La Turquie glisse vers la dictature

Manifestation pro-kurde à Bruxelles. Photo: Liesbeth
Manifestation pro-kurde à Bruxelles. Photo: Liesbeth

Dans la nuit du 3 au 4 novembre, la police turque arrêtait Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, les deux codirigeants du parti d’opposition de gauche pro-kurde HDP. À côté d’eux, 10 autres parlementaires du HDP ont été arrêtés. Ces arrestations furent un nouvel exemple de la manière dont le président Erdogan essaie d’écraser chaque opposition à sa politique autoritaire.

Par Tim (Gand), article tiré de l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste

Aux élections de juin 2015, il était devenu clair que l’hégémonie indiscutable du parti d’Erdogan, l’AKP, était désormais chose du passé. Pour la première fois depuis 2002, le parti perdait sa majorité absolue. Après plus d’une décennie d’attaques néolibérales de la part d’un régime autoritaire de plus en plus répressif à l’encontre du mouvement ouvrier et des autres forces d’opposition, et alors que les promesses d’amélioration des conditions de vie des couches plus larges de la population en restaient toujours au stade de paroles, l’autorité d’Erdogan c’est vue de plus en plus contestée dans l’État turc.

La défaite électorale a servi d’avertissement. Erdogan a donc instrumentalisé les attentats commis dans son pays pour y limiter encore plus fortement les libertés démocratiques. Ce fut le cas après les attentats de juillet 2015 contre un groupe de jeunes socialistes à Suruç, mais aussi après les attentats d’Ankara et contre l’aéroport d’Istanbul en juin 2016. À l’aide d’un discours nationaliste, l’AKP a su récupérer une partie de ses pertes de voix aux élections de novembre 2015 et est parvenu à regagner une majorité absolue au parlement.

Après le coup d’État raté de juillet 2016, la répression contre l’opposition s’est encore accélérée : des milliers de journalistes, d’académiciens et d’autres figures de l’opposition ont été emprisonnés. L’AKP a utilisé l’occasion pour reprendre en mains toute une série d’entreprises et de petits commerces qui étaient précédemment propriété du mouvement Gülen, accusé d’avoir organisé le coup d’État. Ces entreprises ont par la suite été vendues au rabais à des hommes d’affaires liés à l’AKP, une manœuvre visant à partiellement restaurer la base sociale fissurée du parti.

La guerre qu’Erdogan mène contre la population kurde et ses organisations politiques constitue un élément spécifique de cette répression. Les dirigeants arrêtés du HDP sont accusés de ne pas suffisamment collaborer avec la police dans l’enquête contre les éléments terroristes du mouvement nationaliste kurde. Même si certains individus et organisations au sein du large mouvement nationaliste kurde recourent toujours aux méthodes de terrorisme individuel contre l’armée et la police turque, il n’y a aucun lien formel entre ceux-là et le HDP. Bien en contraire : le HDP a été créé comme une force de gauche dont l’objectif est de regrouper au-delà du mouvement national kurde.

Si ce parti est très fort dans les régions kurdes, il obtient aussi beaucoup de soutien dans d’autres parties du pays, d’où son succès dans les élections de juin 2015.

Les tentatives d’Erdogan de lier le HDP au terrorisme visent essentiellement à diminuer le soutien pour le parti, surtout dans les parties non-kurdes de l’État turc. Au Kurdistan, la répression a entretemps été intensifiée jusqu’à devenir une guerre civile directe contre la population kurde.
L’AKP et Erdogan ne ménagent pas leurs efforts pour rester au pouvoir suivant la maxime de Tywin Lanniser : ‘‘Un lion n’est pas intéressé par l’opinion d’un mouton’’. Mais en dépit de tous ces efforts, le régime turc parvient de moins en moins à dépasser ses faiblesses intrinsèques : de moins en moins de gens se laissent diriger comme des moutons.

Erdogan s’est montré très méritant par rapport aux dirigeants européens dans la crise de réfugiés. En échange de quelques milliards d’euros, il a transformé de larges parties de son pays en d’énormes ghettos pour réfugiés où son armée viole les droits humains à grande échelle des réfugiés syriens et iraquiens. Même si les dirigeants européens sont contents de son application à stopper l’afflux de réfugiés vers l’Union européenne et qu’ils ne condamnent pas son approche inhumaine et scandaleuse, l’attitude prudente des pays occidentaux durant le coup d’État de 2016 démontre que leurs relations avec le régime d’Erdogan ne sont pas au beau fixe.

Malgré la répression, l’armée turque ne parvient pas contrôler les territoires kurdes au sud-est de l’État turc, et encore moins à avoir un pied à terre dans la guerre civile syrienne. L’armée turque est affaiblie. Elle ne parvient pas à remporter des victoires et le danger des nouveaux coups d’État n’est pas loin.

Au même moment, l’économie turque continue à s’embourber dans une mauvaise passe. Les protestations sont quotidiennes contre la politique néolibérale et la répression. Le mouvement du parc Gezi et de la place Taksim de 2013 démontre le potentiel pour un mouvement de masse en Turquie. L’organisation sœur turque et kurde du PSL, Sosyalist Alternatif, défend la nécessité d’une telle action de masse contre la politique asociale et contre la répression d’Erdogan. Elle intervient dans ce mouvement avec un programme basé sur l’unité de classe entre les différentes populations dans la région et sur la nécessité du socialisme, seule manière d’utiliser les richesses de la région en fonction des besoins de la population entière, indépendamment de son origine ethnique ou religieuse. Ce n’est qu’ainsi qu’une paix durable et stable existera au Moyen-Orient.