Venezuela, Equateur, Pérou : Un moment décisif pour l’Amérique latine ?

L’Amérique latine est dans une crise opposant de plus en plus les riches et les pauvres notamment depuis la crise argentine en 2001. Ainsi les mouvements de protestations et de révoltes contre les politiques néo-libérales se sont multipliés à travers l’ensemble du sous-continent en 2002. Cette polarisation et l’accélération des oppositions entre les populations et les classes dirigeantes conduisent à l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants de gauche et radicaux comme en Equateur avec Guitierrez et bien sûr Lula au Brésil.

Article paru dans l’Egalité n°99

Le Venezuela est aux avant-postes de cette polarisation grandissante entre les intérêts des riches et ceux des plus pauvres en Amérique latine. Le coup d’Etat raté contre Hugo Chavez en avril 2002 et la crise ouverte depuis le 28 novembre à Caracas cristallise cette situation. Pour mieux la comprendre, expliquons un peu cette grève générale qui paralyse, depuis un mois et demi, le second principal pays exportateur de pétrole vers les Etats-Unis après l’Arabie Saoudite.

Une grève générale illimitée? … : non, un blocage patronal qui s’étend !

Manifestations, grèves, blocages des ports et des entreprises pétrolières, mot d’ordre de grève dans tout le Venezuela : tous les ingrédients sont réunis pour une grève générale, qui sont alors les animateurs de ce mouvement massif ?

Principalement, il s’agit des organisations des employeurs du pays : les fedecameras, l’aile droite et la classe capitaliste. A l’instigation de ce blocage volontaire, ils ont aussi assuré le paiement des salaires pour leurs salariés grévistes ! La hiérarchie catholique soutient le mouvement ainsi que la direction corrompue du syndicat de salariés CTV qui organise près de 18% des forces du pays. Cette grève a été ensuite rejointe par des parties importantes des classes moyennes touchées par la crise et des parties des salariés comme les dockers à Caracas selon plusieurs sources.

Pourquoi cette mobilisation des classes dirigeantes ?

Il s’agit pour les classes dirigeantes de virer Chavez et de terminer le travail après l’échec de son renversement en avril 2002. Bien sûr un second coup d’état est envisageable si cette mobilisation échoue, cependant c’est assez périlleux : ceci pourrait à nouveau mobiliser les plus pauvres de Caracas qui exigeront alors plus de garanties sociales et économiques contre les intérêts capitalistes nationaux et mondiaux. C’est un sérieux risque pour les intérêts financiers des patrons vénézuéliens spécialement en période de crise économique. Ils essaient alors de faire chuter Chavez le plus rapidement possible afin de conforter un pouvoir fidèle à leurs intérêts.

Comment la droite patronale peut- elle appeler la population à la grève ?

Chavez est arrivé au pouvoir en décembre 1998 avec plus de 70% des voix – score confirmé aussi aux élections législatives, l’année suivante, avec 91% des voix pour les partis qui le soutenaient. Des mesures anti-corruption sont prises par son gouvernement, quelques réformes agraires de redistribution des terres inoccupées et la construction d’écoles sont menées conjointement à de virulentes prises de position contre l’impérialisme américain et la guerre en Afghanistan.

En avril 2002, un coup d’Etat téléguidé par les Etats-Unis veut renverser Hugo Chavez. Ceci échoue grâce à la mobilisation spontanée des populations les plus pauvres des favelas et de la classe ouvrière vénézuélienne et d’une partie des soldats.

Sa gestion de la crise qui l’oppose aux classes dirigeantes montre les limites de ces politiques radicales. Malgré quelques sanctions par licenciement de capitalistes des entreprises d’Etat surtout pétrolières, il ne s’attaque que très superficiellement au pouvoir financier lié aux Etats-Unis. Ainsi, Chavez ne tire pas les leçons du coup d’avril. Il refuse d’utiliser les bénéfices pétroliers pour les besoins de la population et réinstalle dés le début du mouvement un directeur de l’aile droite à la tête de la compagnie d’Etat du pétrole (PVVSA) et d’autres ailleurs. De plus, il poursuit la mise en place d’un pouvoir de plus en plus resserré autour de lui. Il met ainsi un frein aux espoirs de changement des classes populaires et conforte l’idée largement diffusée par ses détracteurs qu’il est un petit dictateur. Rien de plus facile pour l’opposition capitaliste, en contrôlant les médias télévisés et radiophoniques de mener alors une propagande virulente anti-Chavez!

A la politique en demi-teinte de Chavez s’ajoute la crise économique grandissante. Malgré les quelques mesures il y a une fuite de capitaux orchestrée par les patrons pour affaiblir le régime. Les trois premiers mois de 2002 ont vu une baisse de 10% du PNB vénézuélien !

Ceci fait en ce moment basculer une partie des déçus notamment les classes moyennes dans les bras des forces réactionnaires. Certaines parties de la classe ouvrière sont attirées par les arguments qui promettent des améliorations avec la privatisation. Les salariés du pétrole, secteur qui représente 80% de la richesse nationale, jusqu’alors assez privilégiés par des salaires élevés sont touchés au premier chef. C’est le cas aussi des dockers de Caracas dans une moindre mesure.

Passer à l’offensive contre les classes dirigeantes

La politique de Chavez montre aujourd’hui les énormes limites des politiques certes radicales mais aussi populistes qui peuvent se développer dans un certain nombre de pays en développement néo-coloniaux. S’appuyant sur les aspirations anticapitalistes de populations affamées et en colère, sa confrontation au pouvoir économique est pourtant limitée et fébrile. Sans organisation des travailleurs, des pauvres des villes et des paysans indépendante de ces gouvernements, les forces pro-capitalistes et patronales peuvent reprendre le dessus et imposer un régime au service de leurs intérêts directs.

Après le coup d’Etat mis en échec par les pauvres des favelas et la population, les travailleurs du Venezuela étaient organisés en comités de lutte dans certains quartiers de Caracas mais cette auto-organisation n’a pas duré, ne s’est pas étendue. En refusant d’introduire de véritables mesures socialistes de rupture avec le système, le gouvernement a été incapable de satisfaire les besoins des classes moyennes et le chômage et la corruption se sont aggravés. La crise actuelle, que Chavez reste ou qu’il doive partir, ne trouvera pas de débouchés pour les populations vénézuéliennes sans une perspective de rupture avec ce système. Malgré la détermination affichée actuellement par les classes populaires de défendre le gouvernement Chavez, celle-ci ne pourrait que s’évaporer, comme ceci s’était produit au Chili une semaine avant le coup de Pinochet en 1973, faute de perspective de contrôle et de gestion démocratique par la population des entreprises pétrolières, du pays, une alternative socialiste à opposer au système. Ceci trouverait un formidable écho dans toute l’Amérique latine.

Par Leïla Messaoudi