Interview de Weizmann Hamilton du Democratic Socialist Movement (organisation du CIO en Afrique du Sud)
Article paru dans l’Egalité n°101
L’Egalité : En France, nous entendons parler de la situation dramatique de l’Afrique du Sud face à l’épidémie de SIDA, qu’en est-il vraiment ?
Weizmann Hamilton : 4,7 millions de personnes sont infectées par le virus dans le pays soit 1/5ème de la population. Il y a de grosses campagnes de pression sur le gouvernement dans le pays pour obtenir des rétrovirus et de la trithérapie. Le conseil constitutionnel a d’ailleurs obligé le gouvernement de l’ANC à fournir des médicaments aux femmes enceintes contaminées.
L’E. : En général, quelle est l’attitude du gouvernement ANC ?
W.H. : Le gouvernement a refusé de déclarer l’urgence humanitaire auprès de l’OMC. Et en attendant, le ministre de la santé a remis en question les liens entre le fait d’être HIV positif et la maladie du SIDA. Il y a pourtant 600 morts par jour ! Le gouvernement est très réticent parce que l’épidémie remet directement en cause son programme de coupes budgétaires dans la santé. Alors il déclare que le problème du traitement du virus n’est pas la question de l’HIV mais de la pauvreté.
L’E. : Que fait-il pour lutter contre cette pauvreté alors ?
W.H. : Le gouvernement en est la principale cause. Il y a eu un élargissement du fossé entre riches et pauvres ces dernières années. L’écart entre blancs et noirs va même croissant sous le gouvernement de l’ANC. 74% de la population vit avec moins du minimum vital ! Les politiques néo-libérales ont été appliquées : les frais d’inscription élevés de l’école primaire à l’université entraînent l’expulsion d’étudiants noirs du système scolaire. Les coupures d’électricité et d’eau se multiplient ! La privatisation de l’eau a récemment entraîné la plus grande épidémie de choléra de l’histoire de l’Afrique du Sud !
L’E. : Comment réagit la population face à cette politique ?
W.H. : Il y a un profond mécontentement contre le gouvernement. Lors des élections municipales en 2000, un cinquième des électeurs ne s’est pas déplacé. Il s’agissait pourtant des deuxièmes élections démocratiques dans le pays ! Les sondages pour les élections de 2004 prévoient une abstention de 40 %. Il y a une résistance passive qui s’organise contre le paiement des loyers, de l’électricité et de l’eau. Des manifestations s’organisent mais sont très fortement réprimées par les forces de l’ordre.
Le gouvernement a même instauré une loi « anti-terroriste » qui permet de garder pendant 14 jours quelqu’un sans voir un avocat ! On peut l’identifier à la loi existant sous le régime d’apartheid.
L’E. : Quelle est l’attitude des syndicats ?
W.H. : Depuis 2000, il y a une grève générale par an contre les privatisations. En 2002, la dernière grève générale de deux jours a été peu suivie en raison des doutes et des méfiances croissantes à l’égard du sérieux de la COSATU. En effet, l’argent des cotisations syndicales a été placé pour investir dans le secteur privé. On a même vu certains syndicats de branche investir dans le secteur qu’ils organisent ! La crise est donc croissante dans la COSATU : financièrement le syndicat ne tiendra pas plus de 4 ans… Cette crise a des racines politiques. La COSATU est partie prenante d’une alliance tripartite avec l’ANC depuis les années 90. La pression est forte pour qu’elle la quitte. Mais la direction résiste soutenant tacitement l’ANC.
L’E. : Y a t’il tout de même des luttes dans le pays ?
W.H.: Oui, les luttes sur les salaires et contre les privatisations sont menées par les syndicats. Les communautés dans les town-ships mènent bataille contre les coupes d’eau et d’électricité. Il existe un vide à gauche. Le Forum anti privatisation a été créé pour coordonner l’action des communautés. Le Forum est clair sur quoi il se bat mais pas pour quel but. Il y a de profondes influences réformistes et une envie d’un nouveau parti. L’objectif est pour le moment flou. Le forum parfois agit plus comme un lobby. Les étudiants luttent contre les frais d’inscription, contre les expulsions des écoles et pour une éducation gratuite.
L’E. : Quelle est la plate-forme du Democratic Socialist Movement dans cette situation ?
W.H. : Il y a les revendications d’urgence pour l’embauche massive dans les services publics, pour la réinstallation de l’eau et l’électricité par les communautés elles-mêmes, ce qu’elles font ! Pour la gratuité de l’eau et de l’électricité, pour un financement par le gouvernement central. Nous nous battons pour des candidats indépendants des communautés et la révocabilité. En effet, beaucoup de conseillers élus quittent les town-ships vers les quartiers blancs.
Nous avons créé le Socialist student movement pour une éducation gratuite dans les universités. L’envie de lutter et de s’organiser est forte. Le discrédit de la COSATU ouvre une alternative. De nouveaux syndicats se créent, une loi favorisant le pluralisme syndical. Malheureusement des opportunistes essaient de profiter de cette colère et du désespoir. Cependant, nous avons participé dans le secteur du nettoyage à la création d’un syndicat, COSAWO (Commercial and services union).
A.N.C. : African national Congress, parti de Nelson Mandela.
COSATU : Principale centrale syndicale
“Amandla” : “pouvoir”
Par Leila Messaoudi.