Prime à l’emploi ou prime au patronat ?

Tout l’art du gouvernement Jospin consiste à faire passer comme de gauche des mesures qui en vérité ne le sont pas. Nous l’avons vu avec les Lois Aubry, dont le véritable but est de permettre au patronat d’instaurer la flexibilité par le biais de négociations obligatoires.

Article paru dans l’Egalité n°85

Nous le voyons aujourd’hui avec la « prime à l’emploi ». Derrière ce nom donné par Laurent Fabius pour éviter le si connoté « impôt négatif » au goût trop libéral, il s’agit d’un chèque réservé à ceux qui travaillent et gagnent en 0,3 et 1,4 fois le SMIC. Pour mieux comprendre l’arnaque, revenons ensemble au début de l’histoire.

Au-delà de la prime à l’emploi, c’est toute la logique de baisse d’impôts qui est à critiquer. En effet, l’impôt et en particulier l’impôt sur le revenu dont le taux est proportionnel aux ressources des ménages est l’un des moyens dont disposent les pouvoirs publics, avec la protection sociale, pour opérer une politique de redistribution des richesses. Un gouvernement au service des travailleurs aurait mené une politique fiscale totalement différente en préférant s’attaquer à l’injuste TVA dont le taux est le même pour tous mais aussi en favorisant le développement et la gratuité des services collectifs à commencer par les transports, la construction de crèches et de logements sociaux en nombre suffisant.

En préférant augmenter la part de revenu individuel de chacun au lieu de favoriser la part collective, le gouvernement Jospin marque sa préférence pour une société où l’Etat est de moins en moins présent, laissant la place au marché.

La logique de l’impôt négatif

L’impôt négatif n’est pas une nouveauté, loin de là, puisque ce concept élaboré par l’économiste libéral Friedman date de 1962 et a été mis en place aux Etats-Unis dès 1975. Il s’agissait alors de donner une prime aux chômeurs afin que ceux-ci acceptent des emplois mal rémunérés afin de faire baisser les dépenses sociales. Vingt-cinq ans après, on voit clairement le résultat, la courbe des salaires est en chute libre, c’est la multiplication de ce que certains appellent les Workfare, les travailleurs pauvres américains. Mais on nous objectera que le gouvernement français ne copie pas le modèle libéral puisque la prime à l’emploi correspondrait à une augmentation de revenu pour les bas salaires ? En fait, pendant longtemps, les tenants de la gauche française ont gardé à l’esprit l’idée que le chômeur n’était pas responsable de sa situation, qu’il était donc nécessaire de l’indemniser suite à une perte d’emploi. Aujourd’hui, ces mêmes politicards reprennent en chœur l’idée que les chômeurs refusent de travailler préférant cumuler les minima sociaux. Car, après avoir favorisé le développement du temps partiel en l’exonérant d’une partie des cotisations sociales, le gouvernement fait le constat qu’un chômeur qui abandonne le RMI pour un SMIC à mi-temps ne gagne que 200 francs de plus.

Vous avez dit plein emploi ?

C’est pourquoi, pour pousser au plein-emploi, un plein-emploi avec un taux de chômage de 5% comme le définit le rapport Pisani-Ferry, un plein-emploi où la norme n’est plus le CDI à temps plein mais des contrats précaires à temps partiels, le gouvernement invente la prime à l’emploi qui n’est rien d’autre qu’une subvention de plus au patronat lui permettant d’embaucher au salaire minimum sachant que le contribuable complétera. Et comment ne pas constater que cette prime à l’emploi est encore une mesure servant les intérêts du patronat sur le dos des travailleurs.

La prime à l’emploi comme l’exonération de cotisations sociales constituent de véritables freins aux augmentations salariales. En bloquant le salaire de leurs employés, pour les ramener de plus en plus au niveau du SMIC, les employeurs peuvent payer de moins en moins de cotisations sociales puisqu’au niveau du SMIC l’exonération est la plus forte. En couplant la prime à l’emploi au PARE, que le gouvernement a en fin de compte étendu, on va vers l’obligation de travail à faible salaire pour tous les sans-emplois, conforme aux modèles anglais et américains.

Une autre politique, basée sur l’interdiction des temps partiels imposés, l’augmentation du SMIC et une indemnisation complète de la perte de revenu liée au chômage est possible mais pour que cette orientation devienne crédible, cela nécessite en outre que les organisations syndicales fassent préalablement le travail de dénonciation de la politique pro-patronale du gouvernement au lieu de passer leur temps à le couvrir.

Par Gérald Le Corre