Une vague de protestation a balayé les rues et les places de l’Etat espagnol le 26 octobre dernier. Deux millions de personnes, principalement des élèves du secondaire, ont participé à une grève organisée par le Sindicato de Estudiantes (SE- syndicat des étudiants). Claire Laker-Mansfield, organisatrice nationale des Socialist Students a été invitée à y participer par Izquierda Revolucionaria, une organisation qui joue un rôle de premier plan dans SE. Voici son rapport.
La grève a été forte – plus de 90% de participation. Mais les étudiants ne sont pas simplement restés chez eux. Plus de 200.000 jeunes ont rejoint les manifestations organisées dans plus de 60 villes. La journée fut une puissante expression de résistance. À Madrid seulement, 60.000 étudiants sont sortis dans les rues. L’atmosphère de la manifestation était un mélange de colère, de détermination et de puissance. Ce fut la première manifestation majeure pour des milliers de participants de même qu’une première expérience d’action collective.
Au-delà de la colère, on pouvait aussi constater de la joie et de l’optimisme, sur base de la confiance renouvelée que l’austérité n’est pas un fait imposé, mais qu’elle peut être combattue et vaincue. La revendication la plus importante de la grève était d’abolir les «revalidations» introduites par le gouvernement. Celles-ci existaient déjà sous le régime du dictateur Franco, il s’agit d’une série d’examens obligatoires que les étudiants doivent passer à différentes étapes de leur scolarité. Les étudiants qui ne réussissent pas ces tests seront empêchés de progresser vers la prochaine étape de leurs études académiques.
S’ils sont mis en œuvre de la manière prévue par le gouvernement, ces examens empêcheront des milliers d’étudiants, surtout ceux issus de milieux ouvriers, d’accéder à l’université. Pis encore, des milliers d’autres pourraient être forcés de quitter l’école plus tôt, avec presque aucune qualification formelle. En réalité, l’intention cachée est de marquer les jeunes comme étant des «échecs» et de limiter leurs attentes en termes de perspectives d’avenir.
En réalité, c’est le capitalisme qui est en échec. Le taux de chômage des jeunes en Espagne s’élève actuellement à 45%. La grève des étudiants était aussi, en partie, une protestation contre les perspectives désespérées auxquelles sont confrontés les jeunes. En plus d’exiger la fin des «revalidations» franquistes, la grève était également contre le «LOMCE» – un décret du gouvernement qui inclut des coupes budgétaires croissantes dans l’enseignement.
L’un des chants qui revenait le plus souvent était «Si Se Puede» : oui nous le pouvons ! L’utilisation de ce slogan, utilisé tout d’abord par le mouvement contre les expulsions de logements qui a traversé l’Espagne, a illustré la manière dont les étudiants grévistes se considéraient comme faisant partie d’un mouvement global contre l’austérité et ses effets. «Travailleurs et étudiants ensemble» a été chanté à plusieurs reprises pendant que la marche continuait. À Madrid, les enseignants étaient également en grève ce jour-là. Leurs syndicats ont soutenu la grève et ont appelé à une manifestation qui a continué dans la soirée. Mais cela n’a pas été répété ailleurs. Le caractère isolé de la grève des enseignants à Madrid n’est pas dû à un manque de colère ou de volonté de prendre des mesures parmi les travailleurs de l’éducation. Les dirigeants syndicaux ont peur de ce qui pourrait être ainsi déclenché. Comme en Grande-Bretagne, les dirigeants syndicaux de droite tentent de bloquer le développement de la lutte des masses
Mais malgré les incohérences des dirigeants syndicaux, des dizaines de milliers de travailleurs se sont joints à la manifestation qui avait été appelée à Madrid ce soir-là. L’un des facteurs de succès de la grève a été le soutien de l’Association nationale des parents d’élèves (CEAPA). En plus de participer à la marche du soir et d’appeler à celle-ci, la CEAPA a également aidé des milliers de parents à garder leurs jeunes enfants hors de l’école pendant la journée de grève. C’était la première action d’une telle ampleur depuis un certain nombre d’années. Et cela a permis de libérer l’énorme mécontentement et la colère qui existe au sein de la société espagnole.
Quelques jours plus tard, une manifestation de masse a eu lieu à Madrid contre la formation du gouvernement de droite du Partido Popular (PP). Les manifestants ont crié à plusieurs «traîtres» en faisant référence à la capitulation des dirigeants du PSOE (Parti social-démocrate). La majorité des députés du PSOE se sont abstenus lors d’un vote parlementaire pour élire le Premier ministre.
Cette abstention a permis de donner le pouvoir au PP, en dépit de leur incapacité à obtenir la majorité dans les élections. Ainsi, le 26 octobre, la colère suite à cette trahison historique était énorme.
Le SE (Syndicat des Etudiants) a déclaré que, à moins que le gouvernement ne réponde à ses demandes, notamment en dégageant les «revalidations» franquistes, une nouvelle grève étudiante aurait lieu en novembre. Compte tenu de la colère qui bouillonne, il y a toutes les chances que cela puisse être aussi grand, ou même plus, que la première. Tout au long de la journée, les dirigeants du SE, dont Ana Garcia, la secrétaire générale, ont été interviewés par les principales chaînes de télévision, les journaux et autres médias. Ana a pu exprimer la colère et la détermination intense de ses membres. Cela contrastait avec les dirigeants des principaux syndicats. Mais Ana a également été en mesure de soulever la nécessité d’une lutte généralisée – aidant à exercer une pression sur le sommet des syndicats pour que ceux-ci fassent leur « travail ».
La solidarité internationale organisée par les socialistes et les syndicalistes du monde entier a grandement contribué à renforcer la confiance et la détermination des étudiants et des travailleurs.
Au cours de la manifestation, je n’ai pu mentionner qu’un petit nombre des actions de solidarité organisées par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses sections. Mais chaque exemple que j’ai donné a engendré d’énormes acclamations. L’action organisée par le CIO à Hong Kong – pendant laquelle le consul général espagnol a physiquement agressé et attaqué un manifestant – a servi à démontrer la crainte de l’establishment de mouvements comme celui-ci, ainsi que les conditions dangereuses dans lesquelles les socialistes travaillent dans de nombreuses régions du monde. Cette action a fait une impression particulière et a depuis été rapportée dans deux grands journaux nationaux en Espagne. Mais c’est aussi l’ampleur de l’effort de solidarité qui a aidé les gens à s’y intéresser. Il y a eu des manifestations dans plus de 20 pays à travers le monde !
La grève qui a eu lieu le 26 octobre a donné aux travailleurs et aux jeunes d’Espagne un nouveau goût pour la lutte. Elle a rompu la paix sociale fragile qui existait et a ouvert la voie à une nouvelle phase dans la lutte contre l’austérité et le système capitaliste qui l’impose. Cette détermination à combattre ne s’arrêtera pas aux frontières de l’Espagne. Partout dans le monde, sur base du capitalisme, la prochaine génération est confrontée à un sombre avenir.
Certaines des réactions les plus fortes lors des rassemblements à Madrid sont venues lorsque les orateurs ont soulevé la nécessité d’un changement socialiste de société. C’est un avant-goût des grands mouvements à venir, des mouvements qui lutteront pour la fin du système capitaliste et pour l’instauration d’une société socialiste dans l’intérêt des 99%.
Ce n’était pas seulement à Madrid que des milliers d’étudiants se sont joints aux protestations. Voici quelques exemples des manifestations fantastiques qui ont eues lieu partout dans l’État espagnol. Au Pays Basque, plus de 10.000 personnes ont manifestés à Bilbao, 5 000 à Donostia et des milliers de plus à Vitoria, Gasteiz et Iruña. En Catalogne, plus de 50.000 personnes ont rempli les rues de Barcelone, avec des milliers de plus à Tarragone et Girona et des dizaines d’autres villes. Près de 10.000 personnes ont manifesté à Valence, avec des milliers d’autres à Alicante ; 5.000 en Galice, 3.000 à Coruña et des milliers d’autres dans d’autres villes. En Andalousie, 15.000 personnes ont manifesté à Grenade, 10.000 à Séville, 7.000 à Malaga, 2.000 à Cadix et plus de 1.000 à Almeria et Huelva … Des milliers ont également défilé à Extremadura, aux îles Canaries, aux îles Baléares, en Murcie, en Castille Y León, à Castilla La Mancha et à Cantabria.