Article écrit pour socialistworld.net, le site du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI), l’Internationale à laquelle la Gauche Révolutionnaire est affiliée.
Il revient sur les récentes mobilisations et notamment celle du 9 mars dernier, où jusqu’à 500.000 personnes ont manifesté contre la loi Valls-El Khomri, et sur le potentiel pour une grève générale.
Voilà plusieurs mois que le rapport de forces entre les classes se durcit dans le pays. Les plans de licenciements se sont multipliés accélérant la désindustrialisation. Les coupes budgétaires sont de plus en plus féroces dans les services publics. Et la politique du gouvernement PS est toujours plus clairement du côté des classes dirigeantes capitalistes françaises. Il y a presqu’un an, le 9 avril 2015, une partie des travailleurs les plus organisés et les plus conscients étaient sortis dans la rue pour dire non à la politique du patronat et du gouvernement. Le rejet du PS et de ses alliés s’est traduit de manière croissante lors des diverses élections, avec une forte abstention et dans une autre mesure, un vote FN qui avait des aspects protestataires.
Mais pendant tout ce temps, les consciences ont aussi progressé au fur et à mesure que la colère s’est accumulée. Le nombre de luttes s’est d’abord maintenu en 2014 contre les sales plans du patronat et les attaques dans les services publics malgré l’absence de perspective donnée par les directions syndicales. Puis en 2015, le nombre a cru de manière significative, atteignant plus de 200 grèves par jour dernièrement, avec des grèves de longue durée, sur les salaires et les conditions de vie, parfois victorieuses.
Dans de nombreuses entreprises, un climat de résistance s’est construit, souvent sans les directions syndicales, autour des équipes syndicales combatives sur leurs lieux de travail. Ceci date des années Sarkozy où le patronat s’était lâché. Mais aujourd’hui sous le gouvernement Valls et Hollande, ces équipes atteignent une certaine maturité politique et une implantation. Elles sont à la tête du vent de révolte qui souffle en ce printemps en France aux côtés des étudiants et de lycéens mobilisés.
Hollande et Valls face à un mur de résistance !
Le gouvernement Hollande Valls essaie d’ajouter un très grosse pierre à son édifice d’austérité et de politique libérale avec la loi El Khomri du nom de la ministre du travail, qui porte officiellement la loi Travail, et derrière laquelle Valls et Hollande se cachent. Le gouvernement veut donner un chèque en blanc pour précariser les travailleurs et les jeunes avec cette nouvelle loi en cassant la durée du temps de travail légale, en facilitant les licenciements et en brisant les acquis que comportent le Code du travail en termes de protection du salarié.
Mais une partie grandissante de la population refuse fermement. Annoncée fin février, la loi devait être présentée officiellement le 9 mars dernier. En une semaine, une pétition en ligne a recueilli plus d’un million de signatures ! Au début, les directions syndicales ont émis une déclaration ne rejetant que deux points de la nouvelle loi. Une partie des directions syndicales, notamment la CGT, a dû appeler à une journée de grève interprofessionnelle mais seulement le 31 mars. Mais c’était sans compter sur la poussée parmi la jeunesse et à la base des syndicats.
10 jours avant le 9 mars, les organisations officielles de jeunes, pourtant pour une partie proches du PS historiquement, ont appelé à se mobiliser, à faire grève et à défiler le 9 mars. Le gouvernement a bien tenté de jouer la montre et a repoussé la présentation officielle au 24 mars. Ceci n’a eu aucun effet sur la mobilisation pour le retrait total et immédiat, bien au contraire. Un à un, les syndicats locaux d’entreprises, les bases de la CGT ont appelé à des débrayages et à des grèves le 9 mars tout en poussant consciemment sur leur direction confédérale pour qu’elle appelle aussi.
Une partie grandissante des jeunes et des travailleurs sont conscients que la loi Travail est le symbole de l’avenir que le PS, mais aussi la droite et le patronat nous promettent. Et ils refusent cette perspective. La mobilisation se poursuit parmi la population. Tout le monde ressent que la situation est sérieuse et que le mouvement engagé est celui qu’on attend depuis longtemps. Le 9 mars a été un vrai succès avec près d’un demi million de personnes dans les rues, mobilisées, en grève pour beaucoup ou ayant posé des heures pour faire entendre leur colère, bien décidés à ne pas s’arrêter. Les cortèges et banderoles d’entreprises étaient très présents aux côtés des jeunes mobilisés dans certaines villes.
La mobilisation de la jeunesse
Voilà 10 ans que les jeunes n’ont pas été initiateur d’une mobilisation de masse dans le pays. Il s’agissait de la lutte contre le CPE. Celle-ci avait rassemblé beaucoup de jeunes et fédéré les travailleurs et leurs organisations obligeant le gouvernement a reculé en 2006. Mais la loi Travail est d’une toute autre ampleur. Elle trace un avenir où la précarité est la règle dans le monde du travail. C’est une attaque majeure pour les travailleurs aujourd’hui et pour les jeunes ensuite quels que soit leur niveau d’études.
Des assemblées générales ont commencé à avoir lieu, assez restreintes en participant pour le moment dans les universités. Mais la lutte n’en est clairement qu’à ses débuts. Des lycéens se sont mobilisés par des blocus du lycée et des cortèges fournis dans de nombreuses villes s’organisant seuls ou autour de militants. La structuration du mouvement est donc naissante, et se fédère autour des organisations étudiantes existantes à l’université.
Le gouvernement a convié les organisations de jeunes à discuter mais ceci s’est soldé par un échec. L’UNEF syndicat étudiant proche du PS a appelé à amplifier la mobilisation pour le retrait de la loi avant même qu’elle soit officiellement présentée. La prochaine date de mobilisation parmi la jeunesse sera le 17 mars prochain.
Le rôle des syndicats
Face au gouvernement PS, les directions syndicales sont évidemment mal à l’aise. Leur responsabilité est grande. Dans un pays où le taux de syndicalisation est faible, leur survie dépend de leur positionnement par rapport au gouvernement et au patronat et de l’attente des travailleurs.
Depuis le départ, très clairement, la direction de la CFDT avec quelques autres unions syndicales, a fait le choix de chercher à améliorer !? le projet de loi. La CGT avec le principal syndicat des enseignants FSU et SUD Solidaires ont été très vite sous la pression de leurs bases. Très consciemment, les bases de la CGT ont contraint le direction à couper le lien avec la CFDT tôt et à former un bloc de syndicats avec les organisations de jeunes pour le retrait total de la loi Travail.
Et la pression de la base est forte, de nombreux syndicats CGT ont pour la première fois appelé seuls, sans attendre l’avis de la confédération à se mobiliser le 9 mars. Et pour les suites, il en va de même pour la préparation de la journée de grève interprofessionnelle du 31 mars. Beaucoup parlent déjà des suites du 31 mars, de se mobiliser dès le 24 mars lors de la présentation officielle de la loi. Des entreprises en lutte sur les salaires ou contre une restructuration intègre la date du 31 mars comme un point culminant de leur grève ou de leurs actions.
Une crise politique profonde
Le potentiel est là. La crise politique est gigantesque et le gouvernement est assez désemparé. En réalité, comme l’ont montré les récents résultats électoraux, ce n’est pas qu’une crise du gouvernement et contre Hollande, c’est une crise de régime de l’ensemble de la classe politique au service des capitalistes.
Du PS au FN, les positionnements sont compliqués. Le PS est traversé par des ruptures, la droite est très divisée et critique la méthode de Hollande trop brusque ou « maladroite » ! Et le FN est bien gêné, certains comme Marion Maréchal LePen affichant son soutien à une loi pour plus de liberté patronale et Marine LePen restant silencieuse.
Tous craignent un mouvement prolongé qui bloquerait le pays, les empêcherait de faire leurs petits arrangements entre amis pour 2017. Dans ce contexte, le gouvernement poursuit dans sa voie, maintient sa politique. Dans le même temps, il continue la répression contre les syndicalistes, sa politique raciste contre les migrants et sa propagande anti musulmans agitant la menace terroriste.
Cependant en ce moment, tous ces éléments ne sont plus vraiment des obstacles pour lutter parmi ceux des jeunes et des travailleurs qui veulent lutter. Ces questions deviennent des points de plus pour justifier la nécessité de s’unir et de lutter. Les liens se font et les questions politiques renforcent l’idée que c’est le moment d’y aller tous ensemble.
Vers une grève générale en France au printemps ?
Il y a aussi un certaine compréhension, en partie instinctive, en partie réfléchie, après les mouvements de masse passés depuis 1995, 2003 et 2010, que la grève générale, la vraie, celle qui pourra stopper la loi « Travail » et le gouvernement et remettre à plat la société, se prépare. Dans ce sens, les discussions politiques sont sérieuses, très liées aux questions d’avenir, de comment faire avancer le mouvement, comment monter d’un cran, convaincre plus de monde et ne pas s’épuiser, y compris parmi les jeunes lycéens, conscients qu’ils luttent pour leur avenir. La perspective d’un monde de précarité, de guerres, de terrorisme, de migrants bloqués aux frontières les dégoûtent et motivent instinctivement leur mobilisation.
Le mélange de cette jeunesse mobilisée pour son avenir avec la partie combative et organisée, qui se déclare souvent révolutionnaire doit pouvoir rencontrer la partie plus large de la population qui regarde avec sympathie ce mouvement. C’est l’enjeu pendant ces mois de mars-avril.
Le potentiel d’une grève générale est donc là. Une partie importante du mouvement ouvrier et de la jeunesse n’est pas seulement en train de rompre avec la social démocratie, elle veut s’en débarrasser et veut lutter. S’organiser pour lutter et construire une autre société socialiste n’est pas encore posée à une échelle large mais beaucoup de jeunes et de travailleurs cherchent une perspective politique. Et pour le moment aussi la question de faire tomber ce gouvernement n’est pas posée dans le mouvement. Les semaines qui viennent vont être agitées et les événements peuvent s’accélérer. Les camarades de la Gauche révolutionnaire, dans leurs lieux d’études et de travail, au sein de leurs syndicats et dans la rue, sont pleinement investis dans la construction du mouvement de masse assez puissant pour stopper les capitalistes et les gouvernements qui les servent et faire avancer une véritable perspective socialiste face au gouvernement et aux capitalistes.
Leïla Messaoudi