En 1968 se développèrent des grèves et luttes de masse, en France mais aussi ailleurs dans le monde. Cette grève générale entraîna jusqu’à 10 millions de travailleurs et travailleuses dans l’action, soit 50% des salarié-es du pays. Le pouvoir de de Gaulle vacilla.
Mai 68 ne fut pas « un coup de tonnerre dans un ciel serein ». Au contraire, la dynamique qui allait mener à cette grève générale remonte à plusieurs années. Comme l’a décrit Rosa Luxembourg dans son ouvrage « Grève de masse, parti et syndicat », les grèves générales ne correspondent pas à des moments ponctuels. Ce sont des phases plus ou moins longues de la lutte des classes correspondant à une poussée révolutionnaire, alliant à la fois revendications sociales immédiates et des aspects politiques de contestation du pouvoir et de renversement du système. Mai 68 ne fait pas exception.
Après guerre, des grèves insurrectionnelles se développent de 1947-1948 jusqu’à la grève générale des fonctionnaires en août 1953. Après, ces luttes de travailleurs s’éteignent mais les luttes politiques contre l’impérialisme ou pour les droits des femmes se déclenchent. De nombreux militants, travailleur-ses et jeunes, entrent dans le combat contre le capitalisme sur ces questions-là.
La grève générale a duré 5 ans !
En 1963, durant 5 semaines, a lieu la grève générale dans les mines françaises contre la restructuration de ce secteur voulu par De Gaulle, son gouvernement et le patronat. De nombreux puits ferment. La grève des mineurs s’étend donnant une quasi-grève générale : sidérurgistes, cheminots, traminots de la RATP, postiers et salariés de Michelin tentent de rejoindre les mineurs. Mais la direction de la CGT refuse toute confrontation directe avec le pouvoir de De Gaulle et rejette l’idée d’appeler à la grève générale. En 1963, les mineurs gagnent la satisfaction de revendications immédiates (12,5 % d’augmentation de salaire, des primes supplémentaires, 24 jours de congés payés annuels), mais perdent sur la restructuration et la fermeture de puits.
Quoi qu’il en soit, ceci marque le début d’une nouvelle période de lutte et grève de masse qui aboutira 5 ans plus tard à celle de mai-juin 1968. Durant ces 5 années, les luttes de développent dans les entreprises ; certaines emblématiques comme à Besançon à l’usine Rhodiacéta du groupe Rhône-Poulenc en 1967. Ces années furent celles aussi de la recherche du « tous ensemble » contre la stratégie des directions syndicales de multiples journées de grèves interprofessionnelles sans lendemain, face aux contre-réformes autoritaires de De Gaulle et de son gouvernement au service des capitalistes. Dès 1966, le nombre de journées de grève repart à la hausse. La marmite sociale et politique est en train de bouillir…
1968, la marmite déborde !
Le début de l’année 1968 connaît une accélération de la lutte des classes. Le 3 mai, les étudiants investissent la Sorbonne et sont délogés par la police. Le 6 mai, des barricades sont montées dans le quartier latin. Le mouvement s’étend à la province. Les étudiants sont les premiers à entrer en lutte et à affronter la répression policière notamment lors de la nuit des barricades le 10 mai.
À l’aube, après de longues tractations, les syndicats CGT, CFDT, FO se joignent à l’appel à la grève générale de la FEN et l’UNEF. Une grève de 24h est décidée pour le 13 mai. Ce jour-là, entre 450 000 et 1 million de manifestants défileront dans les rues de Paris. Les syndicats revendiquent 1 million de manifestants dans le reste du pays. Les salariés de très nombreuses entreprises se mettent en grève. En Seine-Saint-Denis, sur 36 entreprises de la métallurgie, 25 sont en grève avec une participation de plus de 60 %.
Les modalités de la grève et l’attitude des directions syndicales
Sans mot d’ordre particulier des directions des centrales syndicales, la grève se propage dans tout le pays avec des occupations d’entreprises – moins nombreuses qu’en 1936.
Le 14 mai, les salarié-es de Claas dans l’agglomération de Metz débraient et refusent de reprendre le travail. À Nantes, le même jour, les ouvrier-es de Sud-Aviation occupent leur usine. Le 15 mai, Renault-Cléon vote la grève, puis le 16 mai, l’usine Renault-Billancourt est occupée.
Les lieux de discussion se multiplient partout, car la parole se libère et le besoin de débat politique irrigue le mouvement. On se met à rêver d’une autre société. La question du pouvoir se pose, ainsi l’un des principaux mots d’ordre de la lutte est « 10 ans [de De Gaulle], ça suffit ! ».
Dans un premier temps, les directions syndicales, en particulier celle de la CGT dominée par les staliniens, hostiles à la révolution, sont débordées par le mouvement qui part et s’étend depuis la base et la classe ouvrière elle-même. Elles tentent de reprendre la main.
Gouvernement, patronat et syndicats enclenchent des négociations dès le 25 mai qui aboutiront aux accords de Grenelle le 31 mai, avec l’espoir que la grève s’arrête. Ces accords actent, entre autres, l’augmentation générale des salaires de 10 % et du salaire minimum de 35 %, la reconnaissance/création de la section syndicale d’entreprise, etc.
Le pouvoir vacille mais se maintient
Cependant, la grève ne s’arrête pas – en tout cas pas uniformément – car le mouvement social de 1968 ne porte pas que sur des revendications immédiates. Car avec la force gigantesque de la grève générale, c’est bien l’espoir de virer De Gaulle et sa clique et de renverser l’ordre social capitaliste qui anime aussi les acteurs de la lutte.
Cependant, l’attitude des directions syndicales et du PCF finiront de sauver le pouvoir en place. De Gaulle avait pensé se retirer le 29 mai, mais ne le fait pas. À la place, il décidera de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives, largement gagnées par la droite.
La grève s’effiloche petit à petit. Les entreprises occupées sont évacuées par la police et l’armée et les émetteurs de la télévision sont repris en mains. La grève générale de mai-juin 68 clôturera cette poussée révolutionnaire qui s’était renforcée au cours des années 1960.
Elle permit des gains substantiels en termes de revendications sociales immédiates et de libération du poids de la morale bourgeoise conservatrice qui écrasait toute la société. Elle établit un rapport de force favorable dans la société pour gagner de droits démocratiques. Mais alors qu’elle ouvrait une période pré-révolutionnaire, les staliniens et les sociaux-démocrates, firent en sorte que les pas supplémentaires pour renverser le capitalisme, toucher du doigt le socialisme ne soient pas effectués par la classe ouvrière et la jeunesse. Une force si puissante était pourtant en marche, qui a fait trembler le capitalisme et mis la bourgeoisie en panique. Renverser De Gaulle et le remplacer par un gouvernement des travailleurs, issu de la coordination des comités de grève, nationaliser sous le contrôle ouvrier les principaux secteurs de l’industrie et commencer à bâtir le socialisme était à portée des millions qui participaient à la grève générale ! C’est un tel programme dont on a besoin pour aujourd’hui dans la lutte contre Macron !
Par Yann Venier, article paru en version courte dans l’Égalité n°216