Dans l’article ci-dessous, Robert Bechert, qui est membre du Secrétariat International du CIO et avait participé à la réunion de fondation du CIO, explique pourquoi la construction d’une internationale est toujours une nécessité vitale au 21ème siècle.
Depuis le début du 20e siècle, chaque décennie a été le témoin de révolutions durant lesquelles la classe des travailleurs et les pauvres ont tenté de mettre fin à l’oppression et à l’exploitation dont ils souffrent sous le règne du capitalisme. A leurs côtés ont également eu lieu de nombreuses luttes de masse, des contre-révolutions et de puissants développements qui ont changé la face du monde.
Ces 40 dernières années n’ont pas fait exception. A peine quatre jours après la constitution du Comité pour une Internationale Ouvrière, 48 ans de gouvernement militaire et dictatorial prenaient fin au Portugal avec la Révolution du 25 avril, la Révolution des Œillets. Quelques mois plus tard, la junte militaire grecque s’écroula. Mais l’histoire ne se développe pas en ligne droite. Dans ces deux pays, la classe dirigeante a été capable de survivre pour défendre son système, principalement parce que les mouvements de masse qui les menaçaient ne disposaient pas de stratégie correcte abordant la manière de remplacer le capitalisme, ni de direction capable de mener ce combat.
Crise capitaliste
Ces 25 dernières années ont été compliquées par la chute de l’Union Soviétique et des autres états staliniens. Le fait que ces régimes aient été dirigés par des élites totalitaires privilégiées indique clairement que ces Etats ne peuvent pas être considérés comme socialistes. Cependant, le fait que ces Etats reposaient sur une économie planifiée, nationalisée et non capitaliste démontrait que le capitalisme n’est pas l’unique système possible.
Après 1989, la chute de ces Etats et la restauration du capitalisme ont été utilisées par la classe dirigeante dans le cadre de sa contre-offensive qui faisait suite à la radicalisation connue durant les années ‘60-‘80 afin qu’elle défende idéologiquement qu’il n’existait pas d’alternative au capitalisme. Cela a aidé à accélérer le mouvement vers la droite et pro-capitaliste pour une grande partie du mouvement des travailleurs.
Mais depuis le début de la dernière crise globale du capitalisme, en 2008, nous sommes entrés dans une nouvelle ère mondiale. Dans de nombreux pays, particulièrement les principaux pays impérialistes, les conditions de vie ont baissé ou sont en train de chuter. Mais un des éléments parmi les plus importants de la période actuelle est que la combinaison du processus de globalisation et du développement des communications a renforcé la conscience internationale des masses.
Un nombre croissant de personnes parmi la population considère que les questions liées à l’économie, à la guerre et à l’environnement sont des thèmes internationaux qui sont également liés au système capitalisme, ou au moins à la domination des grandes banques et des grandes entreprises. En même temps, davantage de gens sont conscients du potentiel inhérent aux avancées scientifiques et technologiques pour autant qu’elles soient utilisées en fonction des intérêts de la population et de l’environnement plutôt qu’au profit des entreprises. Mais le plus important, c’est que l’expérience accumulée au cours de la lutte contre l’austérité ainsi que la politique d’austérité elle-même ont forgé une compréhension de la nécessité de fondamentalement changer de société. Des événements comme le renversement du dictateur égyptien Moubarak et du dictateur tunisien Ben Ali en 2011 ont donc eu un impact mondial.
Ces développements ont fourni une importante base potentielle pour une organisation socialiste internationale, reliant ensemble des mouvements des quatre coins du globe. Ce siècle a déjà connu des mouvements et des combats ayant adopté un caractère international, comme l’opposition à l’invasion de l’Irak menée par les Américains et les Britanniques, les manifestations des mouvements Occupy/Indignados, les manifestations anti-austérité en Europe, l’impact des révolutions tunisienne et égyptienne de 2011 ou encore la récente lutte internationale des dockers.
La fondation du CIO a pris place en des temps révolutionnaires
Mais si le mouvement des travailleurs n’est pas capable de livrer des réponses concrètes aux problèmes actuels, le danger est alors présent que les réponses nationalistes réactionnaires puissent obtenir un certain soutien, installant les bases pour de futurs conflits chauvinistes ou ethniques au sein d’Etats ou entre eux. Un des objectifs que le CIO s’est assigné est d’armer le mouvement des travailleurs d’un programme et d’une stratégie pour à la fois remporter des victoires au cours de batailles immédiates mais aussi débarrasser le monde de l’emprise venimeuse du capitalisme, en commençant par expliquer le rôle central de la classe des travailleurs à cette fin.
Le fait que la fondation du CIO ait pris place durant une période très troublée et radicale n’était en rien un accident. Le long redressement économique qui a suivi la seconde guerre mondiale touchait à sa fin. Mais déjà avant que la crise pétrolière de 1973 n’arrive pour symboliser le changement de situation économique, l’Europe et ensuite l’Amérique Latine ont été touchés par des mouvements révolutionnaires et des crises. Au Vietnam, l’impérialisme américain a fait face à sa première défaite militaire. Les régimes staliniens ont été secoués par le printemps de Prague en 1968 dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie et par les vagues de grèves ouvrières en Pologne. Ces mouvements n’étaient pas pro-capitalistes mais recherchaient en essence à établir une démocratie des travailleurs.
A ce moment, les syndicats étaient puissants, mais pas seulement en terme de nombre de membres. En Grande-Bretagne, le berceau du CIO, les victoires remportées par les mineurs et la défaite du gouvernement conservateur aux élections de 1974 avaient notamment illustré leur puissance potentielle.
Le début d’une crise capitaliste généralisée a approfondi la radicalisation politique des mouvements ouvriers de nombreux pays. L’expérience amère du renversement sanglant du gouvernement Allende au Chili en 1973 avait provoqué une large discussion sur les moyens de parvenir au socialisme et aussi de prévenir que la contre-révolution n’entrave le chemin du mouvement des travailleurs. C’était vraiment une période de luttes internationales.
En 1974, la dictature espagnole de Franco, face à une révolution se développant, était en train de tomber. Mais la classe dirigeante espagnole a cherché et obtenu l’aide des dirigeants du monde du travail pour contenir le mouvement révolutionnaire. Il a été capable d’établir une démocratie capitaliste.
Dans ce contexte, les marxistes qui ont été à la base du Comité pour une Internationale Ouvrière, à l’époque groupés en Grande-Bretagne autour du journal ‘‘The Militant’’ (ils ont depuis constitué le Socialist Party), ont commencé à rechercher une audience plus large en Grande-Bretagne et dans d’autres pays, principalement en Europe, mais aussi au Sri Lanka où l’histoire particulière du pays, où un mouvement trotskiste avait été soutenu par les masses, a permis que nos idées y trouvent un premier écho.
Cependant, malgré les soulèvements révolutionnaires qui ont eu lieu à travers le monde à la fin des années ’60 et dans les années ’70, l’idée d’une réelle internationale ouvrière était devenue moins centrale dans le mouvement des travailleurs, même si cela restait un point attractif pour de nombreux activistes. Cela faisait suite à l’échec tant de l’Internationale Socialiste que de l’Internationale Communiste de rester des organisations capable d’organiser la lutte internationale pour changer de monde. Mais au 21e siècle, avec l’interdépendance très claire des différentes parties du monde, la question de l’action internationale est à nouveau posée avec acuité.
A côté de la nécessité de solutions globales, l’expérience du mouvement des travailleurs a montré encore et encore que des manifestations peuvent remporter quelques revendications prises individuellement, mais qu’elles restent par contre insuffisantes pour fondamentalement changer la situation. Cela, ce n’est possible qu’avec le renversement du système capitaliste. Mais pour y parvenir avec certitude, le mouvement des masses a besoin d’un programme d’action concret adapté tant à la situation nationale qu’internationale ainsi qu’une direction, ce qui requiert un parti.
Comment remporter des victoires de façon permanente ?
Aujourd’hui les capitalistes font preuve de peu d’optimisme. Ils manquent de confiance en eux, comme cela a été révélé dans les discussions portant sur la possibilité d’arrêter d’injecter de l’argent dans l’économie via l’assouplissement quantitatif (AQ) et les effets que cela pourrait avoir.
Ces conditions préparent de nouvelles périodes de lutte et de révolution. En général, dans cette période de crise, la plupart des luttes ont jusqu’ici été défensives, contre l’attaque menée par la classe dirigeante, mais dans les pays qui ont connu une croissance économique, comme le Brésil et la Chine, il s’agissait de batailles offensives destinée à remporter de nouvelles conquêtes sociales.
En Grèce, les travailleurs ont mené le nombre incroyable de 36 grèves générales depuis 2010, mais ils n’ont pas réussi à bloquer l’attaque de la classe dirigeante. Mais ça n’exclut pas de voir arriver une nouvelle radicalisation, peut-être initiée sur le plan politique. A chaque instant, des couches du mouvement ouvrier tirent des leçons de leur expérience.
Les révolutions et les luttes de masse de ces dernières années ont à nouveau posé les vieilles questions abordant la manière de consolider des conquêtes sociales et de renverser l’ordre ancien. L’Égypte est le dernier exemple en date où, en février 2011, les masses ouvrières avaient potentiellement le pouvoir entre leurs mains, sans hélas avoir entièrement compris ou vu ce qui devait être fait pour que ce potentiel devienne réalité.
De puissantes révolutions peuvent complètement balayer l’ancien ordre des choses mais, comme ce fut le cas au Portugal en 1975, il peut revenir si la classe des travailleurs ne sécurise pas son pouvoir. Évidemment, chaque révolution et chaque lutte a ses propres caractéristiques. Mais les leçons qui peuvent être tirées de la manière dont la classe ouvrière et les pauvres ont été capables d’arriver au pouvoir et d’y rester en 1917 sont toujours pertinentes et de première importance.
En certains points, la situation actuelle est similaire à celle de la fin du 19e siècle, au moment où se sont développés les mouvements ouvriers de masse. Aujourd’hui, il est question de la reconstruction ou de la rénovation des organisations du monde du travail. Mais le fait que, dans de nombreux pays, les travailleurs aient fait l’amère expérience de la décadence ou de la chute des vieilles organisations ouvrières – particulièrement les anciens partis sociaux-démocrates et communistes qui se sont transformés en organisations pro-capitalistes ou totalement capitalistes – est un facteur compliquant.
Reconstruire et réarmer le mouvement des travailleurs
Dans de nombreux pays, le Comité pour une Internationale Ouvrière joue un rôle clé dans cette reconstruction, et là où c’est approprié, soutient qu’il faut commencer à créer de nouveaux partis politiques des travailleurs en tant qu’étape vers la création d’un mouvement de masse des travailleurs. Il ne s’agit pas simplement de propagande. En Grande-Bretagne, en Afrique du Sud et au Nigéria, nous avons participé aux étapes ayant précédé la formation de nouveaux partis. En Australie, au Sri Lanka, aux USA, en Irlande, ou encore en Suède, les camarades du CIO participent aux élections sous leurs propres couleurs.
Là où des partis de gauche existent, comme le PSoL au Brésil et Die Linke en Allemagne, les camarades du CIO y sont actifs tout en défendant les étapes par lesquelles il faut passer pour continuer à les construire en tant qu’organisations défendant les idées du socialisme. Il s’agit d’une partie de notre tradition au CIO. Depuis les origines, nous ne sommes pas passifs, nous participons aux luttes, grandes et petites, et les initions.
Mais à bien des points de vue, ces quatre premières décennies ne sont véritablement qu’une préhistoire. Nous sommes déjà dans une période tumultueuse, tout est soit remis en question, soit sur le point de l’être. Les expériences de cette période du capitalisme, la crise environnementale croissante et l’absence d’avenir pour une couche grandissante de la jeunesse provoqueront des tempêtes révolutionnaires.
Le CIO jouera son rôle dans ces événements, ce qui inclut la construction d’un mouvement qui pourra finalement mettre un terme à ce système capitaliste brutal, chaotique et injuste, et ainsi faire de la vie un plaisir pour tous.