tout un parti de lutte, et une étape seulement dans la construction d’un parti de masse des travailleurs. Nous allons maintenant tourner notre attention vers une campagne pour un nouveau parti de masse des travailleurs et pour unifier les protestations sociales afin de construire un puissant mouvement de la jeunesse socialiste. Le WASP va s’engager dans le débat avec le NUMSA et d’autres forces dans le cadre de la lutte pour franchir les prochaines étapes de la construction d’un nouveau parti de masse des travailleurs.

La majorité obtenue par l’ANC dans ces élections ne représente pas la fin du processus. Le nouveau gouvernement devra faire à la crise sociale qui existe actuellement. Le correspondant de la BBC a résumé les perspectives de ces autorités capitalistes en disant : « L’ANC est susceptible d’utiliser son mandat impressionnant pour son Plan national de développement – en rejetant la nationalisation et en mettant l’accent sur les investissements et les infrastructures. » Cela signifie plus d’attaques néolibérales et plus de lutte de classe. Le WASP interviendra pour aider à construire une alternative socialiste de masse.