L’islam politique : des courants contre-révolutionnaires.

nahdadégageLa Tunisie ne compte pas moins de 9 partis islamistes, dont Ennahda, au pouvoir depuis 2011, qui a en fin de compte confisqué la Révolution au moyen des élections. Qu’ont en commun les partis islamistes ?

L’Islam politique consiste d’abord dans le choix de la doctrine musulmane comme fondement de l’action politique, mais il peut aller jusqu’à transformer le système politique et social d’un État en imposant comme unique source du droit une interprétation stricte de la charia à l’ensemble de la société. Entre ces deux extrêmes, tous les cas de figure sont possibles, des partis de centre-droit comme le Parti de la justice et du développement, aux partis réformistes comme le Parti de l’unité et de la réforme ou le parti des conservateurs progressistes en passant par les partis centristes comme le Mouvement tunisien de l’action maghrébine.

Bien qu’Ennahda ait fait alliance, pour gouverner, avec des partis de centre-gauche, et qu’il tienne à se distinguer d’autres courants de l’Islam politique comme les salafistes, il apparaît néanmoins d’une part comme un parti très conservateur, avec de nombreux éléments ultra-réactionnaires en son sein. Il garde sa position gouvernementale au sommet de l’Etat ce qui le rend susceptible notamment de remettre en question le statut des femmes dans la société tunisienne dans le futur, comme de remettre en cause les libertés démocratiques ou syndicales. Et il paraît avoir partie liée à l’islamisme radical : l’opinion publique considère, depuis l’assassinat de Chokri Belaïd, qu’Ennahda s’est doté avec les salafistes un bras armé pour soutenir le régime.

Les salafistes sont des fondamentalistes religieux qui veulent modeler, par la force, la société sur un Islam « pur » (selon eux…) et qui mènent une opposition violente aux États arabes qui ont des velléités divergentes, trop tolérantes ou laïques. Les Frères musulmans sont plus ambigus en ce sens qu’ils ont un programme social officiellement égalitariste et qu’ils ne refusent pas (pour le moment), comme le font les salafistes, le concept de démocratie parlementaire.

La question se pose de savoir pourquoi la Révolution tunisienne a permis un succès électoral de l’Islam politique dans un premier temps. Il y a deux raisons majeures à cet état de fait : la Révolution n’avait, et n’a toujours pas, de programme politique de sorte que lorsqu’il s’est agi de voter, l’électorat s’est tourné vers les partis d’opposition en place qui étaient islamistes, d’autant que ceux-ci d’une part apparaissaient comme « les martyrs » de Ben Ali, d’autre part, parce que ces partis, sous Ben Ali, aidés de l’extérieur par le Qatar par exemple, soutenaient les plus misérables des Tunisiens par des œuvres de charité rendues possibles par une partie de l’argent qatari, l’autre partie allant quand même pour le train de vie des dignitaires nahdaouis (charité bien ordonnée commence par soi même!).

En Occident, des voix s’élèvent pour critiquer les rapports d’Ennahda avec l’islamisme radical, mais pour autant, l’Occident y trouve son compte : d’une part, peu importe qui gouverne en Tunisie, l’essentiel étant que les entreprises puissent bénéficier de contrats juteux ; d’autre part, si les régimes trop extrémistes mettaient un terme à ceux-ci, il serait toujours temps de soutenir ceux qui s’opposeraient à eux.

Il nous appartient de faire une autre lecture de la situation des islamistes en Tunisie : une révolution ne peut pas « accoucher de la vieille société » par les élections, ni par la prétendue « démocratie » parlementaire, instrument bourgeois d’un État bourgeois.

Par Ghislaine Carle

Paru dans l’Égalité n°160 (Mai-juin 2013)