Gabon : la vague actuelle de coups d’État en Afrique montre l’échec du capitalisme et le déclin de la confiance en la démocratie bourgeoise

Non à tous les pillages, civils ou militaires ! Les travailleurs doivent construire un mouvement pour les droits démocratiques et la transformation socialiste de la société !

« Au nom du peuple gabonais », les militaires putschistes ont déclaré le 30 août 2023 qu’ils avaient décidé de « mettre fin au régime actuel ». Il n’y a pas eu de forum ouvert où les chefs militaires ont obtenu le mandat du peuple gabonais. Mais l’annonce a eu un soutien de la population. De nombreuses personnes, en liesse, sont descendues dans les rues. Jules Lebigui, un chômeur de 27 ans qui s’est joint à la foule à Libreville, a bien résumé l’état d’esprit qui régnait. « Je marche aujourd’hui parce que je suis heureux. Après presque 60 ans, les Bongos ne sont plus au pouvoir. » (Reuters, 30 août.)

Article de Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement, organisation sœur de la Gauche révolutionnaire au Nigeria. Publié le 3 septembre sur socialistnigria.org

Le coup d’État, qui a eu lieu quelques heures après la déclaration officielle de la victoire d’Ali Bongo à l’élection présidentielle du 26 août – qui devait entamer son troisième mandat, malgré son état de santé précaire – a mis fin à sa dynastie politique. Ali Bongo est arrivé au pouvoir en 2009 pour remplacer son père Omar qui avait gouverné le pays depuis 1967 jusqu’à sa mort. Entre le père et le fils, la dynastie Bongo a dirigé ce pays d’Afrique centrale, riche en pétrole mais frappé par la pauvreté, pendant plus d’un demi-siècle !

Les élections générales de samedi dernier, qu’Ali Bongo a officiellement remportées avec 64,27 % des suffrages exprimés, ont été décrites comme manquant de transparence. Au sens propre, cependant, il s’agissait d’une véritable farce. Les observateurs internationaux n’ont pas été autorisés à surveiller le scrutin et certains médias audiovisuels étrangers ont été suspendus. Les autorités gabonaises ont également coupé Internet et imposé un couvre-feu nocturne dans tout le pays après le scrutin. Les deux élections précédentes d’Ali, en 2009 et 2016, ont également été largement contestées et considérées comme frauduleuses, ce qui a déclenché des manifestations et une répression qui a fait de nombreux morts et dégâts matériels.

Sachant parfaitement qu’il n’y a pas de soutien significatif parmi la masse du peuple gabonais, Ali Bongo, dans une vidéo réalisée alors qu’il était en résidence surveillée, a appelé ses amis du monde entier à faire du bruit. Cette vidéo virale est devenue la cible de la plaisanterie sur les médias sociaux.

Pour de nombreux Gabonais, il n’y a pas de différence entre un coup d’État militaire et les élections truquées qui placent la même famille au pouvoir depuis des décennies. En outre, la majorité des quelque 2,55 millions d’habitants n’ont pas bénéficié de l’énorme richesse du pays au cours des 55 années pendant lesquelles les Bongos ont été au pouvoir. Le pays est riche en pétrole, en cacao et possède le deuxième plus grand gisement de manganèse au monde. Le manganèse est un minéral utilisé dans la fabrication de l’acier et des batteries.

Militaires gabonnais en 2016

Pillage des dirigeants

Pendant sa présidence, Bongo père avait la réputation d’un kleptocrate – l’un des hommes les plus riches du monde, avec une fortune volée à la richesse pétrolière du Gabon (France24, 30 août). Son fils, Ali, a également été mis en cause dans de nombreux rapports comme étant manifestement corrompu. Les enquêteurs français ont inculpé quatre des frères et sœurs de Bongo pour détournement de fonds et corruption, et pensent qu’Omar et Ali Bongo ont sciemment bénéficié d’un empire immobilier frauduleusement acquis pour une valeur d’au moins 85 millions d’euros (France 24). Toutefois, cette enquête aurait été abandonnée depuis.

Malgré leur pillage des richesses du Gabon, les Bongos ont continué à bénéficier du patronage et du soutien de la France. Omar Bongo était considéré comme un pilier de la Françafrique – la mainmise économique et militaire de la France sur ses ex-colonies – tandis qu’Ali a récemment été célébré par le président français, Macron, lors d’une visite d’État à Paris.

Au-delà de la famille Bongo, les richesses du pays, notamment pétrolières, sont accaparées par quelques élites voleuses. Les recettes d’exportation de pétrole du pays s’élevaient à 6 milliards de dollars en 2022, selon l’Administration américaine d’information sur l’énergie. Tragiquement, bien que le pays ait l’un des revenus annuels moyens par habitant les plus élevés d’Afrique subsaharienne – près de 9 000 dollars en 2022, selon la Banque mondiale – plus d’un tiers de sa population vivrait dans la pauvreté (BBC, 30 août).
Par conséquent, le soutien au coup d’État reflète l’échec du capitalisme dans un pays néocolonial dont l’élite dirigeante est rétrograde et corrompue, ainsi que la désillusion croissante de la démocratie bourgeoise à garantir les besoins de base de la grande majorité en dépit d’énormes ressources minérales. L’un des Gabonais en liesse, Hermann Ngoulou, a déclaré à AP : « C’est l’expression du mécontentement populaire. (…) Le pays connaît une crise profonde à tous les niveaux en raison de la mauvaise gouvernance, de l’augmentation du coût des denrées alimentaires (et) de la cherté de la vie » (AP, 31 août).

Mais cette situation n’est pas propre au Gabon, comme le montre la résurgence des coups d’État militaires en Afrique, en particulier dans les régions de l’ouest et du centre, où il y a eu huit prises de pouvoir militaires au cours des trois dernières années. Comme le révèle un article de l’AP, « au moins 27, soit la moitié, des 54 pays d’Afrique figurent parmi les 30 pays les moins développés du monde, selon le dernier indice de développement humain des Nations unies. La plupart se trouvent en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, souvent dotés de ressources naturelles dont les citoyens ordinaires voient peu les riches profits » (AP, 31 août).

Ce n’est donc pas un hasard si les enquêtes 2023 du réseau de recherche Afrobarometer ont révélé que le nombre de personnes soutenant la démocratie et les élections en Afrique a chuté. Seuls 68 % des personnes interrogées dans 34 pays préfèrent la démocratie à tout autre système de gouvernement, contre 73 % il y a dix ans (AP, 31 août).

Bien que la baisse soit relativement faible, elle souligne l’inversion d’une tendance passée, qui allait vers un régime civil. Mais au Mali, l’un des pays qui a ouvert la voie à un récent effet domino de coups d’État en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, le chiffre est frappant. 82 % des gens font « un peu » ou « beaucoup » confiance à l’armée (BBC, 29 août).

Ce résultat reflète en fait la situation plus complexe de l’Afrique de l’Ouest francophone, où les reproches, palpables, aux dirigeants capitalistes locaux corrompus et leur inefficacité, au milieu de la vague croissante d’insurrection djihadiste dans la région, s’entrecroisent avec le ressentiment historique concernant le rôle de l’ancien maître colonial, la France, qui soutient les dirigeants corrompus, produisant ainsi une puissante ambiance anticoloniale que les aventuristes militaires locaux exploitent pour leurs propres objectifs. À la remorque des putschistes se trouve la Russie de Poutine qui, agissant auparavant par l’intermédiaire des mercenaires de Wagner, tente de tirer parti de la situation pour s’implanter dans la région.

« La contagion de l’autocratie »

Dans de nombreux pays comme le Nigeria, la participation électorale a progressivement diminué. Lors de la dernière élection présidentielle, seuls 27 % des électeurs ont voté. Cela suggère un manque de confiance massif dans les élections bourgeoises. En l’absence d’une véritable alternative ouvrière de masse dans un contexte de mécontentement massif, la possibilité d’un coup d’État au Nigeria, bien qu’elle soit faible à l’heure actuelle, ne peut être exclue à l’avenir. Toutefois, un coup d’État au Nigeria risque fort de plonger le pays dans la guerre civile et la désintégration, compte tenu de la dégénérescence de la question nationale, non résolue, et de l’escalade de la politique identitaire autour de questions ethniques ces derniers temps.

Entre-temps, en réaction à la situation au Gabon, le président du Nigeria, Bola Tinubu, dont l’élection a été marquée par des truquages et des manipulations, et dont la victoire officielle est actuellement contestée par des opposants devant les tribunaux, a parlé d’une « contagion de l’autocratie » se propageant à travers l’Afrique.

Par « contagion de l’autocratie », M. Tinubu entendait apparemment l’épidémie de coups d’État qui sévit actuellement en Afrique. Mais bon nombre des dirigeants africains avec lesquels il siège à la CEDEAO et à l’Union Africaine, et avec lesquels il envisage de discuter de ce malaise, sont des autocrates, qui ont réécrit les constitutions de leurs pays respectifs et qui organisent périodiquement des farces, qualifiées d’élections, pour se perpétuer au pouvoir. Par conséquent, au-delà de la façade des élections, ils ne sont pas fondamentalement différents des juntes militaires.

Certains de ces autocrates vivent déjà dans la crainte mortelle d’un coup d’État militaire qui pourrait les chasser du pouvoir. Ainsi, quelques heures après l’annonce du coup d’État au Gabon, le président du Cameroun voisin, Paul Biya, au pouvoir depuis 40 ans, a remanié son commandement militaire, et le président rwandais Paul Kagame a « accepté la démission » d’une douzaine de généraux et de plus de 80 autres officiers supérieurs de l’armée. Kagame est au pouvoir depuis 2000 et a modifié la constitution de manière à pouvoir rester au pouvoir au moins jusqu’en 2034.

Sentiment anti-français

Toutefois, l’un des principaux éléments de la récente vague de coups d’État en Afrique est un sentiment très fort contre l’impérialisme français. Bien que le coup d’État au Gabon, contrairement à ceux du Mali, du Niger et du Burkina Faso, n’en soit pas un exemple flagrant, le fait qu’il s’agisse d’un autre coup d’État dans une ancienne colonie française, le huitième en trois ans et un peu plus d’un mois après celui du Niger, a contribué à maintenir la question du néo-colonialisme français sur le devant de la scène. En effet, le 30 août, un présentateur du bulletin d’information d’Al Jazeera a qualifié la situation de « printemps francophone ». Bien qu’il s’agisse d’une série d’actions militaires conspiratrices et non du « printemps arabe » de 2011, qui était une vague de soulèvements de masse indépendants de la population contre différents régimes autoritaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il bénéficie également d’un soutien et d’une acceptation de masse.

La France est vue comme le soutien de dirigeants corrompus qui bénéficient de sa protection en échange d’une exploitation économique et d’un contrôle politique continus, y compris d’une intervention militaire directe dans les affaires intérieures. Cet arrangement post-colonial, appelé péjorativement Françafrique, a été mis en place par la France pour protéger sa sphère d’influence dans les pays africains riches en ressources contre les intérêts concurrents des puissances impérialistes rivales. En conséquence, l’économie, y compris l’exploitation des ressources minérales, est dominée par les entreprises et les multinationales françaises. La France est donc directement liée aux échecs économiques de ces dirigeants africains.

Un autre élément de l’accord est la monnaie de 14 pays francophones d’Afrique occidentale et centrale, le franc CFA, qui est indexé sur l’euro, ce qui oblige ces pays à déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor français. Cette situation, ainsi que l’existence de bases militaires françaises et d’autres pays occidentaux, est considérée comme une relique coloniale et, par conséquent, comme une source de colère croissante dans de nombreux pays francophones, en particulier parmi les jeunes.

Coup d’État opportuniste

Manifestement, il existe un conflit interne au sein de l’élite dirigeante capitaliste, y compris les hauts gradés de l’armée. Mais c’est le mécontentement des masses à l’égard des dirigeants politiques que les officiers militaires opportunistes, dont certains sont de véritables membres de l’élite des voleurs, utilisent pour accéder au pouvoir. Par exemple, le général Oligui Nguema, le chef du coup d’État gabonais, tout comme le général Tchiani du Niger, était à la tête de la Garde républicaine, une unité militaire d’élite responsable de nombreuses actions répressives du président Bongo. Il est le cousin germain d’Ali Bongo et un ancien aide-de-camp de son père.

Impliqué dans une enquête menée en 2020 sur les avoirs de la famille Bongo aux États-Unis, Nguema aurait investi dans l’immobilier, payant en espèces plus d’un million de dollars. Il n’a pas bronché lorsque les journalistes l’ont interrogé sur ces propriétés. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une affaire privée. « Je pense que, que ce soit en France ou aux États-Unis, une vie privée est une vie privée qui doit être respectée » (Al Jazeera, 30 août 2023).

Alternative socialiste

D’une manière générale, il est peu probable que la qualité de vie de la grande majorité des Gabonais s’améliore, car le nouveau gouvernement militaire appliquera fondamentalement les mêmes politiques et dispositions capitalistes qui aggraveront les difficultés économiques du pays malgré ses immenses ressources minérales. Il est peu probable que les dirigeants militaires sapent les intérêts des multinationales et des entreprises françaises qui dominent les ressources minérales, tout en perpétuant la tradition selon laquelle une élite locale s’approprie les richesses accumulées. Mais même si, pour une raison encore imprévue, les dirigeants de la junte décidaient de rompre avec la France, cela ne signifierait pas pour autant un hourra, car ils risquent d’embrasser tout simplement un autre maître impérialiste, peut-être la Russie ou la Chine, comme nous le voyons déjà au Burkina Faso et au Mali. Quoi qu’il en soit, les dirigeants africains se sont toujours bousculés entre différents maîtres impérialistes, espérant obtenir les meilleurs arrangements possibles. Ali Bongo lui-même a amené le Gabon, un pays francophone, à rejoindre le Commonwealth l’année dernière.

Il faudra des luttes de masse, comme celle des étudiants en 2019 qui a contraint Bongo à suspendre un projet d’attaque sur l’accès à l’enseignement universitaire, pour obtenir la moindre concession de la part de la nouvelle junte militaire.

Tout en comprenant pourquoi de tels coups d’État peuvent bénéficier d’un soutien initial, comme ce fut le cas au Nigeria dans les années 1980, les militants socialistes soutiendront tout mouvement pro-démocratique pour gagner des droits démocratiques complets, s’opposeront au régime militaire, tout en s’efforçant de construire des organisations indépendantes de la classe ouvrière et des pauvres. Les militants socialistes devraient appeler à une assemblée constituante révolutionnaire sur une base démocratique pour déterminer l’avenir du pays et dire que pour des droits démocratiques durables et pour que la majorité de la population bénéficie des ressources du pays, il doit y avoir un gouvernement des travailleurs avec un programme socialiste. Ce programme devrait inclure la nationalisation des principaux secteurs de l’économie, tels que le pétrole et le gaz, les mines, les banques, etc. et les placer sous la gestion et le contrôle démocratiques des travailleurs eux-mêmes. Cela permettra de mettre en place une planification socialiste de l’économie, capable de garantir la satisfaction des besoins vitaux de la grande majorité, de commencer à développer l’économie et d’empêcher le sabotage économique.

Vu la domination de l’économie par les multinationales, un tel gouvernement s’attirera la fureur des puissances impérialistes, notamment la France, et d’autres. C’est pourquoi, surtout dans un petit pays comme le Gabon, un tel gouvernement doit s’appuyer sur un mouvement révolutionnaire de masse et faire appel à la solidarité de la classe ouvrière internationale en Afrique et surtout dans les pays impérialistes.

Au Gabon, à l’heure actuelle, il n’existe pas de conscience ou de mouvement socialiste de masse. Mais comme les militaires s’avèrent ne pas être différents de la section civile de l’élite capitaliste qui ruine le pays, la quête de changement et d’une meilleure qualité de vie qui a motivé le soutien au coup d’État militaire dans un premier temps propulsera très certainement la masse des travailleurs et des jeunes gabonais sur le chemin de la recherche d’une meilleure alternative politique et économique. Cela pourrait permettre que les idées du socialisme et de la lutte de masse se propagent.