Les US en crise : la nécessité d’un parti de masse des travailleurs et d’un programme socialiste

Dans des scènes sans précédent, rappelant des événements en Amérique latine, en Asie ou en Afrique, le capitalisme US a plongé dans une crise plus profonde hier, lorsque des milliers de partisans de Trump ont pris d’assaut le Congrès sur la colline du Capitole, encouragés par leur leader Trump.

Article de Tony Saunois, secrétaire du Comité pour une Internationale Ouvrière, publié le 7 octobre sur www.socialistworld.net

Les images incroyables de centaines de personnes, certaines armées, entrant dans le bâtiment du Congrès et dans la salle des débats, alors que le Congrès discutait de la certification du résultat des élections, témoignent de la polarisation massive existant dans la société américaine. Les vidéos impressionnantes défilant dans le monde entier sont une illustration claire du déclin de l’impérialisme américain. Ces événements ne feront que nuire davantage à sa crédibilité et à sa position sur la scène internationale, en particulier dans le monde néocolonial.

Trump, qui avait appelé à cette manifestation il y a des semaines, jouait une carte désespérée pour tenter de s’accrocher au pouvoir. Certains de ses partisans du Parti Républicain au Congrès faisaient déjà l’inimaginable auparavant et contestaient sérieusement la certification du résultat des élections – ce qui ne s’est pas produit depuis le 19e siècle. Pourtant, 139 Républicains à la Chambre des représentants et 8 sénateurs contestaient les résultats des élections. Trump, en appelant ses partisans, y compris les groupes fascistes d’extrême droite comme les « Proud Boys » et les théoriciens complotistes comme Q-Anon, a poussé le challenge à un niveau supérieur. La signature d’une lettre par dix ex-secrétaires à la Défense des États-Unis avertissant de l’implication de l’armée dans le règlement de l’élection a montré qu’il était de notoriété publique à Washington que Trump préparait quelque chose.

La prise d’assaut du Congrès et l’absence totale de répression de la part de la police et des forces de l’État contrastent fortement avec la répression brutale déployée contre le mouvement Black Lives Matter en 2020. Si les manifestants de BLM avaient tenté de prendre d’assaut le bâtiment du Congrès, ils auraient probablement été accueillis par une grêle de balles réelles !

Avec les policiers de Capitol Hill qui se prenaient en selfie avec les manifestants à l’intérieur du bâtiment, l’absence de renforts de police, ainsi que le retard dans l’arrivée de la Garde nationale, il est clair que des sections de la police et de l’État sont partisanes de Trump. Tandis que la grande majorité de la classe dirigeante et des têtes de l’armée ou de l’État veulent que Trump soit dégagé du pouvoir, on trouve dans l’appareil d’État – surtout dans la police – une couche de ses partisans. Même Biden a été contraint de changer certains de ses services de sécurité, partisans de Trump. Ces éléments de division au sein de l’appareil d’État ne s’évaporeront pas avec le simple départ de Trump de la Maison Blanche.

La classe dirigeante américaine craint que ce ne soit pas la dernière carte de Trump. Beaucoup craignent de le laisser à la tête de la plus grande puissance militaire de la planète pendant les derniers jours de sa présidence. L’anniversaire de l’assassinat de Qasem Soleimani et la saisie d’un navire sud-coréen par l’Iran sont le genre de prétexte que Trump pourrait utiliser pour lancer une aventure militaire contre le régime iranien.

Il n’est pas exclu que le cabinet et le vice-président Pence puissent invoquer le 25e amendement de la Constitution et écarter Trump comme le réclament aujourd’hui de nombreux grands capitalistes comme la National Association of Manufacturers.

Trump est de plus en plus isolé car certaines couches de ses partisans issus du Parti Républicain se sont éloignées de lui lors des événements spectaculaires des dernières vingt-quatre heures, y compris Pence. Cela reflète les différentes fractures qui se sont ouvertes au sein du Parti Républicain, entre les partisans de Trump et ceux de la droite portée notamment par Bush ou Chaney, qui représentent maintenant l’aile « modérée » du parti. Il y a maintenant des divisions au sein de l’aile Trump car une couche dont fait partie par exemple Tom Cotton, le sénateur de l’Arkansas, craint de manière opportuniste d’être associée aux événements de la dernière journée et d’être entraîné par Trump dans sa chute. Ils ont un œil sur l’avenir où ils se verraient bien diriger un parti ou un mouvement populiste de droite de type “Trumpiste”. La crise continue de se dérouler, et pose la question d’une scission formelle au sein du Parti Républicain. Se pose même, dans cette crise, la question de la survie future du Parti Républicain tel qu’il est actuellement constitué.

Cependant, le vide qui existe dans la société américaine et l’absence d’un parti ouvrier de masse pour défier le capitalisme ont permis à Trump et à la droite de gagner une base parmi certaines sections des classes ouvrière et moyenne. Cela ne disparaîtra pas sous une présidence Biden.

Les événements survenus aux États-Unis ont provoqué un déferlement de condamnations de la part des politiciens capitalistes du monde entier. Ils ont dénoncé les manifestants comme étant des « insurgés », des « insurrectionnistes » et ont fait l’éloge des « institutions démocratiques » des États-Unis. Bien que des milliers de personnes aient rejoint cette manifestation, il ne s’agissait pas pour autant d’un soulèvement ou d’une insurrection de masse.

La dénonciation des événements de Washington par les dirigeants capitalistes internationaux et les protestations par la direction du Parti démocrate ne sont que pure hypocrisie. Les « institutions démocratiques » assiégées par les partisans de Trump sont les mêmes que celles qui ont massacré des millions de personnes dans les champs de bataille en Irak et au Moyen-Orient. Pendant des décennies, l’État US a mené à bien des coups d’État militaires et des assassinats dans toute l’Amérique latine et ailleurs pour renverser des gouvernements « démocratiquement » élus.

Malgré le caractère de droite des manifestants de Trump, les politiciens capitalistes s’en servent pour attaquer et discréditer l’idée de soulèvements populaires contre les régimes qu’ils soutiennent ou avec lesquels ils sont de mèche. Ils craignent également, dans la situation explosive et incertaine qui se développe au niveau international, que l’idée de « prendre d’assaut le Congrès » puisse être reprise par les travailleurs et ceux qui ont souffert sous leur régime.

Les démocrates auront désormais la présidence et le contrôle de la Chambre des Représentants, ainsi que du Sénat, après avoir remporté les deux sièges du Sénat de Géorgie. Malgré le caractère capitaliste du Parti Démocrate, la défaite des Républicains en Géorgie et l’élection de Raphael Warnock, sénateur noir originaire de ce pays, est une indication des changements en cours et du coup de fouet porté aux Républicains.

Biden arrivera au pouvoir après la catastrophe du régime Trump et sera confronté à la pire crise économique et sanitaire depuis des décennies. Il est probable que le sentiment de soulagement suscité par le départ de Trump amènera la plupart des Américains à adopter une attitude « attentiste » pendant un certain temps. L’ampleur de la crise pourrait même contraindre son gouvernement à mettre en place des plans de relance plus importants et à faire certaines concessions aux travailleurs et aux pauvres. Bernie Sanders et d’autres députés de la gauche démocrate ont déjà indiqué qu’ils en seraient satisfaits, et qu’il n’y a pas d’autre choix. Cependant, ces mesures ne résoudront pas la crise sous-jacente et son effet dévastateur sur la classe ouvrière et la classe moyenne. Les Démocrates sont liés au capitalisme et sont maintenant le principal parti de la classe dirigeante américaine, étant donné le naufrage du Parti Républicain tel qu’il est actuellement constitué.

La nature capitaliste du parti et de sa direction se reflète dans la candidate de Biden au poste de Secrétaire au Trésor, Janet l Yellen, qui a gagné 7 millions de dollars US au cours des deux dernières années grâce à ses honoraires de conférencière pour les grandes entreprises et les banques ! Les travailleurs américains ne peuvent pas avoir confiance dans le fait que les Démocrates feront autre chose qu’agir dans l’intérêt du capitalisme. L’échec de la gauche démocrate comme Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) à offrir une alternative et à rompre avec les Démocrates et à construire un parti indépendant des travailleurs a largement permis au “trumpisme” de s’introduire dans le vide qui existe. La timidité dont ils ont fait preuve récemment en ne forçant pas un vote au Congrès sur le système de santé parce qu’il serait « diviseur » n’est pas la façon dont une alternative au trumpisme peut être construite. La construction d’un parti ouvrier de masse avec des politiques authentiquement socialistes qui peuvent offrir un moyen de sortir de la crise dévastatrice qui frappe le capitalisme américain est maintenant le défi crucial pour les miitants pour le socialisme et les travailleurs aux États-Unis.